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Institutions, contrôle et sécurité : ils meurent du côté du gouvernement pour renaître comme contre-pouvoirs coopératifs

Giso Amendola 14/06/2020
Un événement (maudit)

Tradotto da  Rosa Llorens


J’aimerais réinterpréter, un peu à ma façon, l’invitation d’Anna Simone – dans cet espace qui a construit une très riche capacité de connexion dans la distanciation, contribuant à éviter que la distance physique devienne auto-isolement dans nos identités – à être dignes de l’événement. Deleuze et Guattari invitaient à penser l’événement comme ce qui ne peut être reconduit à une linéarité historique, à une idée « progressive » de développement : une interruption. En même temps, cette interruption n’est nullement une nouvelle origine, ce n’est pas une sorte de commencement absolu : elle rompt la continuité, mais pas pour la restituer. Elle rompt bien plutôt l’idée même de continuité. L’événement est un impromptu, un coup de dés. Pour Deleuze et Guattari, l’image par excellence de l’événement, c’est mai 68. Ce serait le trahir que de le réinsérer dans une parfaite continuité historique, de le construire comme le résultat d’un processus, ou un nouveau début absolu et transcendant.
Possible mais non prévisible, c’est une « déviation » qui « ouvre un nouveau champ de possibles ». Comment faire pour en être digne ? En en assumant la charge de transformation, en se laissant modifier (Deleuze et Guattari, 2010, pp. 188-190). Une pandémie est évidemment un événement d’une tout autre espèce, ici, ce qu’il y a de non assimilable, c’est un deuil maudit, non une joie vitale. Son imprévisibilité même à plus à faire avec l’impréparation de nos systèmes sociaux face à quelque chose de pourtant attendu et décrit. Et pourtant, même dans cette version terrible, le sens de l’événement demeure : la rupture d’un équilibre, un effet littéralement étrangeant. Toujours dans leur intervention sur mai 68, Deleuze et Guattari décrivent – l’article est de 1984 – l’état d’esprit des « enfants de mai 68 » :
« Ils sont bizarrement indifférents, et pourtant très au courant. Ils ont cessé d’être exigeants, ou narcissiques, mais savent bien que rien ne répond actuellement à leur subjectivité, à leur capacité d’énergie. Ils savent même que toutes les réformes actuelles vont plutôt contre eux. Ils sont décidés à mener leur propre affaire, autant qu’ils peuvent. Ils maintiennent une ouverture, un possible. » (« Mai 68 n’a pas eu lieu », in Chimères 2007/2 (N° 64), pages 23 à 24)
Cela ressemble tout à fait à l’état d’esprit de bien des gens qui, répétant avec rage et espoir le slogan chilien des mobilisations de l’année dernière, « nous ne voulons pas revenir à la normalité, parce que c’était la normalité qui était le problème », voient justement, aujourd’hui, la tentative de rétablir, à étapes forcées, les mêmes équilibres, les mêmes modèles, à commencer par le modèle productif, qui ont caractérisé notre monde avant la pandémie. Dans cet état d’esprit de « phase deux », avec le refus de la protection sociale et des industries qui repartent tout comme avant, avec une tragédie sanitaire pour laquelle personne n’assume de responsabilités, et des écoles qui doivent hurler leur absence des préoccupations gouvernementales, être dignes de l’événement signifie essentiellement, je crois, préserver cette ouverture de possibilités, ne pas permettre que ce qui arrive soit réabsorbé dans le rétablissement d’une continuité renouvelée.
Couper la tête du roi : le contrôle au-delà de la répression
Je crois que ce risque de rétablir l’ordre et de fermer le sens du possible est présent dans la tentation historique de donner une réponse entièrement linéaire à tout ce qui nous arrive. Même et surtout dans la question du contrôle social, la tentation de contourner l’événement pour rétablir une continuité historique et théorique pacifique est toujours un bon moyen de neutraliser ce sens de la possibilité et de nous l’arracher des mains.
