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Au Nigeria, sous les conflits « ethniques », une crise environnementale sans précédent

Olalekan
Adekola, The Conversation, 23 avril 2018

Au
Nigeria, un conflit majeur oppose bergers nomades et agriculteurs. Ces heurts
ont déjà causé la mort de 2 500 personnes, déplacé
62 000 autres et entraîné la perte de 13,7 millions
de dollars de recettes
. Rien qu’en janvier 2018, le conflit a fait 168 victimes.
La survie
du bétail et la répartition des terres sont au cœur des tensions entre bergers
et fermiers nigérians. Shutterstock

Les
bergers sont surtout des Peuls, peuple majoritairement musulman qui vit
dispersé en Afrique de l’Ouest. Les agriculteurs sont eux principalement
chrétiens. Quand la violence éclate entre ces deux groupes et se concrétise par
des destructions symboliques d’églises, rien d’étonnant qu’au Nigeria comme
ailleurs, on explique que le conflit est motivé par la religion et
l’origine éthnique
des populations qui s’affrontent.

L’accès
aux ressources, le cœur du problème
Mais
quelque chose manque cruellement pour bien comprendre la situation ; et ce
quelque chose c’est la situation environnementale du pays. Le Nigeria s’étend
sur plus de 1 000 km : le Sud y est verdoyant et tropical tandis
que le Nord côtoie le désert du Sahara. Il faut également rappeler que le désert
se déplace vers le sud à un rythme de 600 mètres par an. Il
y a aussi la situation dramatique du lac Tchad, dans le nord-est du pays, qui
est pratiquement asséché.
Les
bergers peuls, qui dépendaient autrefois du lac, ont ainsi dû se déplacer vers
le sud à la recherche de pâturage et d’eau pour leur bétail. Or plus l’on se
dirige vers le sud, plus la population se christianise ; c’est ainsi que
des conflits ayant pour cause l’accès aux ressources naturelles prennent des
airs de tensions religieuses.
Le lac
Tchad a perdu 95 % de sa superficie. Sa portion nigériane a, elle,
pratiquement disparu. wiki

De tels
conflits entre bergers et fermiers n’ont rien d’une nouveauté. À la fin des
années 1960, une sécheresse a ainsi entraîné une lutte pour les terres au cœur du
Sahel
 ; les Peuls ont également des antécédents d’annexion
stratégique de territoires
.

Une crise
environnementale inédite
La
nouveauté, c’est que ce conflit a pris une échelle totalement différente :
un problème autrefois limité au nord du Nigeria est aussi devenu en enjeu
majeur dans le Sud.
Cette
évolution s’explique par une crise environnementale sans précédent qui a
provoqué la migration massive des Peuls à travers l’Afrique de l’Ouest et le
sud du Nigeria ; et Abuja n’est pas parvenu à empêcher les nomades de
passer ses frontières. Cette arrivée de nouvelles populations a perturbé les
relations et les équilibres qui existaient entre les communautés d’agriculteurs
locaux et les bergers nomades.
Ces
explications sont toutefois souvent négligées au profit d’un débat autour des
aspects religieux ou ethniques du conflit. Une telle approche verse
généralement dans l’émotion, empêchant une authentique analyse des forces qui
sous-tendent ces tensions. Cette prédominance d’un récit portant sur la
« guerre ethnique » rend ainsi compliquée l’émergence d’approches
globales et durables ; dans un pays composé d’un mix de cultures et de
religions, un tel état de fait constitue une menace pour l’unité nationale et
les efforts de paix.
Des
autorités muettes
Face à
cette situation, le gouvernement nigérian reste terriblement silencieux. Dans
ce vide, les discours politisés servant des intérêts particuliers ont prospéré.
Par exemple, les élites et les leaders politiques des régions affectées
soupçonnent le président nigérien, Muhammadu Buhari, d’être complice des
attaques (bien qu’ils aient cessé de le
mettre en cause
directement). Or il n’y a à ce jour aucune preuve
d’une telle implication du président ; mais dans une société nigériane
très hiérarchisée, l’avis des élites est parole d’Évangile.

Le
président nigérian a également évoqué le projet de redonner au lac Tchad sa
superficie initiale, en y amenant l’eau du fleuve
Ubangi
, situé dans le bassin du Congo ; cette option a été
récemment évoquée lors de la dernière
conférence
de l’Union africaine. Mais pour l’heure, le lac Tchad ne
fait toujours pas partie de la stratégie du gouvernement pour régler le conflit
entre agriculteurs et bergers.
Un lac en
bonne santé, des populations en paix
Quelle
serait donc une solution équitable et durable au conflit actuel ?
Il ne
fait pas de doute que le lac Tchad nécessite d’être « rempli » à
nouveau et qu’une politique ambitieuse de plantations d’arbres et de gestion de
l’eau doit être conduite en parallèle. Une telle démarche aura besoin de
l’engagement des pays frontaliers du Nigeria qui font face chacun à de sérieux
problèmes environnementaux
 ; il faudra aussi le soutien des
bailleurs de fonds internationaux. Une telle mobilisation contribuerait
grandement à endiguer les migrations des bergers vers le sud, réduisant
d’autant les possibilités de conflits.
Le
gouvernement nigérian doit également reconnaître, et ce de manière publique,
qu’il s’agit bien d’un conflit portant sur les ressources ; un conflit
exacerbé par une crise environnementale. Il faut le rappeler sans relâche pour
éviter les discours biaisés.
Quant aux
médias nigérians, qui font bien souvent leur miel des histoires attisant les
passions, ils se doivent de traiter ces heurts entre bergers et agriculteurs de
façon moins sensationnelle ; il s’agit de donner davantage de place à
l’investigation pour permettre de traiter ce problème complexe de manière
nuancée. Car la situation ne se réduit pas aux seuls aspects ethniques et les
enjeux environnementaux ne peuvent plus longtemps être ignorés.