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10 mai 1973 : naissance du Front POLISARIO

Emiliano Gómez 11/05/2020
Le Front POLISARIO est un mouvement de libération nationale, ce n’est pas un parti politique et ce n’est pas un gouvernement. 

Il est le représentant légitime du peuple sahraoui jusqu’à ce que celui-ci obtienne son indépendance. Il est nécessaire de rappeler ce fait en raison de son importance. Le Front POLISARIO a aujourd’hui 47 ans. Le déclin de la lutte armée, mais plus encore, l’érosion d’une paix qui n’est pas une paix pour les Sahraouis, est un énorme fardeau que le Front POLISARIO a pu supporter et surmonter.

Les différentes tentatives du Maroc pour dénigrer l’image du Front POLISARIO avaient un objectif principal : cesser d’avoir un interlocuteur légitime sur la scène internationale.
Le Maroc tente de remettre en cause la légitimité de la représentation du Front POLISARIO tant au niveau international qu’à travers des ingérences internes et le soutien aux « dissidents » et aux « vendus ». Une vieille tactique, plus ancienne que l’Empire romain.
L’unité du peuple sahraoui, et le fait que le Front POLISARIO avec tous les problèmes résultant d’un conflit de près de 50 ans, continue à avoir le soutien de son peuple est une pierre de la taille d’une montagne dans les chaussures du Maroc.
Antécédents historiques et fondation du Front POLISARIO
umdraiga.com – Les changements socio-économiques qui ont eu lieu dans le Sahara espagnol au cours des années 1960 ont conduit à l’émergence d’un nationalisme sahraoui moderne, basé sur la conscience nationale plutôt que sur le tribalisme, et fondé sur des arguments politiques plutôt que sur le sentiment religieux.
Dans les premières années de cette décennie, les nationalistes ont formé divers groupes politiques mais aucun d’entre eux n’est parvenu à avoir une influence décisive sur la population. Ce n’est qu’en 1967 qu’un intellectuel, Mohamed Sidi Ibrahim « Bassiri », a pu rassembler autour de lui une poignée de partisans de l’indépendance et, l’année suivante, a fondé le Mouvement de libération du Sahara (MLS).
Cette organisation clandestine compte bientôt des centaines de membres et commence à influencer la population sahraouie.
Le MLS dirigé par Bassiri a promu la revendication pacifique d’indépendance et a obtenu le soutien de divers secteurs de la société : travailleurs, fonctionnaires de l’administration coloniale, étudiants, sous-officiers et soldats sahraouis de l’armée coloniale, etc.
L’activité nationaliste commence à se manifester par des grèves de travailleurs, des mobilisations d’étudiants pour l’enseignement de la langue arabe et par divers actes de répudiation de l’administration espagnole. Très vite, le service de renseignement colonial a détecté l’existence du mouvement, si bien qu’en 1969, le gouverneur général du Sahara a décrété un couvre-feu sur tout le territoire. De nombreuses arrestations de militants et sympathisants du MLS ont suivi, dont certains ont été expulsés vers les pays voisins
L’Espagne face au problème de la décolonisation
En novembre 1960, l’Assemblée générale des Nations unies a adopté la résolution 1514 concernant le processus de décolonisation des dernières enclaves coloniales dans le monde. Le Comité spécial chargé de la mise en œuvre de cette résolution a établi une liste de territoires à décoloniser, parmi lesquels le Sahara espagnol.
En 1966, le Comité spécial a demandé à l’Espagne d’organiser un référendum afin que la population du Sahara puisse s’exprimer librement sur son avenir politique. Le gouvernement de Franco a formellement accepté la demande, mais a choisi de traîner les pieds pour gagner du temps afin de mener à bien le processus de transformation de la colonie en « province » d’Espagne.
Le Comité spécial a mis en garde contre les manœuvres dilatoires du régime franquiste et a renouvelé ses exigences pour la décolonisation du Sahara. En conséquence, l’Espagne a perdu sa crédibilité auprès de l’Assemblée générale et le roi du Maroc, Hassan II, a profité de la situation pour agir, exprimant publiquement son inquiétude sur l’avenir de la colonie espagnole et se légitimant en tant que partie prenante dans la question du Sahara.
De cette façon, le franquisme a manqué une bonne occasion d’offrir aux Sahraouis une transition décente vers l’émancipation politique. Malheureusement, à cette époque, la politique coloniale espagnole dépendait de la volonté de l’amiral Carrero Blanco (1) dont les idées ultra-conservatrices l’emportaient sur les critères plus libéraux du ministère des Affaires étrangères, qui était enclin à l’indépendance du peuple sahraoui.
Alors que la pression internationale se faisait sentir sur le gouvernement de Madrid, et en particulier sur la colonie elle-même, le gouvernorat général du Sahara a organisé une activité politique à El Ayoun (2) à des fins de propagande, pour montrer au monde que la population sahraouie était heureuse de faire partie de l’État espagnol. À cette fin, il a invité de nombreux journalistes et observateurs étrangers à assister à la « fête » politique. Mais le Mouvement de libération du Sahara a également appelé ses militants et sympathisants à une manifestation parallèle pour faire échouer la manœuvre colonialiste. 
Le 17 juin 1970 était le jour fixé. Ce matin-là, de petits groupes de Sahraouis se sont rassemblés devant le siège du gouvernorat, tandis qu’une foule couvrait une grande esplanade, loin du petit rassemblement officiel.
La foule a scandé des slogans d’indépendance et chanté des chansons patriotiques, inacceptables pour les représentants du régime franquiste. Au crépuscule, une compagnie de la Légion a ouvert le feu sur la foule, faisant des dizaines de morts et de blessés.
Cette même nuit, une chasse aux dirigeants et aux militants du MLS a été déclenchée : des centaines de personnes ont été arrêtées, certaines ont disparu, dont le principal dirigeant nationaliste, Bassiri.
Les événements du 17 juin ont conduit une grande partie de la population sahraouie à opter pour l’option non pacifique de l’indépendance.
La réorganisation nationaliste
En raison de la répression, les militants nationaliste se sont dispersés et beaucoup se sont réfugiés dans les pays voisins, où ils ont trouvé protection et soutien auprès des communautés sahraouies qui y étaient établies.
En 1971, des groupes indépendantistes ont commencé à se former dans les villes marocaines de Rabat et de Tantan, ainsi que dans la ville mauritanienne de Zouerate. C’est à Rabat qu’un noyau très actif d’étudiants universitaires a émergé, parmi lesquels El Ouali Mustapha Sayed s’est distingué. Ce groupe, ainsi que d’autres exilés, a donné naissance au « Mouvement embryonnaire pour la libération du Sahara » qui, tout au long de l’année 1972, a favorisé les rencontres clandestines entre les différents groupes sahraouis dispersés au Maroc, en Algérie et en Mauritanie.
À la fin du mois d’avril 1973 commence une conférence dont les séances se tiennent par intermittence et en divers endroits du désert pour tromper les services de renseignement franquistes. Cette conférence a décidé de créer une organisation politico-militaire pour lutter pour l’indépendance. Le 10 mai 1973, la conférence culmine par la fondation du Frente Popular de Liberación de Saguia El Hamra y Río de Oro – Front POLISARIO. El Ouali Mustapha Sayed est nommé secrétaire général. (3)
Le Front POLISARIO : conception politique et ligne d’action
Le Front POLISARIO est un mouvement de libération national, démocratique et anticolonialiste qui regroupe les secteurs et les personnalités les plus progressistes de la société sahraouie dans les zones libérées, les camps en exil ou sous occupation marocaine. Ses principaux objectifs sont l’indépendance totale du Sahara occidental et la construction d’un État moderne.
Pour connaître les objectifs et le profil politique des fondateurs de cette organisation, rien de mieux que de se tourner vers les documents mêmes du Front POLISARIO. Le manifeste politique fondateur déclare :
« Une fois démontré que le colonialisme veut maintenir sa domination sur notre peuple arabe, en essayant de l’anéantir par l’ignorance, la misère, (…) Face à l’échec de toutes les méthodes pacifiques utilisées, (…) le Front Populaire de Libération de la Saguia El Hamra et du Rio de Oro, est né comme l’expression unique des masses, qui opte pour la violence révolutionnaire et la lutte armée comme moyen, afin que le peuple sahraoui, arabe et africain puisse jouir de sa totale liberté et affronter les manœuvres du colonialisme espagnol.
