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Pierre Stambul – Le sionisme, un nationalisme particulier qui a inventé le peuple, la langue et la terre.

Par Milena Rampoldi,
ProMosaik. Ci-dessous mon entretien avec le juif français Pierre Stambul sur son
nouveau livre sur la Nakba intitulé « La Nakba ne sera jamais légitime ».
Quelle est la nouvelle perspective de votre livre sur la
Nakba ?
Il
faut rappeler que le crime fondateur de cette guerre, c’est l’expulsion
préméditée des Palestiniens en 1948-49. Les conquêtes de 1967 et la
colonisation qui s’en est suivie ont aggravé la destruction de la société
palestinienne. Mais aboutir à une paix juste, c’est « réparer » la
Nakba.
En
ce sens, tout le processus d’Oslo et le prétendu « processus de
paix » censé aboutir à « deux États pour deux peuples » a été
une mystification qui a permis au rouleau compresseur colonial de se déployer.
Une
paix juste devra reconnaître le droit au retour des réfugiés palestiniens. Dès
sa fondation, l’État d’Israël a violé la résolution 194 de l’ONU qui prévoyait
ce retour et a effacé les traces des centaines de villages palestiniens
détruits. L’impunité d’Israël date de cette époque.
Comment « démonter » le sionisme ?
Le
sionisme est une idéologie multiforme. C’est un colonialisme particulier
puisqu’il vise à expulser le peuple autochtone et pas à l’exploiter. C’est un
nationalisme particulier qui a inventé le peuple, la langue et la terre. C’est
une théorie de la séparation qui a proclamé, il y a 120 ans, que Juifs et
non-Juifs ne pouvaient pas vivre ensemble. C’est une manipulation de l’histoire,
de la mémoire et des identités juives. Il n’y a pas eu exil des Juifs il y a 2
000 ans et il n’y a pas « retour » aujourd’hui. Les descendants des
Juifs de l’Antiquité sont essentiellement les Palestiniens et les Juifs
d’aujourd’hui sont surtout des descendants de convertis.
Le sionisme n’a pas combattu l’antisémitisme. Sionistes et
antisémites partagent l’idée que les Juifs doivent quitter leur pays d’origine.
Il faut expliquer que le fait qu’Israël soit devenu un pays
raciste, militariste et d’extrême droite n’est pas un accident de l’histoire.
Le sionisme ne pouvait mener qu’à cela. Il ne pouvait pas y avoir de paix juste
en Afrique du Sud avec le maintien de l’apartheid. Il n’y aura pas de paix
juste au Proche-Orient avec le maintien du sionisme. Cette idéologie n’est pas
seulement criminelle contre les Palestiniens, elle est suicidaire pour les
Juifs et elle est une injure à leur histoire.
L’antisémitisme, une malédiction pour les
Palestiniens. Pourquoi ?
L’antisémitisme est un crime européen qui dure
depuis 15 siècles. C’est aussi un crime chrétien puisque, avant l’antisémitisme
racial qui apparaît dans la deuxième moitié du XIXe siècle, il y a eu
l’antijudaïsme chrétien.
Dans le monde « arabo-musulman »,
avant l’apparition du sionisme, les Juifs (comme les chrétiens) ont le statut
de « dhimmi » qui veut dire protégé. Ce n’est pas la citoyenneté (qui
n’existe nulle part à l’époque). Mais les communautés juives ne subiront jamais
(avant l’apparition du sionisme) l’équivalent des massacres et des expulsions
qui jalonnent l’histoire des Juifs européens.
Cet antisémitisme culminera avec le génocide
nazi. Et c’est ce génocide qui décidera la « communauté
internationale » à se débarrasser de sa culpabilité sur le dos des
Palestiniens en favorisant la création de l’État d’Israël et le nettoyage
ethnique de 1948-49.
Les Palestiniens paient pour un crime avec
lequel ils n’ont rien à voir. La petite minorité juive qui a vécu en Palestine
a toujours vécu en bonne intelligence avec ses voisins musulmans et chrétiens.
Chaque manifestation d’antisémitisme dans le monde renforce Israël et contribue
à la destruction de la Palestine.
Quel rapport est-ce qu’il y a entre sionisme et
islamophobie ou racisme contre les musulmans ?
En 2001, le président Bush a déclaré la guerre du
« bien contre le mal ». Le mal, pour lui, ce sont les Arabes, les
pauvres, les musulmans. Pas tous les musulmans : les dictatures féodales
et patriarcales du Golfe sont les alliés de l’empire.
Israël est l’élève modèle dans cette guerre. Morceau
d’Europe installé au Proche-Orient, ce pays est devenu une espèce de
laboratoire. Israël montre au monde comment on peut enfermer et réprimer des
populations décrétées dangereuses en expérimentant sur elles de nouvelles armes
sophistiquées.
Il y a donc un rapport direct entre ce que subissent les
Palestiniens au Proche-Orient et l’islamophobie en Occident : ségrégation
sociale et stigmatisation. Et l’UJFP est pour le « vivre ensemble dans
l’égalité des droits » aussi bien au Proche-Orient qu’en Occident. Et
contre l’essentialisation des gens selon leur identité réelle ou supposée.
Parlez-nous de ce chapitre : Les
précédents de l’Afrique du Sud, du Zimbabwe et de l’Algérie.
Dans ces pays, le colonialisme a longtemps
imposé son régime féroce aux autochtones. Qu’est-ce qui a permis aux Blancs
d’Afrique du Sud de rester ? Le maintien ou la fin de l’apartheid ?
C’est bien sûr la fin et le fait que des deux côtés, il y a eu des forces
posant les termes d’un compromis : 1 personne = 1 voix, L’Afrique du Sud est
une et indivisible, l’apartheid est reconnu comme un crime. Une fois ces
conditions acceptées, les Blancs ont pu rester.
En Algérie, la seule force politique des
Français d’Algérie qui s’est exprimée a été l’OAS, milice fasciste décidée à
combattre jusqu’au bout l’indépendance. Résultat : les Français (et avec
eux les Juifs) ont dû partir.
Au Zimbabwe, l’indépendance a débouché sur une
dictature et le dictateur Mugabe a utilisé la présence des anciens
colonisateurs pour détourner la colère populaire. Les Blancs sont quasiment
tous partis.
Quel sera le modèle en Israël/Palestine ?
L’idéal serait de s’inspirer de l’exemple sud-africain : accepter
l’égalité et le « vivre ensemble ». Cela suppose en finir avec le
sionisme et l’État juif. Mais il est clair que les dirigeants israéliens
suivent le modèle de l’OAS en Algérie. Et que ça pourrait finir de la même
façon.
L’importance du BDS pour vous en 2018.
Je
pose dans le livre la question : « vous seriez Nétanyahou, vous
changeriez de politique » ?
La
réponse est non bien sûr. Tant qu’Israël ne sera pas sanctionné, le rouleau
compresseur colonial continuera. L’histoire a montré que s’il y a des
sanctions, les conséquences seront immédiates. Les Palestiniens disent que
cette guerre est née de l’extérieur, de la décision de l’ONU de partager la
Palestine et de tolérer toutes les violations commises par Israël.
La
solution viendra de la capacité de la société palestinienne à ne pas rompre et
de la solidarité internationale.
Le
BDS ne détruira pas l’économie israélienne, mais il peut détruire l’image de ce
pays et forcer les gouvernements à prendre des sanctions. C’est le seul espoir
actuellement.