General

Coronavirus : la nécessité d’une réponse internationaliste progressiste

Transnational Institute 04/05/2020
Réflexions de l’équipe du TNI sur la pandémie de COVID-19

Tradotto da Fausto Giudice
Cette crise sanitaire pandémique met en lumière les injustices de l’ordre économique mondial. Elle doit être un tournant vers la création de systèmes, de structures et de politiques qui puissent toujours protéger les personnes marginalisées et permettre à chacun de vivre dans la dignité.
L’analyse ci-dessous est le résultat d’une discussion collective menée par l’équipe du TNI sur les nombreuses dimensions de la pandémie COVID-19 en s’appuyant sur la sagesse de nombreux alliés et amis. Nous espérons qu’elle permettra de relier certains des points de cette urgence sanitaire complexe et toujours en cours et de soutenir les mouvements qui luttent pour protéger les plus marginalisés et pour construire un monde plus juste.
Cette crise sanitaire pandémique a un impact sur un monde déjà en crise. Elle aura un impact disproportionné sur les plus vulnérables de notre société et en particulier dans les pays du Sud si nous ne nous mobilisons pas et n’exigeons pas une réponse juste à la pandémie. C’est un signal d’alarme sur le fait que le système économique capitaliste actuel n’est pas apte à protéger notre santé en tant qu’individus ou en tant que sociétés. Nous devons tirer les leçons qui s’imposent pour vaincre le COVID-19, faire face aux multiples crises auxquelles nous sommes confrontés – de l’accélération des inégalités à la crise climatique – et construire la société juste et durable que nous souhaitons tous.
Priorités immédiates : protéger les personnes rendues vulnérables par l’ordre économique mondial
La pandémie se développe dans un monde profondément inégalitaire et déjà confronté à une crise sociale et environnementale multidimensionnelle. Des milliards de personnes sont déjà dans des conditions très précaires en raison de l’économie mondiale injuste et n’ont donc ni la bonne santé ni les possibilités économiques pour faire face au virus ou aux perturbations économiques et sociales plus larges qui en résultent. Pour la majorité des habitants des pays du Sud, cette pandémie risque d’être particulièrement dévastatrice compte tenu des séquelles du colonialisme, des décennies d’endettement et d’ajustement structurel et des relations commerciales injustes. Cet héritage a laissé les systèmes de santé et les systèmes sociaux considérablement sous-financés, affaiblis et privatisés et encore moins équipés que les systèmes de santé surchargés du Nord pour faire face à une pandémie. Nous devons donc nous battre pour que toutes les politiques publiques actuelles visent à soutenir les plus vulnérables et les plus marginalisés plutôt qu’à récompenser davantage les riches et les puissants.
Il pourrait s’agir de mesures immédiates telles que
Renflouer ceux qui perdent leur emploi et leurs revenus plutôt que de renflouer l’industrie.
Reprendre des hôtels, des hôpitaux privés, des entreprises qui fournissent des services de luxe et les mettre au service de besoins sociaux cruciaux.
Empêcher les géants de l’industrie pharmaceutique de profiter des médicaments et des équipements médicaux nécessaires pendant la pandémie.
Conditionner tout soutien aux entreprises à l’amélioration des conditions de travail, des pratiques, des droits du travail, des pratiques environnementales, à une participation accrue des travailleurs et à l’action en faveur du climat.
Donner la priorité de l’aide publique et des services de santé aux sans-abri et aux communautés marginalisées, en particulier les communautés qui ont longtemps subi la criminalisation et l’exclusion, comme les toxicomanes, les travailleur·ses du sexe et les migrants sans papiers.
Des salaires de subsistance dignes pour tous ceux qui sont en première ligne pour répondre à la crise – travailleur·ses de la santé, soignant·es, agents sanitaires, agents d’entretien et paysans/agriculteurs, travailleurs agricoles, pêcheurs qui continuent à produire notre nourriture.
Rediriger les ressources des dépenses militaires et des subventions aux entreprises vers la satisfaction des besoins sociaux et de santé publique cruciaux.
Le soutien aux systèmes alimentaires locaux et territoriaux basés sur la garantie d’accès à la terre, les pratiques agroécologiques, la souveraineté alimentaire et la production d’aliments sains.
Mettre fin à la détention et à la criminalisation des réfugiés et à la militarisation des frontières, en axant les contrôles aux frontières sur les besoins de santé publique plutôt que sur la répression.