Ici, la référence à mai 68 peut devenir peut-être plus précise. Comment quelqu’un comme Foucault a-t-il su « rester fidèle à l’événement » ? En transformant, comme on sait, sa critique des savoirs en une critique des pouvoirs. Mais plus précisément en élaborant une critique sur l’idée répressive du Pouvoir et sur la centralité de la Souveraineté. Parce qu’il a signalé justement dans une idée du pouvoir comme « essence » souveraine, dans le modèle juridique de pouvoir construit depuis Hobbes comme « monopole », un risque fondamental de blocage pour la possibilité de construire une résistance. Le pouvoir ne se « détient » pas, ce n’est pas un attribut d’un sujet, surtout pas d’un sujet souverain : les dispositifs de pouvoir sont essentiellement relation, rapport. Et ils ne fonctionnent pas de façon répressive, mais productive : ils ne régulent pas des comportements et des sujets abstraitement préexistants à la relation de pouvoir, ils traversent les sujets. Les subjectivités se construisent toujours dans la dynamique de relation avec le pouvoir, une dynamique toujours ouverte :
« […] là où il y a pouvoir, il y a résistance, et […] pourtant, ou plutôt par là-même, celle-ci n’est jamais en position d’extériorité par rapport au pouvoir » (Foucault, Histoire de la sexualité, 1. La volonté de savoir, pp. 125-126).
On comprend très bien évidemment que, face à la plus classique des situations exceptionnelles, celle de l’épidémie, l’attention se soit d’abord portée sur les risques de la mise en place des pouvoirs d’urgence, risques tous tout à fait réels et préoccupants. Cependant, le problème, c’est que cette urgence s’établit toujours comme un rapport : représenter l’urgence sanitaire comme une pure et simple résurrection de la centralité répressive est précisément le meilleur moyen d’effacer la relation, les conflits, les résistances, et surtout les subjectivités qui opèrent dans cette urgence.
C’est une vieille leçon des études critiques du contrôle social : le contrôle ne peut jamais être représenté comme une simple activité répressive. Les formes du contrôle sont toujours forcées de se réarticuler et de se modifier par les sujets, elles sont toujours en tension, en relation avec les subjectivités sur lesquelles la machine du contrôle se déploie.
L’histoire de l’entrecroisement entre pouvoir et santé est bien le meilleur exemple de la façon dont, en se centrant exclusivement sur l’aspect répressif, on finit par dissimuler les conflits, les résistances, les tensions réelles qui traversent le contrôle social. Disons, de façon très synthétique, que l’histoire du bio-pouvoir ne peut être réductible à l’histoire de la souveraineté de l’État, ce n’est pas l’histoire de l’expansion progressive et linéaire du pouvoir de l’État sur nos corps. Loin de là : c’est l’histoire de l’entrecroisement indissoluble de luttes et de résistances qui transforment continuellement la machine de l’État. Foucault lui-même a averti bien des fois qu’il ne faut pas considérer la médicalisation de la vie et la santé publique comme une étatisation linéaire de la vie. La cité médiévale de la lèpre est fondée sur un principe d’exclusion radicale du lépreux, rigoureusement maintenu hors des murs de la ville. Par contre, la cité « moderne » de la peste construit un système de contrôle, d’inscription, d’enfermement des corps à l’intérieur de la ville même (Foucault, Surveiller et punir, p. 191 et suiv.).
Mais cette prise interne ouvre à un double mouvement : d’un côté, elle est discipline des corps individuels, de l’autre, elle est développement d’un processus de normalisation et d’administration de la santé publique, qui est aussi une continuelle activité de socialisation de la santé elle-même. Dans les murs de cette cité, on ne renforce pas la « prise » de la souveraineté, mais une transformation très tendue de ses fonctions : plus la vie entre sous la prise en charge du pouvoir, plus s’ouvrent des tensions impossibles à résoudre dans le rapport entre gouvernement de la santé de la population et pouvoir sur la vie elle-même. Le pouvoir de vie et de mort du souverain est remplacé par une prise sur la vie qui doit en permanence en gérer, défendre et accroître la force : non plus pouvoir de faire mourir, et en deuxième instance laisser vivre, mais faire vivre, accroître l’énergie de la population, et laisser mourir, – pousser dans la mort ce qui est se révèle improductif. Cependant, ce rapport devient de plus en plus tendu et conflictuel. L’exigence productive dicte les rythmes et transforme le pouvoir en technologie de gouvernement.
Mais les dispositifs de gouvernement ont toujours sous les yeux justement le mouvement de cette vie qu’ils socialisent et renforcent. Le développement de la santé publique est ainsi un champ de bataille : l’hygiénisme remodèle les villes selon les exigences de la prévention des infections et contagions, mais il doit affronter les rébellions continuelles, les fuites, les résistances au pouvoir de normalisation. L’exigence de maintenir en bonne santé productive la force de travail fera naître le Health Service (Service de santé) en Angleterre, mais la présence même du service sanitaire introduit un élément de force collective dans la revendication de santé et de services qui conduira jusqu’au plan Beveridge, peut-être la médiation ultime et plus avancée de ce processus (Michel Foucault, Dits et écrits, 1954-1988, Tome III, 1976-1979, n°170).
