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Palestine : un peuple uni mais des organisations divisées

Ramzy Baroud 11/Mai/2019
La Conférence internationale sur la Palestine qui s’est tenue à Istanbul du 27 au 29 avril a rassemblé de nombreux orateurs et des centaines d’universitaires, de journalistes, de militants et d’étudiants de Turquie et du monde entier.

La Conférence internationale sur la Palestine qui s’est tenue à Istanbul du 27 au 29 avril a rassemblé de nombreux orateurs et des centaines d’universitaires, de journalistes, de militants et d’étudiants de Turquie et du monde entier.

La Conférence était une occasion rare de formuler un discours de solidarité internationale à la fois inclusif et avant-gardiste.
Il y avait un quasi consensus sur le fait que le mouvement BDS (Boycott, Désinvestissement et Sanctions) devait être soutenu, que le prétendu Accord du siècle de Donald Trump devait être combattu et que la normalisation devait être rejetée.
Cependant, lorsqu’il s’est agi de décliner les objectifs de la lutte palestinienne, le discours est alors indécis et peu clair. Bien qu’aucun des orateurs n’ait plaidé en faveur d’une solution à deux États, notre appel d’Istanbul – ou de tout autre lieu situé en dehors de la Palestine – à un seul État démocratique semblait en partie dénué de pertinence. Pour que la solution d’un seul État devienne le premier objectif du mouvement pro-palestinien dans le monde entier, l’appel doit venir d’une direction palestinienne qui reflète les aspirations réelles du peuple palestinien.
L’un après l’autre, les orateurs ont appelé à l’unité palestinienne, implorant les Palestiniens de les guider et de tenir un discours à caractère national. De nombreux participants ont également souscrit à cette opinion. Un membre de l’auditoire a même laissé échapper une question : « Où est le Mandela palestinien ? » Heureusement, le petit-fils de Nelson Mandela, Zwelivelile « Mandla » Mandela, était lui-même inscrit comme orateur. Il a répondu avec force que Mandela n’était que le visage du mouvement, qui englobait des millions d’hommes et de femmes du peuple, dont les luttes et les sacrifices avaient finalement vaincu l’apartheid.
À la suite de mon intervention à la Conférence, j’ai rencontré plusieurs anciens prisonniers palestiniens dans le cadre de mes recherches pour mon prochain livre sur le sujet.
Certains des prisonniers libérés se sont présentés comme étant du Hamas, d’autres comme du Fatah. Leur récit semblait en grande partie libéré de ce regrettable langage factionnel avec lequel nous sommes bombardés dans les médias, mais également libéré des formulations un peu sèches et abstraites du monde politique et académique.
« Quand Israël a assiégé Gaza et nous a interdit les visites de nos familles, nos frères du Fatah nous ont toujours aidés », m’a raconté un ancien prisonnier appartenant au Hamas. « Et chaque fois que les autorités pénitentiaires israéliennes maltraitaient l’un de nos frères de quelque organisation que ce soit, y compris du Fatah, nous avons tous résisté ensemble. »
Un ex-prisonnier affilié au Fatah m’a dit que lorsque le Hamas et le Fatah se sont battus à Gaza durant l’été 2007, ce sont les prisonniers qui ont le plus souffert. « Nous avons souffert parce que nous sentions que les personnes qui devraient se battre pour notre liberté se combattaient les unes les autres. Nous nous sommes sentis trahis par tout le monde. » 
Pour que cette union cesse, les autorités israéliennes avaient transféré les prisonniers du Hamas et du Fatah dans des quartiers et des prisons séparés. Ils voulaient mettre fin à toute communication entre les dirigeants des prisonniers et bloquer toute tentative de trouver un terrain d’entente pour l’unité nationale.
La décision israélienne n’était pas due au hasard. Un an auparavant, en mai 2006, les dirigeants des prisonniers s’étaient réunis dans une cellule pour discuter du conflit entre le Hamas, qui avait remporté les élections législatives dans les Territoires occupés, et le principal parti de l’Autorité palestinienne, le Fatah.
Parmi ces dirigeants figuraient Marwan Barghouthi du Fatah, Abdel Khaleq al-Natshe du Hamas et des représentants d’autres grands groupes palestiniens. Le résultat a été le document de conciliation national, l’initiative palestinienne la plus importante depuis des décennies.
