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Rien ne prouve que 70 % des détenus au Nigeria « n’ont jamais été condamnés »

Par
Allwell Okpi, Africa Check, 26 avril 2018

Un
éditorialiste a récemment indiqué que la « surpopulation » des prisons du
Nigeria était lié au fait qu’environ 70 % des détenus « n’ont jamais été
condamnés pour aucun crime ». Est-ce correct ?
Un homme
arrêté pour non-respect de la Charia attend d’être emprisonné après une
audience à Bauchi en août 2007. Photo : AFP

Des
prisonniers nigérians purgeant une peine d’emprisonnement au Royaume-Uni
pourraient être renvoyés chez eux pour finir leur peine dans un nouveau
pavillon de 112 lits du complexe pénitentiaire Kirikiri à Lagos. Le
gouvernement britannique prévoit de
construire
ce pavillon pour un coût de 299,6 millions de nairas
(plus de 450,5 millions de FCFA).

L’annonce du
projet
, en mars 2018, a suscité un débat au Nigeria sur le mauvais
état des prisons du pays.
Un
éditorialiste du journal This Day
a parlé de « surpopulation des prisons nigérianes ». Citant de nombreux
rapports d’Amnesty International, il a affirmé
qu’ « environ 70 % des personnes dans les prisons nigérianes n’ont jamais été
reconnues coupables d’un crime ».
Le
journal n’a pas répondu à la demande d’Africa Check pour la source exacte de la
statistique.
Est-il
 pour autant exact que les détenus non condamnés constituent 70 % de la
population carcérale du Nigeria ?
Plus de
49 000 détenus attendent d’être jugés
Les
statistiques du Service des prisons du Nigeria
indiquent que les
établissements pénitentiaires du pays comptaient
72 277 détenus à la
date du 16 avril 2018.
Parmi
ceux-ci, seulement 23 048 étaient des prisonniers condamnés. Les 49 229
restants – soit 68,1 % de la population carcérale – étaient en attente de
jugement.
Le
porte-parole des services pénitentiaires, Francis Enobore, a déclaré à Africa
Check qu’il essayait d’aider les personnes en détention préventive à « accéder
à la justice le plus rapidement possible ». Mais le débat sur la situation des
détenus en attente de procès dépassant le nombre de condamnés au Nigeria n’est
pas nouveau.
Les
chiffres de la World Prison Brief
montrent que la proportion de détenus en attente de procès dans les prisons du
Nigeria varie de 63 % à 74 % depuis 2000.
Le
dossier est compilé par l’Institut de
recherche sur les politiques criminelles
de l’Université de Londres.
Ses informations proviennent du gouvernement et d’autres sources officielles,
et elles sont publiées chaque mois.
Cependant,
M. Enobore ne pouvait pas dire combien de détenus en attente de jugement
n’avaient jamais été condamnés « pour un crime ».
« Nous
n’avons pas de telles données », a-t-il déclaré. « Parfois, nous sommes en
mesure d’identifier certains individus qui viennent en prison pour la deuxième,
troisième ou quatrième fois pour différents crimes. Certains d’entre eux avouent
au moment de l’enquête qu’ils ont déjà été condamnés et ont purgé une peine
d’emprisonnement ou ont payé une amende ».
Mauvaises
enquêtes
En ce qui
concerne les procès, le travail commence souvent par l’enquête, a déclaré à
Africa Check Monday Ubani, un avocat basé à Lagos. Si l’application de la
loi « n’est pas correcte durant l’enquête », a-t-il dit, « cela impacte le
procès ». « Deuxièmement, la cour est submergée par des dossiers ».
« L’usage
des technologies de l’information est presque nul. Les magistrats recueillent
des preuves de façon manuelle. Vous pouvez imaginer combien ils doivent écrire
par jour. Cela prolonge la durée des procès », a-t-il noté.
L’avocat,
ancien président du barreau, a déclaré que les conditions de mise en liberté
sous caution « très dures et pénibles » étaient une autre raison du grand
nombre de prisonniers en attente dans les prisons du Nigeria.
Nouvelle
loi pour accélérer les procédures
En 2015,
le Nigeria a adopté une nouvelle loi, l’Administration
of Criminal Justice Act
, pour accélérer les procès. « La nouvelle
loi, entre autres choses, rejette les appels sur les questions interlocutoires
», a déclaré M. Ubani.
Elle
précise si un tribunal a compétence pour entendre une affaire. Elle « limite
également le nombre d’ajournements et stipule qu’un procès devrait se dérouler
au jour le jour » autant que possible. Mais ce nouveau texte n’a pas encore
permis de réduire le nombre de détenus en attente de procès, a déclaré à Africa
Check, Malachy Ugwummadu, également avocat.
Il est
président du Comité nigérian pour la défense des
droits de l’Homme
, une organisation de la société civile qui œuvre
pour la protection des droits des Nigérians, en particulier des détenus.
« Nous,
les praticiens du droit et la société civile, avons commencé à constater des
améliorations dans le système », a déclaré M. Ugwummadu. « Nous nous attendons
à ce que cela s’améliore avec le temps, car les juges comprennent mieux la loi
».

Conclusion
: aucune donnée disponible sur les détenus en attente de procès
Les
chiffres du Service pénitentiaire nigérian montrent que les deux tiers des
détenus doivent encore être jugés. Les raisons invoquées comprennent des
enquêtes de mauvaise qualité, la congestion des tribunaux et des conditions
strictes de libération sous caution.
Bien
qu’une nouvelle loi ait été adoptée pour accélérer les procédures, des efforts
doivent être faits pour réduire  le nombre de détenus en attente de
procès.
Le
service des prisons ne dispose pas de données sur le nombre de personnes qui
ont été reconnues coupables d’un autre crime auparavant. L’affirmation selon
laquelle « environ 70 % des personnes dans les prisons nigérianes n’ont jamais
été reconnues coupables d’un crime » n’est donc pas prouvée.