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Pour Jared Kushner, les Palestiniens sont à vendre

Robert
Fisk, Chronique Palestine,2 juillet 2018

Après
trois guerres, des dizaines de milliers de morts palestiniens et des millions
de réfugiés, Kushner croit-il vraiment que les Palestiniens se contenteront de
cash ?

Gaza,
Grande Marche du Retour, 4 mai 2018 – Kushner imagine-t-il sérieusement
qu’après des décennies de résistance, des milliers et milliers de victimes, les
Palestiniens vont brader leur dignité pour quelques dollars ? – Photo :
Mohammed Zaanoun/Activestills.org

N’y
aura-t-il pas de fin à d’humiliation des Palestiniens ? Après Oslo, après la «
solution des deux États », après les années d’occupation israélienne
répartissant les Palestiniens en zones « A » et « C » suivant les modalités
d’occupation définies par Israël, après la vaste colonisation juive de terres
volées à ses propriétaires arabes, après les massacres de Gaza, et la décision
de Trump dé désigner Jérusalem, toute entière, comme capitale d’Israël, va-ton
oser demander aux Palestiniens de se contenter de cash et d’une misérable
banlieue comme capitale ? Il n’y a donc pas de limite au cynisme ?

Car les
Palestiniens se verront bientôt imposer un « accord final » – « final »,
signifiant dernier, définitif, terminal, irréversible, on tente le tout pour le
tout, c’est à prendre ou à laisser, c’est le dernier avertissement, le jeu est
fait, on remet les compteurs à zéro, c’est la fin de la partie, allez au
diable. Une pauvre banlieue comme capitale, pas de fin à la colonisation, pas
de sécurité, pas d’armée, pas de frontières indépendantes, pas d’unité
territoriale – en échange d’une énorme somme d’argent, des milliards de dollars
et d’euros, des millions de livres, des tas de dinars, de shekels, de deniers
et de scandaleux profits **, du fric quoi !
« Je
crois, » a dit le prince héritier Kushner cette semaine, « que le peuple
palestinien est moins intéressé par les éléments des discussions entre les
politiciens que par la façon dont un accord leur donnera, à eux et aux futures
générations, de nouvelles opportunités, des emplois plus nombreux et mieux
rémunérés et la perspective d’une vie meilleure ». Le gendre de Trump – «
conseiller » pour le Moyen-Orient, promoteur immobilier et investisseur
américain – délire-t-il ? Après trois guerres arabo-israéliennes, des dizaines
de milliers de morts palestiniens et des millions de réfugiés, Jared Kushner
croit-il vraiment que les Palestiniens se contenteront de cash ?
N’a-t-il
jamais remarqué – jamais – que les Palestiniens qui ont lutté, souffert, ont
été dépossédés de leur vie et de leurs terres pendant 70 ans, n’ont jamais
manifesté dans leurs rues pour de meilleures routes, des zones franches ou un
nouvel aéroport ? Pense-t-il que les habitants de Gaza sont descendus dans
leurs rues et ont marché vers la barrière de séparation au prix de leur vie
parce qu’ils veulent de nouvelles cliniques prénatales ? Comment ose-il
humilier un peuple arabe tout entier en laissant entendre que sa liberté, sa
souveraineté, son indépendance, sa dignité, sa justice et son statut de nation
ne sont que des « éléments de discussion entre politiciens » ? Cette folie
prendra-t-elle fin un jour ?
Hélas non
! Il n’y a qu’à lire la presse israélienne qui publie au compte-goutte les
éléments de « l’accord final » – l’honorable Haaretz en tête -, et pour qui les
Palestiniens devront abandonner Jérusalem-Est comme capitale d’une future «
Palestine », Israël se retirera d’une poignée de villages à l’est et au nord de
Jérusalem – dont la misérable banlieue d’Abu Dis* – pour créer une « capitale »
style Potemkine, mais gardera à jamais la vieille ville. Il y aura un « État
palestinien » complètement démilitarisé (tant pis pour sa « sécurité » !), et
