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Tunisie: les mineurs succombent à l’émigration irrégulière

Benoît Delmas,
Le Point Afrique, 27/03/2018

Depuis le
début de l’année, après l’Érythrée, la Tunisie est le pays qui connaît le plus
de départs vers l’Italie. Un phénomène lié à la dégradation de la situation
économique et sociale.
L’inquiétude
grandit en Tunisie ces derniers mois alors que s’intensifient les départs à
partir des côtes libyennes vers l’Italie. © AFP/Fethi Nasri

Au port
de La Goulette, à quelques encablures de Tunis, les ferries font la navette
entre la France, la Sicile, tout en accueillant les tonitruants navires des
croisiéristes qui reviennent peu à peu après les attentats de 2015. Un nouveau
phénomène a investi ce lieu contrôlé par les douanes: les candidats à
l’émigration irrégulière. Depuis janvier, à trois reprises, des groupes ont été
interceptés alors qu’ils tentaient de se glisser dans les bateaux commerciaux
voguant vers l’Europe. Parmi eux, de nombreux mineurs.
Quelque 80 caméras de surveillance ont été ajoutées afin de lutter
contre ce phénomène. Le 21 janvier, ce sont des garçons âgés de douze
à seize ans qui ont été appréhendés. En 2011, au lendemain de la révolution,
ils furent très nombreux à profiter de l’affaissement de l’appareil sécuritaire
pour fuir vers les rivages du sud de l’Europe. Un acte purement conjoncturel.
Désormais, sur la base des chiffres fournis par les autorités italiennes (premier
pays cible des « harragas ») ainsi que le Haut-Commissariat aux
réfugiés, la tendance devient structurelle. Et concerne de plus en plus les
mineurs.

2017: 544 mineurs
tunisiens non accompagnés arrêtés en Italie
Le FTDES
(Forum tunisien des droits économiques et sociaux) dresse chaque année le bilan
de « l’émigration non réglementaire depuis la Tunisie ». L’an passé,
la Tunisie occupait le huitième rang des nationalités de personnes immigrant de
façon irrégulière avec 6 151 Tunisiens et Tunisiennes interceptés en
Italie. 2 183 ont été rapatriés. Depuis le 1er janvier 2018, le pays
est second derrière l’Érythrée, selon les chiffres délivrés par Frontex,
l’agence européenne, en mars.
2018:
la Tunisie au 2e rang des nationalités de migrants
Si la montée
en flèche du phénomène peut stupéfier, elle s’explique aisément par l’ampleur
crescendo de la crise économique. Si les interceptions des embarcations
pirates par les garde-côtes tunisiens ont bondi de 200 %
de 2016 à 2017, le flux est de plus en plus significatif. Et la
présence des mineurs inquiète. Désormais, des familles confient à la mer leurs
enfants afin qu’ils aient un avenir en Europe.
L’Italie
et l’UE dressent une digue sur la Méditerranée
Dans un
contexte politique européen propice à la montée des extrêmes – sur fond de
rejets des migrants – que ce soit en Allemagne, en France, en Autriche, en
Hongrie, en Pologne, c’est l’Italie qui est la première concernée par ce
phénomène. 181 000 arrivées en 2016. Chiffre qui a chuté
à 119 000 en 2018. Confrontée à une flambée des partis anti-immigrés
dans les urnes, Rome a contraint l’Union européenne à sévir. Le président du
Parlement européen, l’ex-berlusconiste Antonio Tajani, n’avait cessé d’évoquer
le sujet lors de sa venue à Tunis en octobre dernier. Le flux venant de Libye
s’est tari depuis que des accords financiers ont été bouclés entre Européens,
Italiens et autorités libyennes. Les garde-côtes libyens font désormais preuve
d’un zèle qualifié de brutal par de nombreuses ONG. La lutte contre les
passeurs a permis d’engranger des résultats. Une politique globale se met en
place au nord et au sud de la Méditerranée afin de juguler ce flot de réfugiés,
d’exilés économiques, de désespérés de l’avenir au nord de l’Afrique. En
Tunisie, la traversée clandestine de la mer concerne les hommes
à 98 %.