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Enfants kidnappés – Meriem Belaala : «Certaines femmes sont obligées de changer de vie»

Amayas
Zmirli, Le Point Afrique, 24/04/2018

ENTRETIEN.
Présidente de SOS Femmes en détresse, Meriem Belaala évoque la situation de ces
Françaises qui viennent en Algérie à la recherche de leurs enfants kidnappés
par leurs maris ou ex-conjoints.
Octobre
2016 : de jeunes enfants algériens jouent dans une rue de Bab el-Oued.
© RYAD
KRAMDI / AFP

SOS
Femmes en détresse est une association de défense des droits des femmes créée
en 1993. Elle a eu à accompagner un peu plus d’une trentaine de femmes. Le
dernier cas qu’elle a eu à traiter est celui d’Aïcha. Meriem Belaala, sa
présidente, s’est confiée au Point Afrique à ce propos.

Le Point
Afrique : Votre association a récemment accompagné une Franco-Tunisienne venue
en Algérie à la recherche de ses trois enfants pratiquement kidnappés par leur
père. De quoi s’agit-il exactement ?
Meriem
Belaala : Aïcha est une Franco-Tunisienne venue en Algérie à la recherche
de ses trois enfants. Pour les prendre avec lui, son ex-mari lui avait fait
croire que sa mère était malade. Depuis, il ne les a plus jamais rendus à leur
mère, alors qu’elle a le droit de garde. Aïcha n’a jamais pu faire quoi que ce
soit contre son mari puisque ce dernier est extrêmement violent. Elle a déposé
plusieurs mains courantes au commissariat. Mais elle ne va jamais jusqu’au
bout, terrorisée par cet homme qui la battait, même quand elle était enceinte.
Elle a déjà perdu un œil à la suite d’une hémorragie. Elle a décidé de venir en
Algérie à la suite de l’appel de sa fille aînée âgée de 14 ans.
Celle-ci s’est plainte d’attouchements de la part du grand-père. Elle lui a dit
également qu’elle faisait l’objet d’une tentative de mariage forcé.
Est-ce un
cas exceptionnel ?
Ce n’est
pas du tout un cas exceptionnel. Nous avons l’habitude de recevoir des femmes
qui sont confrontées à la même situation. Elles sont généralement orientées par
les consulats, notamment le consulat de France. Notre association a traité
trente-cinq affaires qui concernent des Françaises dont les enfants ont été
enlevés par le mari ou l’ex-mari. Nous avons eu à constater des cas incroyables
où les pères ont pu faire sortir les enfants malgré toutes les interdictions de
sortie du territoire français. Donc, il y avait sûrement des trafics et des
complicités.
Quel est
le profil de ces victimes ?
Les victimes
n’ont pas toutes le même profil qu’Aïcha. En fait, il n’y a pas de profil type.
Aïcha, par exemple, est issue d’une banlieue lyonnaise. Elle est analphabète.
Enfant, elle avait eu un problème de santé. Elle aurait dû alors bénéficier
d’une prise charge psychologique et pédagogique. Cela n’a pas été le cas. Elle
a quitté l’école très jeune. Mais d’autres victimes ont fait des études
universitaires. Et j’ajoute qu’elles ne sont pas toutes d’origine maghrébine et
ne sont pas binationales. Certaines sont Françaises tout simplement. Et ces
dernières trouvent plus de difficultés à récupérer leurs enfants quand elles ne
sont pas musulmanes.
Pourquoi ?
Quand une
femme est non-musulmane, elle ne peut pas avoir la garde de ses enfants en
Algérie. Évidemment, une partie des Françaises se convertissent à l’islam quand
elles rencontrent leur mari ou compagnon. Devant le juge, celles-ci peuvent
donc prouver leur conversion à l’islam avec des certificats de la mosquée de
Paris par exemple. Pour les autres, et notamment pour celles qui refusent de
faire semblant d’être musulmanes, c’est plus compliqué. Elles ont seulement le
droit à la visite.
Est-ce
que ces femmes ont le droit de rentrer en France avec leurs enfants quand elles
obtiennent le droit de garde en Algérie ?
Non,
elles ne peuvent pas rentrer. L’ex-mari peut faire opposition en prétextant son
droit de visite, surtout s’il s’est installé en Algérie. Certaines femmes sont
obligées de changer de vie et de laisser tomber leur travail en France pour
s’installer et louer en Algérie. Une victime est restée six mois en Algérie.
Elle a tout abandonné en France. Elle a trouvé un petit travail. Elle était
obligée de mettre le voile pour garder ses enfants. Le comble est que son
ex-conjoint ne venait même pas pour les visites. Elle a attendu six mois avant
de rentrer en France avec ses enfants sans jamais revenir.
Ces
femmes étaient-elles victimes, dès le début, d’un mariage dont le
principal objectif était celui d’acquérir la nationalité française ?
Pour la
majorité des cas, ces hommes s’étaient effectivement mariés pour obtenir la
nationalité française. Quand ils ont des enfants, ils considèrent, au bout d’un
moment, qu’ils leur appartiennent à eux seuls. Et en tant que bons musulmans,
ils devraient élever ces enfants dans un pays musulman. Ils les enlèvent à
leurs mères. Certaines d’entre elles perdent la trace de leurs enfants.
Psychologiquement, elles sont anéanties. Elles ont aussi très peur parce que la
plupart sont menacées par l’ex-mari.