General

En Ukraine, les Roms en état de siège

Courrier International, 01.07.2018

Des
vêtements tachés de sang gisent autour de tentes, avec des jouets et des
chaussures d’enfants. Ce camp rom de l’ouest de l’Ukraine a été la cible d’une
attaque meurtrière, dernier épisode en date d’une série de violences contre
cette communauté.
Un camp
de Roms à la périphérie de Lviv, le 25 juin 2018 en Ukraine – AFP

Le 23
juin, une dizaine d’assaillants cagoulés, armés de bâtons et de couteaux, a
attaqué le camp près de la ville de Lviv, tuant un homme de 24 ans et blessant
quatre autres personnes dont un enfant, selon les autorités ukrainiennes.

Au total,
depuis avril, plus de six attaques similaires ont visé des camps de Roms situés
près de Kiev et dans l’ouest du pays, faisant à chaque fois plusieurs blessés.
Les
victimes de la dernière attaque vivent désormais dans un refuge temporaire
offert par les autorités de Lviv. Traumatisés, ils refusent de discuter avec des
journalistes.
Avec
l’aide d’un prêtre proche de la communauté rom, des journalistes de l’AFP ont
pu accéder à un autre camp, caché dans une des forêts près de Lviv. Bien que
difficile d’accès, le camp, qui abrite quatre familles, a lui aussi été victime
d’une violente attaque, début mai.
“Ils
nous ont d’abord jeté des pierres. Puis ils nous ont attaqué avec des bâtons.
Ils frappaient tout le monde, même les enfants”, raconte à l’AFP Micha, 34
ans, à la silhouette élancée et aux cheveux noirs.
© AFP. Micha,
un membre de la communauté rom,
parle à un journaliste de l’AFP, le 25 juin
2018 dans
un camp à la périphérie de Lviv, en Ukraine

Puis
“ils ont mis le feu au camp. Les enfants se sont cachés tels des souris
dans les buissons”, se souvient Klara, 39 ans, mère de huit enfants.

“Nous
avons très peur de nouvelles attaques. Nous ne savons pas si nous pouvons
rester ici”, ajoute-t-elle, les larmes aux yeux et son nourrisson au sein.

Ultranationalistes –
Après
l’attaque du 23 juin, la police a détenu huit personnes, dont sept mineurs,
âgés entre 16 et 17 ans. L’organisateur présumé de ce raid a 20 ans.
Selon la
police, les suspects font partie d’un groupuscule intitulé “Sobre et en
colère”, lié au bataillon Azov de volontaires, le plus souvent
ultranationalistes, qui combattent les séparatistes prorusses dans l’est du
pays.
© AFP. Klara,
mère de huit enfants, parle
à un journaliste de l’AFP, le 25 juin 2018 dans un
camp
rom à la périphérie de Lviv, en Ukraine
Le
groupuscule accumule aussi des références avec les symboles fascistes,
intitulant par exemple sa chaîne Youtube “Lemberg Jugend” (la
Jeunesse de Lviv, en allemand), semblant s’inspirer des Jeunesses hitlériennes.

La
chaîne, qui a été supprimée depuis l’attaque, diffusait des vidéos reprenant
les symboles du mouvement néo-nazi d’extrême-droite “Division
misanthrope”.
Le
groupuscule a aussi posté des slogans et des images inspirés de l’idéologie
nazie sur sa chaîne Telegram, où quelques dizaines d’abonnés suivaient leurs
publications.

Protection policière –
En avril,
un autre groupe d’extrême-droite, C14, a lancé des pierres et pulvérisé du gaz
contre des Roms installés dans un parc de Kiev. Ils ont ensuite mis le feu aux
tentes, selon la police.
Les Roms
faisaient “des feux de camps et coupaient des arbres”, ils volaient
les habitants du quartier, affirme Evguen Karas, à la tête de C14. Le
groupuscule a agi “en réaction à une violation de la loi”,
assure-t-il.
© AFP. Evguen
Karas, à la tête de C14,
un groupe d’extrême-droite, parle à un
journaliste de
l’AFP, le 27 juin 2018 à Kiev,
en Ukraine

Pour
justifier leurs attaques, les ultranationalistes accusent les Roms de vols,
explique une femme rom de 55 ans, prénommée Klara et vivant dans le camp dans la
forêt près de Lviv.

“Mais
nous ne volons rien. Nous expulsons du camp ceux qui volent”,
assure-t-elle. “Pourquoi la police n’attrape-t-elle pas ceux qui volent
?”
Depuis
l’attaque du 23 juin, les camps de Roms ont tous été placés sous protection
policière, selon les forces de l’ordre.
Mais pour
les militants d’organisation de défense des droits de l’Homme, les autorités,
par leur inaction, ont donné aux agresseurs le sentiment qu’ils pouvaient s’en
prendre aux Roms en toute impunité.
“Quand
les agresseurs voient que personne n’est tenu responsable, ils continuent à
agir de la sorte”, soupire Zola Kondur, vice-présidente d’une fondation
rom en Ukraine.
Le
problème dépasse les seules attaques, dit-elle: les autorités doivent aider les
Roms à trouver du travail, à améliorer leurs conditions de vie et faciliter
l’accès à l’éducation des enfants, plaide-t-elle. L’Ukraine a besoin
d'”une attitude amicale envers (…) les différentes minorités
ethniques”, martèle-t-elle.