Santé et protection sociale entre normalisation et luttes
Médicalisation et contrôle social, santé et normalisation marchent donc certainement ensemble : mais c’est tout autre chose que l’histoire d’une expansion linéaire de la prise du Pouvoir ou de l’Appareil sur la vie. Entre dispositifs de contrôle et production de subjectivité, il y a toujours relation et lutte, aucun bio-pouvoir ne peut en faire la synthèse. Ce n’est pas par hasard que le projet théorique même de Foucault doit enregistrer cette tension, et glisser de l’étude des disciplines à celle des contre-conduites et, enfin, des processus de subjectivation autonomes.
L’histoire de la protection sociale devient ainsi l’histoire des luttes dans la protection sociale. Si nous continuions à suivre Foucault, au-delà de l’image d’Epinal qui en fait seulement le « chantre » de la nature disciplinaire des institutions totales (expression, ce n’est pas un hasard, qu’il préfère ne pas utiliser), nous verrions que le jeu entre gestion d’ensemble de la population et individualisation des risques produit continuellement ses effets de subjectivation. La société punitive discipline la force de travail, en en construisant le sujet ; mais elle la socialise continuellement, produisant des résistances collectives et la nécessité d’élargir le champ du gouvernement, de sortir de la discipline et d’élaborer de nouvelles rationalités de gouvernement. L’histoire de la progressive médicalisation suit le même rythme : bien loin d’être une histoire linéaire de capture, elle produit accroissement de la résistance et subjectivité collective, comme le montre l’histoire du Health Service anglais qui, né dans la logique du gouverner, gérer et améliorer la force de travail, doit continuellement remodeler le rapport entre individualisation de la santé et intervention politique de programmation et normalisation.
Mais quittons pour le moment Foucault : nous pourrions trouver ce champ de tension, déployé dans l’histoire du système sanitaire italien, avec une force encore plus évidente. L’appropriation de savoirs et de pratiques dans les luttes ouvrières a constitué une force de transformation et de conflits, qui a connoté la politique sanitaire publique, mettant toujours en tension la définition même de « public » avec la nature « étatique » du système sanitaire, jusqu’à construire, autour du seuil entre usine et territoire, des nœuds de contre-pouvoir effectif dans/contre le système sanitaire lui-même. L’irruption du mouvement féministe introduit l’autodétermination au cœur des politiques sanitaires. Le mouvement de désinstitutionalisation, avec Basaglia, deviendra la clé de voûte du processus « réformiste » (Giorgi, 2020) : en même temps, et de façon significative, l’accent mis sur la nature de classe de la lutte contre l’asile, souvent mise entre parenthèses ou réduite, dans les reconstructions historiques, à une sorte de péage payé à l’esprit du temps, est un point sur lequel Basaglia ne cédera jamais, jusqu’à y revenir même après la réforme, en tant que clé de la résistance contre les tentatives de normalisation et de « clôture de la contradiction », que le psychiatre vénitien repérera immédiatement comme le vrai risque ouvert par l’approbation de la loi 180*.
Le processus de réindividualisation de la santé, et la relance de la nature de gestion et d’assurance du welfare sanitaire, imposés par le néo-libéralisme à partir de la fin des années 70, devient incompréhensible dans son sens si on l’envisage séparément de cette dimension d’accumulation de forces et d’ouverture de contradiction au cœur de l’État social : une riposte nécessaire contre l’impossibilité de contenir dans la logique du contrôle social la très forte socialisation de la force de travail produite à l’intérieur des dispositifs mêmes de « prise en charge » et gestion de la vie.
Ce point est crucial, et c’est bien celui qui est effacé par les représentations trop linéaires de l’histoire du contrôle social : le passage des disciplines à la gouvernementalité néo-libérale n’est pas un processus de transformation entièrement interne aux modalités de gouvernement. Ce n’est pas une sorte d’auto-critique ou d’« affaiblissement » du gouvernement : le remodelage des rationalités du pouvoir est rendu nécessaire par l’ « indiscipline » des subjectivités. Le néo-libéralisme ne sape pas la programmation du welfare du fait d’une sorte d’épuisement de la force de celle-ci, mais parce que cette programmation ne contient plus, ne rediscipline pas la production de subjectivité qui s’est développée dans la protection sociale.
