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Violence faites aux femmes : les syndicats entrent dans le mouvement

Amandine Cailhol et Anaïs Moran — 
Cellules de veille, formations, actions en justice… Longtemps en retrait sur le sujet des violences faites aux femmes, les centrales se disent prêtes à dégainer. Comment défendre syndicalement une femme victime de violences sexistes et/ou sexuelles au travail ? 
Depuis l’affaire Weinstein et le mouvement de libération de la parole des femmes qui a suivi, impossible pour les syndicats français de ne pas se poser la question. Mercredi dernier, à la Bourse du travail de Paris, la CGT rassemblait 150 de ses militantes (et quelques dizaines de militants) en vue d’explorer les solutions de lutte contre le harcèlement et les agressions sexuelles au sein des entreprises et des services publics. La veille, la CFDT avait organisé à son siège un rassemblement autour de la même problématique. Et une semaine plus tôt, les deux centrales adressaient, avec la CFTC et FO, une lettre au Premier ministre pour lui demander d’accepter qu’une place spécifique soit accordée aux femmes au sein de la norme sur «les violences dans le monde du travail» en cours de négociations avec l’Organisation internationale du travail. Autant d’initiatives marquent-elles un certain réveil des syndicats ? Faux, répondent les intéressés, qui assurent batailler depuis des années contre le fléau. Avec des succès à nuancer.

«Tabou des deux côtés»

«C’est injuste de dire que la CGT ne s’intéressait pas aux violences sexistes et sexuelles avant ce scandale hollywoodien. Je suis arrivée en 1992 et c’était déjà un combat qui faisait consensus au sein de l’organisation, s’énerve Sabine Reynosa, membre du collectif confédéral Femmes-Mixité.La grande priorité syndicale a toujours été l’égalité salariale, parce que la faute incombe aux patrons et qu’il est facile de taper dessus. Les violences sexistes et sexuelles, elles, concernent tous les acteurs du monde du travail… Et puis, c’est un combat culturel, alors on a du mal à remettre en question nos propres pratiques.»
Côté CFDT, on jure aussi que le sujet est sur la table depuis longtemps. Selon le guide «Prévention des violences sexistes et sexuelles au travail», publié en juin par la centrale, c’est «au début des années 70 que débute une réflexion spécifique». «Mais la première vraie prise de conscience date de 2009», reconnaît Marie-Andrée Seguin, secrétaire nationale en charge de l’égalité de la CFDT. La centrale peine alors à faire monter des femmes à des postes de responsabilité et cherche à identifier les blocages dans les entreprises. Le harcèlement sexuel en fait partie. Avant cela ?«Au niveau confédéral, nous n’avions pas de visibilité, cela ne remontait pas. Dans les entreprises, c’était au cas par cas.» Difficile à l’époque, estime la syndicaliste, de faire émerger ce sujet lié à «l’intime» : «Les femmes ne venaient pas se plaindre. Du côté des syndicalistes, certains ne voyaient pas le mal. Il y avait un tabou des deux côtés. Et puis on ne savait pas faire.» Depuis, il y a eu «un bond spectaculaire», assure-t-elle, notamment grâce à la féminisation du monde syndical : «La CFDT compte 49 % d’adhérentes. Il y a de plus en plus de femmes pour représenter le personnel. La mise en place de la mixité proportionnelle dans les instances représentatives dans l’entreprise [effective au 1er janvier 2017, ndlr] va dans ce sens. Cela permet d’appréhender les sujets différemment». Mais des marges de progrès existent. Le syndicalisme reste très masculin et les femmes, là aussi, ont encore du mal, à briser le plafond de verre.
Pour poursuivre le combat, la CFDT multiplie les «journées de travail»et les outils de formation des syndicalistes. En décembre 2016, la CGT a, de son côté, créé une «cellule de veille» expérimentale pour accompagner les victimes de violences sexistes et sexuelles au sein même de la confédération. La sanction pour l’agresseur peut aller jusqu’à l’exclusion et le retrait de mandat. Sophie Binet, dirigeante de la confédération en charge de l’égalité entre les femmes et les hommes : «On se doit d’être exemplaires. On ne peut pas distribuer à 30 000 entreprises des fascicules qui listent les outils à mettre en place pour combattre les violences au travail [une action de 2015, ndlr] et faire comme si la CGT n’était pas concernée par le problème en interne.»

«Arsenal juridique»

Mais pour Sophie Binet, «on a beau mettre en place des dispositifs et signer des accords [le dernier accord national interprofessionnel sur le sujet date de 2010, ndlr], tant qu’on ne disposera pas d’un arsenal juridique complet, les choses évolueront trop lentement». C’est pourquoi la CGT réclame des mesures spécifiques au monde du travail dans le projet de loi contre les violences sexistes et sexuelles, promis pour 2018 par le gouvernement. Exemples : instaurer de nouveaux droits pour la protection des victimes (selon une enquête de l’Ifop, 40 % d’entre elles estiment que le règlement de leur entreprise leur a été défavorable suite à leur prise de parole), renforcer le rôle et les moyens de l’inspection et de la médecine du travail, ou encore sanctionner les employeurs qui ne font pas de prévention (plus de 82 % des entreprises, d’après l’Ifop). La centrale craint par ailleurs que le projet de réforme du code du travail réduise les moyens des syndicats, notamment ceux du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) chargé de la «prévention en matière de harcèlement sexuel et de harcèlement moral». Fusionné avec les autres instances représentatives du personnel, il pourrait, selon la CGT, voir ses prérogatives fondre.
Autre outil à disposition des syndicats : la faculté de mener des actions en justice en faveur d’un salarié, et ce avec son accord. Mais cette possibilité reste très peu utilisée, selon Marie-Andrée Seguin, de la CFDT. Et pour cause : «Dans bien des cas, il n’est pas évident d’obtenir l’assentiment des victimes.» Malgré leurs efforts, difficile donc pour les syndicats d’apparaître comme les bons interlocuteurs. Ce que confirme Frédéric Paré, conseiller prud’homal à Paris : «Je vois très peu d’affaires portées par les syndicats.» Selon lui, les victimes, «pas assez à l’aise pour parler librement de leur vécu dans leur entreprise», préfèrent demander de l’aide à l’Association européenne des violences faites aux femmes au travail (AVFT). «Elles veulent s’extraire de la structure. D’ailleurs, les syndicats l’ont compris et orientent de plus en plus les victimes vers l’AVFT