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À Paris, le campement de la Villette s’installe dans la durée

Raphaëlle
Chabran, La Croix, le 26/04/2018

Sur les
bords du canal Saint-Denis, dans le nord de Paris, des dizaines de tentes
s’alignent.
Plus de
1 300 migrants vivent depuis maintenant un an dans ce camp improvisé où
les associations se relaient pour leur porter assistance.
 

Le long
du canal Saint-Denis, à Paris, environ soixante migrants arrivent sur le
campement chaque semaine. / Benoît Tessier/Reuters
Les
immeubles modernes de la Porte de la Villette et les anciennes usines de
briques restaurées tranchent avec les petites tentes agglutinées sous trois
ponts, de part et d’autre du canal Saint-Denis. Sara, coordinatrice de la
maraude France Terre d’Asile (FTA), enfile un gilet bleu. Elle va relayer
Jérémy, sur place depuis 10 heures du matin.
L’association
spécialisée dans les demandes d’asiles et les procédures administratives tient
une permanence deux fois par semaine sur le campement de la Villette. Ses
équipes se déploient sur les trois plus gros campements de Paris. Celui de la
Villette accueille le plus grand nombre de migrants
: 1 390, selon le dernier
recensement de l’association. «Environ soixante personnes arrivent là
chaque semaine», explique Sara.
Le camp
est coupé en deux par le canal. Sur le quai du Lot vivent principalement des
Érythréens et des Éthiopiens, et de l’autre côté, sur le quai de l’Allier, des
Soudanais. La plupart sont des hommes. La dizaine de femmes présentes sur le
camp est en transit, les hébergements d’urgence leur sont proposés en priorité.
Tous ont fui un pays ruiné par la guerre ou la dictature.
« Dubliné »,
un statut compliqué
Djalil,
juché sur un Vélib’, nous salue – la poignée de main est de rigueur ici.
Tong au pied gauche, basket au pied droit, le jeune homme raconte volontiers
son histoire. Il y a trois ans, il a quitté l’Érythrée, pays de la Corne de
l’Afrique, pour rejoindre l’Europe. Il fait partie des 400 000 Érythréens
exilés pour échapper au régime dictatorial et à la famine qui ronge les
campagnes.
Pour
rejoindre les côtes de la Sicile, il a voyagé sur « une embarcation avec
une centaine d’autres personnes ». Ses empreintes digitales ont été prises
par l’administration sicilienne, ce qui a fait de lui « un dubliné »
: il n’est pas régularisable en France,
car il doit faire sa demande d’asile dans le premier pays qui l’a accueilli. Un
statut qui complique les solutions de logements d’urgence.
Un camion
médicalisé
La
préfecture d’Île-de-France a en effet créé cinq centres d’accueil et d’examen
des situations administratives (CAES) représentant un total de 750 places. La
ville de Paris et la préfecture ont proposé plusieurs fois des opérations de
mises à l’abri à ces migrants mais lors de la dernière en date, début mars,
seule la moitié avait accepté. « Plusieurs refusent d’être envoyés dans
des CAES parce que, comme Djalil, ils sont des “dublinés” en fuite ou des
déboutés du droit d’asile qui craignent d’être repérés par les
autorités », explique Sara. « D’autres préfèrent, pour diverses
raisons, rester à Paris. »
Face à
l’extension du campement, depuis le 27 mars, la ville de Paris a installé
cinq points d’eau et huit toilettes chimiques. Autour du grand évier en inox,
beaucoup s’affairent à la toilette quotidienne ou à leur lessive. Les grilles
de chantiers destinées à délimiter les lieux servent d’étendoirs de fortune.
Les
abords du campement sont propres, « mais quand on se rapproche des tentes,
c’est insalubre », confie Sara. « Le risque ici, c’est la
prolifération de maladies. Nous avons déjà eu des cas de gale. » MSF a
garé un camion médicalisé sur le quai pour dépister la tuberculose. « Depuis
ce matin, nous avons ausculté 25 personnes, six cas potentiels ont été
détectés », explique un médecin de l’association.
Ici, on
fait du cas par cas
Anne
Hidalgo, maire PS de Paris, a appelé l’État, vendredi 20 avril lors d’une
visite du campement, à « assumer ses responsabilités » en matière de
prise en charge des migrants. « Elle vient ici depuis quatre semaines tous
les vendredis pour mettre la pression sur la préfecture », confirme Sara.
Le maire
du 19e arrondissement a aussi interpellé le préfet, lui « demandant que
des moyens d’ampleur soient dégagés pour prendre en charge et mettre fin à
cette situation d’urgence humanitaire et sanitaire ». à quoi le préfet de
l’Île-de-France a fait valoir, le 20 avril « qu’un nouveau dispositif
d’accueil avait été lancé », avec notamment l’ouverture de cinq structures
dans Paris.
Une jeune
femme vient d’arriver sur le camp, pieds nus. Jeannine, bénévole à MSF, qui
« vient souvent donner un coup de main », se propose d’aller lui
acheter de quoi se chausser. Une demi-heure plus tard, la retraitée réapparaît,
une paire de chaussures de randonnée à la main. Ici, on fait du cas par cas.
Une «
marche citoyenne et solidaire »
Une «
marche citoyenne et solidaire » s’élancera le 30 avril de Vintimille (Italie) à
destination de Calais, afin de plaider « pour un véritable accueil, contre le
blocage des frontières et contre le délit de solidarité », selon François
Guennoc, de l’Auberge des migrants.
Sur 1 400
kilomètres et 60 étapes, cette marche ralliera la frontière franco-italienne et
la frontière franco-britannique en poussant jusqu’à Douvres en bus le 8
juillet, « et probablement Londres ».

Entre 30
et 100 personnes sont attendues sur chaque étape avec des « moments forts » à
Marseille, Lyon ou Paris, et la participation de personnalités telles que
l’eurodéputé José Bové et Mgr Jacques Gaillot.