Le système de santé (collectif) doit être ramené à la santé (individuelle) parce que la vie excède les limites du modèle productif à l’intérieur duquel les systèmes sanitaires avaient été pensés pour la gérer. Si la société du contrôle (en spirales de serpent, disait Deleuze) remplace la société des disciplines (en trous de taupe), c’est parce que la taupe a bien creusé, et a détruit ses trous.
Laisser mourir : la « faillite » nécropolitique du néo-libéralisme
Le gouvernement néo-libéral réagira en réindividualisant la vie. Il s’affirme initialement justement en captant l’énergie qui a rompu la programmation « étatique » et tout ce que celle-ci continuait à imposer de disciplinaire. Mais il reste l’impératif de faire vivre et laisser mourir. Sa crise constitutive réside exactement dans le fait que, en s’efforçant de rompre la socialisation de la force de travail pour la ramener à la mesure imposée par l’extraction de valeur du capital, il lui est impossible, en dernière analyse, de développer la vie. Au sens littéral : même en assumant l’impératif de faire vivre, elle ne peut que laisser mourir. S’il y a, dans le néo-libéralisme, une terrible charge nécropolitique, c’est justement dans cette « prise manquée », dans cette crise radicale de l’équilibre entre gouvernement et développement de la vie (et de la force de travail), crise dont le néo-libéralisme commence à s’emparer, en assumant en son sein les éléments de violence de façon de plus en plus explicite. Nous l’avons vu en Méditerranée : l’abandon à la mort devient, même publiquement, exprimable et revendicable en tant qu’instrument de régulation des migrations.
Attention cependant à ne pas confondre : aucun retour de l’ancien droit souverain de mort. Il ne s’agit pas ici d’une concentration de pouvoir de décision (encore une fois : en rester à l’histoire « souveraine » du pouvoir et à son « essence » brouille les idées). Cet aspect nécropolitique émerge plutôt à partir de l’échec de la capacité de gouvernement, de son impossibilité de gérer et multiplier les forces de la coopération sociale, les énergies de la subjectivité. Alessandro Pandolfi l’a excellemment formulé ainsi :
« Le redimensionnement de l’homogénéisation administrative et la crise des programmes de distribution et d’assistance de la biopolitique conduisent à une situation d’indifférence les relations précédentes du pouvoir avec la vie et la mort. Dans ce no man’s land politique, semblent se fondre le vieux droit prémoderne de « faire mourir ou de laisser vivre » et le pouvoir plus récent « de faire vivre ou de repousser dans la mort » (Pandolfi, 1978, p. 18).
C’est l’impuissance à assurer à la fois extraction capitaliste et préservation des structures de base de reproduction de la vie qui rend le néo-libéralisme nécropolitique. Nous trouvons encore une fois la disjonction que nous avons suivie : se retirer de toute capacité programmatique ne produit pas l’assujettissement intégral des subjectivités, mais, au contraire, l’impossibilité de les ramener à la logique gouvernementale. Dans le moment où on attaque les infrastructures mêmes de reproduction de la vie, en réalité, l’autonomie de ces infrastructures devient évidente. L’équilibre entre programmation et individualisation tourne à vide, encore une fois non du fait de l’épuisement de la force de la coopération sociale, mais justement du fait de sa centralité, sur laquelle ne repose plus de capacité de gouvernement. Le monde riche d’aptitudes, d’expériences, d’intelligence collective sur lequel le néo-libéralisme a essayé de s’imposer comme un contre-mouvement, comme un exercice à la fois de captation et de renversement, se découvre exposé à l’abandon, à l’incapacité de projet, et en même temps à la violence mortifère qui s’ensuit, mais il acquiert en même temps toute son autonomie.
La déconnexion : des institutions comme contre-pouvoirs
L’expérience de la pandémie nous a mis sous les yeux exactement ce paysage : l’incapacité du modèle néo-libéral à gouverner la vie, sa violence dans la tentative de rétablir un pouvoir impossible, et, en même temps, l’autonomie et la force des structures d’autoprotection sociale. La tentative des versions les plus violentes et cyniques du néo-libéralisme d’affirmer le laisser mourir dans toute sa dureté a duré l’espace d’un matin : son nom a été « immunité de groupe », c’est-à-dire apologie complète et explicite du darwinisme social ; elle a retardé l’intervention du contrôle épidémique, et a bien vite laissé place à une tardive intervention de de contrôle. Ainsi s’est ouvert un conflit manifeste : d’un côté, la capacité d’autoprotection collective des personnes, et les luttes, dans les usines, dans la santé et la protection sociale, pour affirmer le primat de la reproduction sociale, de la vie et de ses structures fondamentales ; de l’autre, la tentative de rétablissement de la priorité du système productif. Un champ de luttes marqué non plus par le simple rapport pouvoir-résistance, mais par la constitution des résistances dans un champ d’autonomie, face à l’incapacité, par épuisement, de la programmation étatique à garantir la protection.
