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Espagne. « Nous sommes le cri de celles qui n’ont plus de voix »

Rosa
Moussaoui, L’Humanité, 2 Mai, 2018

Après les
manifestations contre le verdict de Pampelune, le #Cuéntalo
(« Raconte-le ») libère la parole des Espagnoles, dans le sillage de
#MeToo.
Depuis
samedi, une vague d’indignation contre la justice patriarcale « qui ne protège
pas les femmes et les filles » a envahi tout le pays. Xabier Lertxundi/AFP

Des
milliers de témoignages brefs, lugubres, à faire pleurer les pierres. De
sordides histoires de viols, de coups, d’humiliations, de harcèlement,
d’agressions sexuelles et même les ­déchirants récits de femmes assassinées,
auxquelles des proches prêtent leur voix. Ces derniers jours, sur le réseau
social Twitter, avec le #Cuéntalo (« Raconte-le »), c’est en Espagne,
désormais, que lâchent les digues du silence, de la honte, du patriarcat, dans
le sillage de la déferlante #MeToo. La colère a envahi les rues, samedi, quand
des milliers d’Espagnols ont manifesté contre le jugement d’un tribunal de Pampelune
disculpant cinq hommes du viol d’une jeune femme. Ces cinq Sévillans âgés de 27
à 29 ans, qui se baptisaient « la meute », ont été condamnés à neuf
ans de prison pour « abus sexuel » sur une jeune Madrilène de 18 ans
pendant les fêtes de la San Fermin, en 2016. Les juges n’ont pas retenu le
viol, estimant qu’il n’y avait eu dans cette affaire ni
« intimidation » ni « violence », la victime n’ayant pas
assez « résisté » à leurs yeux. L’un des magistrats s’était même prononcé
pour la relaxe des agresseurs, qui sont allés jusqu’à diffuser les images du
viol sur les réseaux sociaux…

Face à
l’impunité des accusés, il y a urgence à clarifier la définition de viol
Ce
verdict a suscité, dans tout le pays, une vague d’indignation sans précédent
contre la « justice patriarcale ». Une pétition demandant au Tribunal
suprême la révocation des trois juges ayant prononcé ce verdict a recueilli, en
quelques jours, 1,3 million de signatures. En réponse, le président du Tribunal
suprême et du conseil général du pouvoir judiciaire, Carlos Lesmes, a opposé
aux signataires une fin de non-recevoir. Dans un communiqué publié vendredi, il
estime que le tribunal a « évalué minutieusement (…) tous les éléments
de preuve apportés ». « Les juges et les magistrats sont le plus important
rempart pour la protection et la défense de toutes les victimes »,
insiste-t-il, en déplorant que des « déclarations de discrédit aient émané
de personnes ayant des responsabilités publiques ». L’affaire embarrasse
le gouvernement de Mariano Rajoy, qui promet d’étudier l’éventualité d’une
réforme du Code pénal pour clarifier la définition du viol. Vendredi, le
parquet et la région de Navarre, partie civile, ont annoncé qu’ils feront appel
du jugement. En attendant, l’affaire envenime les rapports entre l’exécutif et
le pouvoir judiciaire. Lundi, les magistrats espagnols ont réclamé la démission
du ministre de la Justice, Rafael Catala, pour avoir mis en doute publiquement
la compétence d’un des juges de Pampelune.
«Nous sommes fatiguées de subir la violence
machiste
»
En
libérant la parole des Espagnoles, la contestation du verdict de Pampelune
jette une lumière crue sur les failles d’un système judiciaire qui garantit
trop souvent l’impunité aux auteurs de violences contre les femmes. « Nous
sommes fatiguées de subir la violence machiste, la violence sexuelle (…),
d’avoir une justice qui ne protège pas les femmes et les filles. Fatiguées
qu’on ne nous croie pas », résume Estefanny Molina, avocate de l’ONG
espagnole Women’s Link. Cette vague espagnole contre les violences faites aux
femmes fait écho aux puissantes mobilisations de ces dernières années pour le
droit à l’IVG, pour l’égalité salariale, pour l’émancipation. Le 8 mars, une
grève générale féministe historique paralysait le pays durant 24 heures, avec
5,3 millions de personnes dans les rues de 130 villes. Ces mouvements ont créé
un élan de conscience et tissé des réseaux militants déterminés à détruire les
stéréotypes, à combattre les idées machistes, à faire barrage aux violences. «
Ce n’est pas un problème de
prédateur isolé, insiste l’écrivaine Lucia Etxebarria. C’est un problème
social. Et ça s’appelle le patriarcat.
»