Ce que l’on appelle désormais le Document des prisonniers revêtait une grande importance, car il ne s’agissait pas d’un compromis politique intéressé obtenu dans un hôtel de luxe dans une capitale arabe, mais d’une véritable articulation des priorités nationales palestiniennes, présentée par le secteur le plus respecté et honoré de la société palestinienne.
Israël a immédiatement condamné le document.
Au lieu d’engager toutes les organisations dans un dialogue national autour du document, le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, a donné aux factions rivales un ultimatum pour accepter ou rejeter le document dans son intégralité. Abbas et les factions belligérantes ont trahi l’esprit unitaire de l’initiative des prisonniers. Finalement, le Fatah et le Hamas se sont lancés leur confrontation tragique à Gaza l’année suivante.
Parlant avec les ex-prisonniers après avoir écouté les interventions d’universitaires, de responsables politiques et de militants, j’ai pu décrypter une déconnexion entre le récit palestinien sur le terrain et notre perception de ce récit depuis l’extérieur.
Les prisonniers font preuve d’unité dans leur récit, d’un but bien défini et d’une détermination à poursuivre leur résistance. S’il est vrai qu’ils se sont tous identifiés en tant que membres d’un groupe politique ou d’un autre, je n’ai pas encore interrogé un seul prisonnier ayant placé les intérêts factionnels avant les intérêts nationaux. Cela ne devrait pas être une surprise. En effet, ces hommes et ces femmes ont été arrêtés, torturés et condamnés à de nombreuses années de prison pour avoir été des résistants palestiniens, quelles que soient leurs tendances idéologiques et organisationnelles.
Le mythe du Palestinien désuni et incapable d’organisation est bien une invention israélienne qui précède la création du Hamas, et même du Fatah. Cette propagande sioniste, qui a été reprise par le Premier ministre israélien actuel, Benjamin Netanyahu, affirme qu’Israël « n’a pas de partenaire pour la paix ». Malgré les concessions sans fin de l’Autorité palestinienne à Ramallah, cette affirmation est restée une fixation dans la politique israélienne.
L’unité politique mise à part, le peuple palestinien perçoit « l’unité » dans un contexte politique totalement différent de celui d’Israël et même d’un grand nombre d’entre nous hors de Palestine.
« Al-Wihda al-Wataniya » ou unité nationale, est une quête génération après génération autour d’un ensemble de principes, y compris la résistance, en tant que stratégie de libération de la Palestine, avec l’objectif du Droit au retour pour les réfugiés et de l’autodétermination pour le peuple palestinien. C’est autour de cette idée d’union que les dirigeants des prisonniers palestiniens ont rédigé leur document en 2006, dans l’espoir d’éviter un affrontement entre factions et de centrer la lutte sur la résistance contre l’occupation israélienne. 
L’actuelle Grande Marche du Retour à Gaza est un autre exemple jour après jour du type d’unité à laquelle le peuple palestinien aspire. Malgré de lourdes pertes, des milliers de manifestants persévèrent dans leur unité tout en revendiquant leur liberté, leur droit au retour et la fin du siège israélien.
Affirmer que les Palestiniens ne sont pas unis parce que le Fatah et le Hamas ne peuvent pas trouver un terrain d’entente est tout à fait injustifié. L’unité nationale et l’unité politique entre les organisations sont deux questions différentes.
Il est essentiel que nous ne commettions pas l’erreur de confondre le peuple palestinien avec les factions, l’unité nationale autour de la résistance et les droits avec les arrangements entre groupes politiques.
En ce qui concerne la vision et la stratégie, il est peut-être temps de lire le document de conciliation national des prisonniers. Les Nelson Mandelas de Palestine l’ont écrit, et ils sont à ce jour des milliers a être incarcérés dans les prisons israéliennes.
* Ramzy Baroud est journaliste, auteur et rédacteur en chef de Palestine Chronicle. Son prochain livre est «The Last Earth: A Palestine Story» (Pluto Press). Baroud a un doctorat en études de la Palestine de l’Université d’Exeter et est chercheur associé au Centre Orfalea d’études mondiales et internationales, Université de Californie. Visitez son site web: www.ramzybaroud.net.
7 mai 2019 – Middle East Monitor – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah