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Un mariage gay reconnu en Russie pour la première (et dernière) fois

Andrei Vaitovich 29/01/2018
Alors que le monde entier regarde les cadets russes, habillés de slip et sanglés de lanière de cuir, danser sur “satisfaction” de Benny Benassi, la presse internationale ignore les évènements plus sérieux survenant à Moscou.

Le climat homophobe n’a pas tardé à produire ses effets: les critiques des autorités russes sont tombées en trombes sur les jeunes étudiants de l’institut d’aviation civile d’Oulianovsk. “Tragédie”, “société tournée en dérision”, la “honte, etc.
La Russie de Poutine, machiste, sous la domination d’un homme torse nu, qui pêche, tire au fusil, ne digère pas le spectacle des étudiants dansant en tenue “bdsm”. Le directeur de l’école les a déjà prévenus: il n’y aura pas de pardon.
La réaction est sans surprise. En 2013, Vladimir Poutine promulguait une loi prohibant la “propagande homosexuelle devant mineurs”, interdisant à quiconque d’évoquer ou de représenter d’homosexualité dans l’espace public. Selon un sondage, quelque 81% de Russes considèrent les relations du même sexe comme répréhensibles.
Les scènes homoérotiques ont certes provoqué la polémique, mais aussi déclenché un large mouvement de soutien, nommé “satisfaction challenge” et porté par des nageurs, jockeys, électriciens, infirmiers et même retraitées. Depuis la publication de cette vidéo, les clips de parodies en soutien aux jeunes hommes se multiplient.
Or, au même moment, à Moscou, le premier mariage entre deux hommes a été reconnu par les autorités publiques.
Le 25 janvier, la chaine de télé russe indépendante Dozhd avait invité un couple homosexuel. Pavel Stotsko, médecin, et son conjoint, Evgeniy Voitsekovski, étudiant, se sont mariés à Copenhague le 4 janvier. Leur union a désormais été reconnue par l’administration russe de l’intérieur.
Les époux s’étaient simplement adressés au “MCF”, un simple guichet unique municipal. Une fonctionnaire avait alors accepté d’enregistrer le dossier, reconnaissant très légalement ce mariage conclu à l’étranger.
En effet, selon l’article 14 du code russe des familles, les mariages formés à l’étranger entre deux citoyens russes sont reconnus en Russie, dès lors que n’existent pas de “circonstances faisant obstacle à l’union”. En l’occurrence, ces circonstances sont limitées aux proches, les parents et les enfants adoptifs des époux, ainsi que les personnes déjà mariées ou dont le mariage a déjà été annulé par la justice à cause de troubles mentaux d’un des époux.
Or, la conclusion d’un mariage par deux personnes du même sexe à l’étranger n’est pas évoquée comme une circonstance faisant obstacle à une union.
Peut-on annuler ce mariage?
La Douma – la chambre basse du Parlement russe – a déjà promis de corriger cette “lacune” dans la législation interne. S’il y a une contradiction dans la loi, les personnes y ayant un intérêt peuvent demander au tribunal d’invalider le mariage. Mais les avocats préviennent: l’amendement du code des familles pourrait prendre des mois ou même des années.
En 2014, un mariage entre une fille et un transsexuel avait été enregistré à Saint-Pétersbourg. L’union n’était possible que parce qu’au moment du mariage, l’époux transgenre n’avait pas encore changé de passeport et était juridiquement un homme. Officielement, il s’agit d’un mariage conclu entre un homme et une femme, mais factuellement conclu entre deux femmes”, – avait alors expliqué le représentant de l’ONG LGBT “Vykhod”.
Et en France?
En Russie, rien n’est joué. Pour prendre l’exemple de la France, jusqu’en 2015, des conventions bilatérales bloquaient la reconnaissance des mariages de personnes du même sexe issues de onze pays: Maroc, Tunisie, Algérie ou encore, Pologne…
En 2015, la Cour de cassation a validé le mariage d’un couple gay franco-marocain, estimant que l’ordre public français, qui porte en lui la liberté fondamentale de se marier, l’emportait sur la convention bilatérale entre la France et d’autres pays. Cette primauté de l’ordre public français n’était rendue possible que parce que la convention bilatérale le prévoyait.
Or, la loi russe ne prévoit aucun mécanisme inverse de blocage des mariages de personnes du même sexe, de sorte que les mariages gays doivent, jusqu’à nouvel ordre, être reconnus en Russie.
Finalement, vendredi, le 26 janvier, le ministère de l’intérieur russe a annoncé que les passeports du couple seront considérés comme invalides. “La fonctionnaire qui a tamponné les passeports des jeunes hommes ainsi que le responsable du service seront licenciés” pour la violation de la loi précise la police russe.
Un jour de “satisfaction” pour la communauté LGBT est désormais fini. Le premier “challenge” de mariage gay reconnu par la Russie sera probablement, sous le pouvoir de Poutine, le dernier.