toutes les colonies juives construites illégalement sur des terres arabes –
pour les juifs et uniquement les juifs – resteront en place, et Israël
contrôlera toute la vallée du Jourdain.
Quant au
droit au retour ? Inutile d’y penser !
Et cela
en échange de milliards de dollars de projets d’infrastructure, une zone de
libre-échange à Al Arish dans le Sinaï, un afflux d’argent en Cisjordanie, une
nouvelle direction palestinienne – Mahmoud Abbas qui est corrompu, arrogant,
sénile, qui n’a « pas d’idées » et n’a fait « aucun effort qui ait des chances
d’aboutir » (dixit Kushner, bien sûr) sera éjecté pour être remplacé par un
homme nouveau et pragmatique qui sera (on peut toujours rêver) encore plus
lâche, plus amoureux de paix et plus servile qu’Abbas lui-même.
Toute ces
aberrations reposent sur les largesses de l’Arabie Saoudite – dont le prince
héritier semble se disputer avec son royal père qui ne veut pas abandonner
l’initiative saoudienne originale pour un État palestinien avec Jérusalem comme
capitale – et sur la faiblesse d’Abdallah, le roi de la Jordanie où les
contraintes financières imposées par le FMI ont provoqué des émeutes sans
précédent et la chute du gouvernement, ainsi que sur le soutien du
maréchal/président égyptien qui serait heureux d’imposer des lois et des taxes
financières à la frontière entre l’Égypte et Gaza. Ah encore une chose, il n’y
aura pas de contact réel entre Gaza et la Cisjordanie. Le Hamas a été oublié,
semble-t-il.
Faut-il
en rire ou en pleurer ? Lorsque Trump a déplacé l’ambassade des États-Unis de
Tel-Aviv à Jérusalem en plein massacre à Gaza, le monde a poussé un cri – puis
il est retombé dans son silence. Le partage de l’écran de télévision entre les
flagorneries diplomatiques et le massacre à cent kilomètres de là a en quelque
sorte normalisé le lien entre la mort et l’injustice dans le conflit
israélo-arabe. C’est incroyable, mais ils s’en sont tirés sans problème. Si les
diplomates étasuniens peuvent se congratuler à Jérusalem avec, en bruit de
fond, les tirs des snipers le long de la clôture de séparation à Gaza, tout est
possible.
Il y a
quelque chose d’étrange, de presque comique, dans les photographies des «
artisans de paix » de la diplomatie étasunienne assis autour du premier
ministre israélien Benjamin Netanyahu. En Occident, nous choisissons – à juste
titre – de ne pas mettre l’accent sur l’origine religieuse ou ethnique de ces
hommes. Mais les Israéliens le font, le philosophe Uri Avnery le fait, et
Haaretz le fait : ils sont tous juifs et au moins deux d’entre eux soutiennent
avec enthousiasme la colonisation israélienne des terres palestiniennes en Cisjordanie,
y compris l’ambassadeur des États-Unis en Israël qui a dit du groupe de
pression juif modéré J Street qu’ils étaient « pires que des kapos ».
N’aurait-il
pas été possible de trouver, dans tout le corps des diplomates et des «
conseillers » étasuniens, ne serait-ce qu’un seul musulman étasunien pour faire
partie de l’équipe ? Est-ce que ça n’aurait pas été profitable que parmi les «
artisans de paix », il y ait a moins une personne qui partage la foi de l’autre
« moitié » concernée par les propositions de paix arabo-israélienne?
Mais non.
D’ailleurs ça n’aurait rien changé. Abbas a rompu toutes les relations
diplomatiques avec la Maison-Blanche depuis que Trump a reconnu Jérusalem comme
capitale israélienne et a rappelé son ambassadeur de Washington. L’ « accord
final » – à l’origine l’accord d’Oslo, qui était lui aussi un calice
empoisonné, avec toute une série de retraits et de désengagements miniatures et
d’occupations supplémentaires, et toute une série de conférences «
anti-terroristes » ad hoc – est le summum de l’humiliation pour le peuple
palestinien : pas de Jérusalem-Est, pas de terme à la colonisation, pas de
reconnaissance du droit au retour, pas d’État, pas d’avenir. Juste du cash.