Partie intégrante de la révolution arabe, il soutient la lutte des peuples contre le colonialisme, le racisme et l’impérialisme et les condamne pour leur tendance à placer les peuples arabes sous leur domination soit par le colonialisme direct, soit par le blocus économique
Il considère que la coopération avec la Révolution populaire algérienne est un élément essentiel pour faire face aux manœuvres menées contre le Tiers Monde.
Nous invitons tous les peuples en lutte à s’unir pour affronter l’ennemi commun.
Avec le fusil, nous allons conquérir la liberté ! »
Le programme du 2e Congrès du Front POLISARIO, tenu en août 1974, a défini les objectifs à long terme de l’organisation. En voici quelques-uns :
– Libérer la nation de toute forme de colonialisme et parvenir à une indépendance complète.
– Construire un régime national républicain avec la participation active et efficace de la population.
– Construire une véritable unité nationale.
– Créer une économie nationale basée sur le développement agricole et industriel, la nationalisation des ressources minières et la protection des ressources marines.
– Garantir les libertés fondamentales des citoyens.
– Répartir équitablement les richesses et éliminer le déséquilibre entre la campagne et les villes.
– Annuler toute forme d’exploitation.
– Garantir un logement pour tous.
– Restaurer les droits sociaux et politiques des femmes.
– Instaurer un enseignement gratuit et obligatoire à tous les niveaux et pour l’ensemble de la population.
– Combattre la maladie, construire des hôpitaux et fournir des soins médicaux gratuits.
La guerre de libération nationale
Le 20 mai 1973, dix jours après sa fondation, le Polisario a mené sa première action armée contre l’armée coloniale. L’attaque, qui visait un poste militaire dans le désert, a marqué la naissance de l’Armée populaire de libération du Sahara (ELPS) et le début d’une guerre qui, en peu de temps, a dépassé la capacité de contrôle de l’administration espagnole. Les actions de l’ ELPS, dont beaucoup avaient des buts de propagande, ont fait grandir le prestige du Front POLISARIO dans la population civile et parmi les soldats indigènes servant dans les rangs coloniaux. Fin 1973, l’ELPS comptait déjà plus d’une centaine de combattants et, dans les années 1974 et 1975, elle a accru son activité, ce qui a entraîné le retrait progressif de l’armée espagnole vers les principales villes côtières. Au cours de cette dernière année, des patrouilles complètes de militaires sahraouis sont passées à l’ELPS, et au fil de l’année, l’Armée de libération a pris le contrôle de nombreuses villes abandonnées par les Espagnols. Lorsque le gouvernement de Franco a remis le Sahara espagnol au Maroc et à la Mauritanie par le biais des accords secrets de Madrid en novembre 1975, les forces nationalistes sahraouies contrôlaient déjà la majeure partie du territoire de la colonie.
Aujourd’hui, le Front Populaire de Libération de Saguia El Hamra y Río de Oro continue à mener la lutte pour la pleine indépendance du Sahara occidental et est internationalement reconnu comme le seul et légitime représentant du peuple sahraoui.
Il continue à mener la construction de l’État républicain qu’il a promis lors de son 4e Congrès : la République arabe sahraouie démocratique, aujourd’hui reconnue par 82 pays dans le monde, dont 28 en ‘Amérique latine.
Notes 
(1) L’amiral Luis Carrero Blanco était le bras droit du « généralissime » Francisco Franco. Il est mort en décembre 1973 dans un attentat de l’organisation nationaliste basque ETA.
(2) Fondée par les Espagnols en 1938, El Ayoun est la capitale du Sahara occidental, actuellement sous occupation marocaine.
(3) El Ouali Mustapha Sayed, héros national sahraoui et premier président de la RASD. Il est tombé au combat le 9 juin 1976. Il avait 28 ans.