Eurogroupe : le repas n’est pas gratuit
Marco Bersani 15/04/2020 |
Nouvelles finances publiques. Les instruments mis en place sont à l’intérieur de la cage de la dette, sur le maintien de laquelle les partenaires européens chamailleurs n’ont jamais eu de différend. Les noms des instruments changent, mais la substance reste la même : ce seront toutes des dettes à rembourser.
Tradotto da Fausto Giudice
Après l’accord au sein de l’Eurogroupe sur les moyens à mettre en place pour faire face à l’urgence sanitaire provoquée par le Covid-19 et à l’urgence économique et sociale qui en découle, l’empoignade médiatique a commencé sur le point de savoir qui a gagné et qui a perdu dans la confrontation enflammée entre les partenaires européens.
À ce jour, voici ce qu’on sait sur les mécanismes qui seront activés :
a) le Sure, un instrument de soutien aux travailleurs sur le modèle de la cassa integrazione [caisse d’assurance chômage partiel/technique] italienne, avec une dotation à l’échelle européenne de 100 milliards, mis à disposition par la Commission européenne sur les marchés boursiers par l’émission de titres ; il s’agit d’un prêt, pour l’obtention duquel l’Italie devra mettre 25 milliards de garanties de remboursement, pour quand l’urgence sera passée ;
b) la Banque européenne d’investissement (BEI), qui créera un fonds pour les entreprises, avec une garantie de 25 milliards d’euros, mis à la disposition des États, pour lever des capitaux jusqu’à 200 milliards d’euros à des taux très bas ; les fonds levés seront ensuite prêtés à ceux qui le demanderont, par l’intermédiaire d’institutions nationales telles que la Cassa Depositi e Prestiti [Caisse des dépôts et prêts], à des taux tout aussi avantageux et avec des échéances à long terme ;
c) le Mécanisme européen de stabilité (MES), qui activera un total de 240 milliards d’euros (pour l’Italie jusqu’à 36 milliards d’euros), sans conditions d’accès, uniquement si l’argent demandé est dépensé directement ou indirectement pour faire face à l’urgence sanitaire. Mais avec toutes les conditions habituellement prévues par le MES, au moment du remboursement.
Pour ce qui est des Eurobonds, cette question sera abordée dans le point générique « instruments de financement innovants » au bas de l’accord.
En attendant de voir en détail les termes concrets de l’accord, on peut déjà dire que « le repas n’est pas gratuit » et que les instruments mis en place sont tous dans la cage de la dette, sur le maintien de laquelle les partenaires européens chamailleurs n’ont jamais eu de divergence. Les noms des instruments changent, mais la substance reste la même : ce seront toutes des dettes à rembourser.
Pourrait-il en être autrement dans le contexte donné ? La réponse est certainement oui, mais avec l’effet secondaire très dangereux de mettre à nu l’idéologie libérale et son château de cartes. On aurait pu et dû exiger que les ressources soient mises à disposition par la BCE sous différentes formes.
La première est incluse dans l’article 123, paragraphe 2, du traité instituant l’Union européenne, qui permet à la BCE de financer directement les établissements publics de crédit : qu’est-ce qui empêchait de créer un fonds européen d’urgence pour la santé publique, en demandant un financement direct à la Banque centrale européenne ?
De plus, en invoquant les catégories juridiques de l’ « état de nécessité », du « changement fondamental de circonstances » et de la « cause de force majeure » (article 25 de la Commission du droit international des Nations unies), il aurait été possible de demander la garantie de la BCE sur les dettes publiques nationales, en suspendant le paiement des intérêts (60 milliards/an pour l’Italie) pour les trois prochaines années.
Ou encore, la BCE aurait pu être tenue d’exercer, pendant une période d’au moins trois ans, le rôle de banque centrale publique, en achetant directement les obligations d’État émises par les pays pour faire face à l’urgence sanitaire, sociale et économique.
Toutes ces mesures auraient eu le grand mérite de libérer beaucoup plus de ressources que celles, terriblement insuffisantes, mises à disposition aujourd’hui, et surtout, sans aggraver les dettes publiques des États. Toutes des mesures qui n’ont même pas été envisagées par les oligarchies européennes et nationales, car elles auraient eu le grand mérite de démasquer le piège idéologique de la dette et des contraintes de Maastricht.
Le temps est venu de se réapproprier collectivement l’économie(nne), pour l’empêcher de continuer à être l’écono-leur.