Mesures d’urgence pour protéger la santé et les droits humains des populations vulnérables, notamment les réfugiés, les travailleurs migrants bloqués et les personnes déplacées à l’intérieur des pays.
Soutenir les petites entreprises qui luttent pour survivre à cause de la crise plutôt que les grandes sociétés de plate-forme comme Amazon qui en profitent déjà.
Amnistie urgente des prisonniers politiques et des délinquants non violents, dont les personnes accusées de trafic de substances illicites, afin de réduire les effets désastreux du virus sur les populations carcérales.
À l’échelle mondiale, cela devrait inclure, entre autres :
Mettre fin à toutes les sanctions économiques qui touchent de manière disproportionnée les populations pauvres dans des pays comme l’Iran et le Venezuela.
L’annulation de la dette afin que les pays puissent réorienter leurs ressources vers la lutte contre la crise sanitaire.
L’augmentation de l’aide (dons plutôt que prêts et sans conditionnalités néolibérales) pour les pays du Sud en première ligne de la pandémie.
Suspension des ISDS (mécanismes de règlement des différends entre investisseurs et États) et d’autres mesures commerciales injustes qui imposent une charge financière et sapent la capacité des pays à donner la priorité aux besoins publics.
Interdiction des brevets et des droits de propriété intellectuelle pour les vaccins/médicaments.
La crise met en évidence les défaillances et les injustices du système capitaliste mondial
Le COVID-19 a révélé les vulnérabilités et les injustices massives du système capitaliste mondial. Il est essentiel que nous les comprenions afin de prévenir de futures pandémies et d’apprendre comment nous pouvons faire face à d’autres crises futures, telles que la crise climatique. Le COVID-19 révèle :
un monde dangereusement inégalitaire où des millions de personnes sont rendues particulièrement vulnérables en raison de leur classe, de leur race ou de leur sexe et un ordre économique mondial injuste où les pays du Sud sont mal préparés à faire face aux pandémies.
une agriculture industrielle capitaliste dont les pratiques, notamment les atteintes toujours plus nombreuses aux forêts et autres écosystèmes vulnérables, ont entraîné l’arrivée d’agents pathogènes toujours plus dangereux dans les milieux humains.
une chaîne d’approvisionnement mondiale fondée sur la maximisation des profits des entreprises plutôt que sur la garantie d’une fourniture sûre et résiliente de biens essentiels.
un filet de sécurité sociale très faible et déchiqueté, incapable de soutenir ceux qui, comme les personnes handicapées, sont touchés par les perturbations de la pandémie.
une crise de la précarité, car des milliards de personnes sans travail décent ou formel, par exemple dans l’économie des petits boulots au Nord et dans l’économie informelle au Sud, se retrouvent sans revenu et presque sans filet de sécurité, lorsque les clients disparaissent.
une crise des sans-abris, où des millions de personnes sont menacées de perdre leurs services et sont en danger en raison de problèmes de santé chroniques.
un système de santé qui a été systématiquement affaibli par l’austérité et la privatisation, où la santé n’est pas accessible à tous et où les travailleur·ses sont genré·es et racialisé·es.
une industrie pharmaceutique qui, poussée par l’appât du gain, n’a pas suffisamment investi dans les vaccins et les médicaments pour traiter et prévenir les virus.
un isolement social causé par le néolibéralisme qui signifie que de nombreuses personnes font face à cette pandémie seules et sans les systèmes d’aide sociale existants.
Nous devons être vigilants face aux forces réactionnaires qui chercheront à tirer profit de cette crise
Toute crise voit des forces chercher à en tirer profit – et nous devons être vigilants pour les dénoncer et empêcher qu’elles ne capitalisent sur cette crise sociale.
En particulier, nous devons nous opposer aux entreprises qui cherchent à en tirer profit, comme les géants pharmaceutiques et les prestataires de services de santé privés.
Nous devons également nous opposer aux racistes et aux politiciens réactionnaires qui profitent de cette occasion pour blâmer les Chinois, les migrants et les autres minorités ethniques et pour mettre en œuvre des programmes réactionnaires et xénophobes qui privent les gens de leurs droits fondamentaux.