La précision de Foucault, dans les interventions des dernières années de sa vie, nous signale le champ qui s’est ouvert depuis la faillite du néo-libéralisme – qui ne signifie pas, bien entendu, dépassement ou épuisement présumés, mais incapacité de gouvernement, menace de violence et d’exposition à la mort. C’est un champ qui est tout entier sous le signe de la déconnexion entre l’intensification des capacités des subjectivités et les relations de pouvoir qui les traversent : c’est une relation qui se présente désormais à tout le moins comme intransitive, sinon comme (potentiellement) antagoniste.
« S’il est vrai que le malaise actuel met en question tout ce qui peut être associé à l’autorité institutionnelle étatique, alors les réponses ne viendront pas de ceux qui gèrent cette autorité : elles devraient en fait être apportées par ceux qui visent à contrebalancer la prérogative étatique et constituer des contre-pouvoirs. » (Foucault, Histoire de la sexualité)
C’est exactement ce que nous voyons à l’œuvre dans la pandémie.
Si donc nous abandonnons les lectures linéaires et continuistes, centrées sur le couple contrôle/souveraineté, et que, après avoir coupé la tête du roi, nous réactivons tout ce qui nous vient des lectures conflictuelles (et matérialistes!) du contrôle social, nous pouvons proposer la perspective de la récupération de la capacité d’invention institutionnelle de la part des forces de la coopération sociale : non plus dans une relation symétrique pouvoir/résistance, mais précisément dans la rupture, ou du moins le déséquilibre non récupérable, de ce rapport. Si une capacité de gouvernement peut être réinventée, elle est aujourd’hui entièrement du côté de la coopération sociale. Sécurité, contrôle, gouvernement ont été érodés par la logique néo-libérale : mais ils peuvent être récupérés et transformés, non plus du côté du pouvoir, ni même du côté de la résistance au pouvoir, mais dans les capacités d’autonomie des subjectivités et au cœur de la reproduction sociale. Le fait que les mouvements politiques globaux qui traversent et animent les luttes soient des mouvements écologistes et féministes indique très clairement quels sujets peuvent aujourd’hui réinventer des institutions capables de protéger la vie.
NdE
* La loi Basaglia ou Loi 180 (en italien: Legge Basaglia, Legge 180) adoptée par le Parlement italien le 13 mai 1978, a lancé le démantèlement progressif des hôpitaux psychiatriques. La mise en œuvre de la loi de réforme psychiatrique a été réalisée en 1998, ce qui a marqué la fin du système d’hôpital psychiatrique d’État en Italie. Le principal promoteur et architecte de cette loi a été le psychiatre Franco Basaglia (1929-1984), organisateur de communautés thérapeutiques à Gorizia et Venise, et fondateur du mouvement Psychiatrie Démocratique (1973)
Bibliographie
Gilles Deleuze, Félix Guattari, Mai 68 n’a pas eu lieu
Michel Foucault, La volonté de savoir. Histoire de la sexualité I.
Michel Foucault, Surveiller et punir.
Michel Foucault, La nascita della politica sociale, in Id., Archivio Foucault 2, a cura di A. Dal Lago, Feltrinelli, Milano, 1997
Chiara Giorgi, La sanità da riscoprire. Le radici politiche del Servizio Sanitario Nazionale [La santé à redécouvrir. Les racines politiques du Service Sanitaire National]
Alessandro Pandolfi, L’etica come pratica riflessa della libertà. L’ultima filosofia di Foucault [L’éthique comme pratique réfléchie de la liberté. La dernière philosophie de Foucault], in M. Foucault, Archivio III, dirigé par A. Pandolfi, Feltrinelli, Milano, 1978
Foucault, Un sistema finito di fronte a una domanda infinita [Foucault, Un système fini face à une demande infinie], in M. Foucault, Archivio Foucault III, dirigé par A. Pandolfi, Feltrinelli, Milano, 1978