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Maroc, les femmes ont-elles plus de droits?

Par
Nouhad Fathi, Mondafrique, 1 mars 2018


Le Maroc
a désormais une loi protégeant les femmes contre les violences basées sur le
genre. Cette avancée, bien qu’applaudie à l’international, plaît moyennement
aux féministes, comme nous l’expliquer Zahia Amoummou, avocate et militante
marocaine.
 
Le 14
février dernier, et après plus de dix ans de gestation, la loi 103-13 contre
les violences faites aux femmes a enfin été adoptée par la Chambre de
représentants. Qu’est-ce qui change pour la femme marocaine ? D’abord une
prise en compte de la vulnérabilité des victimes exposées à davantage de violence.
Ainsi, les peines concernant les menaces, l’enlèvement et la séquestration sont
doublées, s’ils sont perpétrés par un proche de la victime, et l’expulsion du
domicile conjugal est désormais passible d’un à trois mois de prison et d’une
amende. Fait nouveau, la législation marocaine reconnaît enfin la nécessité de
protéger la femme dans l’espace public en condamnant les injures sexistes et le
harcèlement sexuel, et dans l’espace privé en incriminant les enregistrements
vidéo pris à l’insu de la victime et en punissant l’envoi de photos de pénis
non sollicitées de plusieurs mois d’emprisonnement. C’est bien tout cela. Mais
cette loi chaleureusement applaudie à l’international déplaît aux féministes
marocaines. Pour cause, même si elle condamne le mariage forcé — à condition
que ce soit la victime elle-même qui porte plainte —, la loi 103-13 n’interdit
pas le mariage des mineures et ne mentionne pas le viol conjugal. Zahia
Ammoumou, avocate au barreau de Casablanca et militante féministe, nous
explique pourquoi la bataille des droits des femmes est loin d’être gagnée.
Quelle
est l’utilité d’une telle loi alors que le Code pénal marocain punit
différentes formes de violence, y compris celles à l’encontre des femmes?

C’est vrai que nous avons un Code pénal qui pénalise toute sorte de violences,
sauf la violence morale. Ceci dit, le Code pénal intègre les violences contre
les femmes dans son chapitre 8 qui recense les « crimes et délits contre
l’ordre des familles et la moralité publique », ce qui sous-entend que la
femme est la principale responsable de la bienséance dans la société marocaine.
C’est pour cela que quand une victime de viol porte plainte, on lui demande ce
qu’elle faisait à tel endroit à telle heure et ce qu’elle portait. Résultat,
les femmes victimes de violence n’osent pas porter plainte. Dans les centres
d’écoutes, les militantes ont constaté une augmentation du nombre de cas de
violence et ont réclamé une loi spécifique pour protéger ces femmes.
Les
militantes féministes ont exprimé leur désaccord avec cette loi. Que lui
reprochent-elles au juste?

Cette loi date d’il y a plus de 10 ans. La première ministre a avoir osé la
proposer en concertation avec les associations féministes, c’était Yasmina
Baddou (membre du parti de l’Istiqlal et secrétaire d’État chargée de la
Famille, de l’Enfance et des Personnes handicapées sous le gouvernement Driss
Jettou entre 2002 et 2007, NDLR). Après, la loi est restée dans la chambre des
Conseillers et il y a eu un silence absolu jusqu’à l’arrivée de Bassima Hakkaoui
en 2011. Cette année-là, les associations ont ressorti le dossier et ont
constitué une coalition, le Printemps de la dignité, pour proposer des
recommandations issues d’observations sur le terrain. Il y a eu également
différentes marches nationales appelant à l’adoption définitive de cette loi.
Malheureusement, tout ce travail n’a pas été pris en compte par madame
Hakkaoui. Pour preuve, cette loi n’incrimine pas le viol conjugal malgré les
appels des associations féministes.
Pourquoi
à votre avis?

Parce qu’au Maroc, on légifère encore en prenant en compte l’impératif
religieux. On se demande comment une femme peut être violée par son propre
mari, alors qu’elle est tenue de le satisfaire sexuellement.
Pensez-vous
que cette loi fera réellement avancer la condition des femmes ?

En tant que technicienne de la loi, je ne peux pas juger une loi sur papier, il
faut que j’attende de voir son application. Notre société est encore
profondément conservatrice et patriarcale, tout comme les juges, les avocats et
toute personne qui sera amenée à appliquer cette loi. C’est bien d’avoir une
loi qui nous donne une bonne image à l’international, mais il faut aussi
organiser les procédures légales qui protégeront réellement les femmes. Les
moyens de preuve demeurent traditionnels et ils sont à la charge de la femme.
C’est elle qui doit fournir un certificat médical et apporter des témoins,
alors que dans les affaires de meurtre, par exemple, c’est la police qui se
mobilise pour mener son investigation. Comment apporter des témoins alors que
souvent, les cas de violence se passent dans un cadre privé ? Et comment
prouver un cas de violence psychologique qui ne laisse pas de cicatrices
visibles ? Les femmes ont perdu confiance en la justice, car leurs
plaintes ne sont pas prises au sérieux.
Que
faut-il faire d’autre si cette loi est insuffisante?

Il faut prendre au sérieux les plaintes des femmes, surtout quand elles se
multiplient, et changer les moyens de preuve de sorte qu’ils ne soient plus à
la charge de la présumée victime. La police doit aussi faire un vrai travail
d’investigation et ne plus se contenter d’attendre des preuves, il faut qu’elle
se déplace et recueille les témoignages des voisins, par exemple. Enfin, la
solution ultime est l’éducation. Il y a un décalage entre ce que nous apportent
les lois et la réalité de notre société qui légitime la maltraitance des femmes
et qui autorise les vieux et les petits à l’agresser. Et cela ne sera possible
qu’à travers une réforme des manuels scolaires et une amélioration de la représentation
des femmes dans les médias.