Enfin, nous ne devons pas laisser ce moment normaliser l’utilisation de la surveillance, des actions militaires ou des mesures autoritaires qui sapent la liberté et la démocratie. La surveillance et les restrictions de mouvement doivent être combinées avec des mécanismes de responsabilité démocratique pour évaluer de manière indépendante si elles sont nécessaires et pour s’assurer qu’elles sont abrogées lorsque cela est possible. L’implication militaire doit être strictement sous contrôle médical et de santé publique civil, les ressources et équipements militaires étant détournés pour les besoins de la santé publique. Toute collecte de données personnelles dans un environnement de mesures coercitives sans précédent de l’État devrait être limitée, temporaire et strictement liée aux besoins de santé.
Diverses mesures d’urgence restrictives adoptées actuellement peuvent être appropriées en tant que réponses à court terme à une urgence de santé publique, mais ne doivent pas devenir la nouvelle norme une fois la crise immédiate maîtrisée.
Notre réponse à la crise montre déjà qu’il existe une alternative populaire au néolibéralisme et à l’injustice mondiale
Le COVID-19 montre que le néolibéralisme a conduit beaucoup trop de gens à accepter le dogme selon lequel il n’y a pas d’alternative, nous privant ainsi des outils et des politiques clés nécessaires pour faire face à l’injustice et aux crises systémiques actuelles. Le COVID-19 a montré que des politiques dramatiques sont à la fois nécessaires et peuvent être mises en œuvre face à une crise. Le fait que des États aient adopté en quelques heures des politiques dramatiques considérées comme politiquement impossibles montre qu’il est tout à fait possible de faire face à la crise climatique avec des politiques audacieuses et ambitieuses d’ici 2030, comme l’exigent les scientifiques. Elles seront également absolument nécessaires pour protéger les moyens de subsistance des populations face à la crise économique qui résultera de cette pandémie. 
Les diverses politiques et pratiques déjà mises en œuvre montrent notre capacité à faire face à la multitude de crises auxquelles nous sommes confrontés aujourd’hui :
La garantie des revenus et des assurances montre que nous pouvons disposer d’un filet de sécurité sociale plus solide.
En mettant un terme aux expulsions et aux coupures de services essentiels, nous montrons comment nous pouvons faire respecter les droits humains fondamentaux à l’eau et aux autres services publics.
L’instruction donnée aux entreprises de produire des respirateurs et les efforts des entrepreneurs, des indépendants et des bricoleurs pour modifier et adapter les technologies existantes afin de sauver des vies, laissent entrevoir la possibilité d’une révolution industrielle verte et de nouveaux régimes de propriété intellectuelle qui créent des technologies et des connaissances pour le bien public, plutôt que pour le profit privé.
La prise de contrôle public temporaire par l’Espagne de prestataires de soins de santé privés démontre que les soins de santé universels et contrôlés par l’État sont à la fois éthiques et rationnels.
La solidarité dont ont fait preuve les médecins chinois et cubains en offrant leur aide aux médecins italiens montre la puissance de la solidarité transnationale par rapport aux efforts de Trump pour obtenir le vaccin pour les seuls USAméricains.
Les fournisseurs d’aliments locaux et agroécologiques et les coopératives de France et d’Espagne qui proposent des livraisons de nourriture solidaires à ceux qui ne peuvent pas quitter leur maison démontrent la capacité des systèmes alimentaires territoriaux à s’adapter et à aider à prendre soin des plus démunis.
Nous devons nous rappeler que malgré l’ampleur et l’impact de cette urgence particulière, il existe de nombreuses crises sanitaires qui ne reçoivent jamais une attention suffisante ou une priorité. La tuberculose tue 1,5 million de personnes par an dans les pays du Sud. Plus de 800 000 personnes meurent chaque année par manque d’eau propre et d’assainissement. Dans le monde entier, au moins 137 femmes sont tuées chaque jour par un membre de leur famille. Nous devons consacrer le même niveau d’engagement à la lutte contre ces crises sociales et de santé publique qui perdurent.
Le COVID-19 montre également que malgré des décennies de néolibéralisme, le sens de la solidarité et de la compassion intrinsèque des peuples est bien vivant. Les millions de personnes dans le monde qui créent des groupes d’entraide, qui trouvent des moyens de soutenir leurs voisins, qui se réunissent en ligne pour faire pression en faveur de politiques publiques pour les plus vulnérables montrent qu’un monde différent est effectivement possible.
Faisons de ce moment et de cette expérience de solidarité une expérience permanente, en créant les systèmes, les structures et les politiques qui peuvent toujours protéger ceux qui sont marginalisés et permettre à chacun de vivre dans la dignité.
Le remède, c’est la solidarité. Le vaccin, c’est la justice.