General

Incendie du Reichstag : la thèse de l’auteur unique balayée par le témoignage d’un membre de la SA

Leo Schwarz 27/07/2019
Conduit sur les lieux du crime par des SA : une trouvaille d’ archive spectaculaire met à bas la thèse selon laquelle Marinus van der Lubbe aurait été seul pour mettre le feu au Reichstag en 1933.

Tradotto da Fausto Giudice
Un document jusqu’ici inconnu ébranle la thèse établie en 1959/60 dans une série du Spiegel par Fritz Tobias, fonctionnaire de la protection de la Constitution en Basse-Saxe, selon laquelle le Néerlandais Marinus van der Lubbe avait incendié le soir du 27 février 1933, seul et sans aide extérieure, le bâtiment du Reichstag à Berlin, thèse acceptée à ce jour par au moins la majorité des historiens allemands de l’époque.
Dans un affidavit de Hans-Martin Lennings, acté par un notaire et daté du 8 novembre 1955, trouvé dans les archives du tribunal de district de Hanovre et dont une copie a été mise à la disposition de Junge Welt par l’Office d’enquête criminelle de Basse-Saxe, il est décrit comment van der Lubbe fut conduit au Reichstag le soir de l’incendie par un détachement de trois membres de la SA* en civil, dont Lennings, qui l’avait pris en charge sur la Lützowstraße dans le quartier du Tiergartenstrasse et amené au Reichstag. Le Hollandais ne voyait pas bien, était dans un « état hébété » et ne disait « pas un mot ».
A l’entrée latérale du bâtiment du Reichstag, van der Lubbe avait été reçu “entre 20 heures et 21 heures” par une personne “en civil”. Dans l’édifice, Lennings prétend avoir déjà remarqué “une odeur étrange de brûlé”. Après la remise de van der Lubbes, les trois hommes de la SA ont été priés par le civil de partir “le plus vite possible”. Plus tard, il a reconnu van der Lubbe sur des photos de journaux. Selon lui, van der Lubbe ne pouvait pas être l’incendiaire, car “d’après nos constatations” le Reichstag devait déjà être en flammes “lorsque nous y avons livré van der Lubbe”.
En 1934, au cours du putsch de Röhm, « presque tous » ceux qui étaient impliqués dans l’incendie du Reichstag avaient été « abattus ». Karl Ernst, chef des SA de Berlin, a également été abattu “uniquement pour cette raison”. Lennings déclare avoir fui en Tchécoslovaquie à l’époque. Après son expulsion, il avait été dans différents « camps de détention préventive » à la fin de 1934 et en 1936-1937.
Né en 1904, Lennings, selon ses propres déclarations, était actif dans le “Mouvement völkisch” {national-populiste] depuis 1924 et avait rejoint le NSDAP [parti nazi] en 1926. Il n’avait rejoint la SA qu’en janvier 1933 en tant que “simple chef de troupe” et avait appartenu à une troupe SA “pour usage spécial” en février 1933. Ernst avait monté cette troupe pour diverses “tâches spéciales”. Selon le document, Lennings a rendu visite au notaire à Hanovre dix ans après la fin de la guerre afin de rendre son témoignage disponible pour un procès qui a été discuté à l’époque dans le but d’annuler la condamnation à mort prononcée contre van der Lubbe par le Tribunal d’Empire de Leipzig. Le catholique Lennings a déclaré qu’il avait fait sa déclaration “volontairement sur les conseils de mon confesseur”. Après quoi, il avait l’intention de quitter la République fédérale “pour une période plus longue”. Il est mort en 1962.
La déclaration de Lennings est la première déclaration documentée sans équivoque d’une personne au moins indirectement impliquée dans l’incendie criminel. Ce qui s’est exactement passé le 27 février 1933 entre 21 heures et 22 heures au et dans le Reichstag fait l’objet d’une âpre controverse scientifique et journalistique depuis des décennies. Quelques bizarreries étaient déjà connues à propos de van der Lubbe, suggérant qu’il avait rencontré à Berlin des informateurs de la police qui l’avaient encouragé à mener une ” action directe ” spectaculaire contre les nazis. Les membres d’un groupe “communiste conseilliste” à Berlin avec lequel il avait pris contact ont rompu leur contact avec lui parce qu’ils pensaient qu’il avait été actionné par des “provocateurs”. Lennings affirme avoir reçu son ordre de mission (et un “laissez-passer spécial écrit”) d’un “informateur de police” qu’il connaissait déjà.
Plus récemment, l’historien usaméricain Benjamin Carter Hett, dans son ouvrage “Burning the Reichstag” de 2014, a rassemblé les preuves et les arguments en faveur de la thèse selon laquelle van der Lubbe n’aurait pas pu mettre le feu au Reichstag, ou du moins pas seul. En juillet 2008, au début de ses recherches, il avait rendu visite à Fritz Tobias, 95 ans, dans sa maison de Hanovre et lui avait demandé quel était en fait le cœur de la controverse sur l’incendie au Reichstag. Tobias, écrit Hett dans son livre, avait indiqué de manière “vive et claire” (“brisk and clear”) qu’il avait toujours été question des communistes : « Vous pensez que les communistes sont partis ? Ils ne sont pas partis. Leur État l’est, mais eux ne le sont pas. »
C’est-à-dire qu’en insistant avec acharnement sur la thèse toujours pour le moins discutable de l’auteur unique, son principal propagateur a poursuivi l’objectif d’arracher aux “communistes” l'”arme de propagande” que leur avaient fourni les acquittements de Georgi Dimitroff et des autres communistes accusés dans le procès pour l’incendie du Reichstag. Et cela signifiait qu’il fallait faire valoir l’idée que ce n’était pas, comme le prétendaient “les communistes”, les nazis qui avaient incendié le Reichstag pour créer un prétexte pour écraser le mouvement ouvrier et l’opposition antifasciste, mais qu’un Hollandais à moitié aveugle, mis sous sédatifs par un inconnu pour son procès devant le tribunal d’Empire, avait fait tout cela par lui-même. D’ailleurs, cela suggérait délibérément que la dictature fasciste ne devait pas sa forme historique à une action planifiée, mais essentiellement à un “hasard” qui s’est produit sous la forme de van der Lubbes : une excuse utile pour ceux qui avaient transféré le pouvoir au NSDAP. C’est tout un édifice d’idéologie historique utile qui était et qui est en jeu une fois que la thèse de l’auteur individuel est ébranlée.
NdT
*SA : Sturmabteilung (Section d’assaut), première force paramilitaire du parti nazi, créée par Hitler en 1921 pour assurer le service d’ordre et liquidée physiquement par les SS en 1934, lors de la Nuit des longs couteaux, sur ordre de Hitler.