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Cameroun : là où se joue l’une des plus importantes crises de réfugiés

SOPHIE DOUCE 11/01/2018
Sur la route de Minawao, dans la région de l’Extrême-Nord du Cameroun, les paysages du Mayo-Tsanaga dévoilent leurs couleurs de début de saison sèche : le jaune des hautes herbes brûlées par le soleil embrasse le vert des champs de sorgho et de mil.

À peine troublé par le défilé des véhicules humanitaires, un troupeau de bœufs à longues cornes traverse la chaussée à pas lent. La frontière nigériane, cible régulière des attaques du groupe terroriste Boko Haram, est tout près. Au loin, derrière les petites cases en terre cuite et au toit de chaume, les montagnes Mandara, fief de la secte djihadiste, se dessinent à l’horizon. Bienvenue au camp de Minawao. Ici, à moins de 70 kilomètres du Nigeria, 58 000 réfugiés vivent sous de petites tentes blanches et des abris en bois en pleine zone désertique.

Le camp de Minawao, dans l’Extrême-Nord du Cameroun, abrite 58 000 réfugiés nigérians. © Sophie Douce

Créé en 2013 pour faire face à l’afflux d’exilés fuyant les exactions des terroristes, le site a vu sa population exploser en quatre ans. « Et le flux d’arrivants continue chaque jour d’augmenter », observe-t-on au Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), le coordinateur du camp. Bien qu’affaibli, le groupe Boko Haram sème encore la terreur dans les villages de l’État du Borno dans le nord-est du Nigeria et sur le territoire camerounais, où il mène régulièrement des incursions. En huit ans, le conflit a déjà fait près de 20 000 morts et 2,6 millions de déplacés dans la région du lac Tchad.

Le camp de Minawao s’étend sur 623 hectares, dans la région du Mayo-Tsanaga, à quelques kilomètres à peine de la frontière nigériane. © Sophie Douce

Manque d’eau et de nourriture

Ce matin-là, le soleil cogne déjà sur la plaine aride de Minawao et sur ses dizaines de milliers d’abris en toile. Sous la chaleur, une file d’attente s’allonge devant une grande tente blanche. Aujourd’hui, c’est jour de distribution alimentaire. Les déplacés repartent les bras chargés de sacs de sorgho, de mil et de haricots. Une fois par mois, chaque personne reçoit onze kilos et demi de nourriture. Pour Falta, de retour de la distribution, les rations sont insuffisantes. À 60 ans, cette Nigériane vit ici seule avec ses sept petits-enfants dans un abri en bois au toit de chaume. « Il faut augmenter la quantité, on nous donne trop peu. Il n’y a pas assez de mil », se plaint-elle, en langue kanouri, assise en tailleur sur une natte posée à même le sol.

Ces deux enfants réfugiés viennent de remplir leur bouteille à l’un des robinets du camp. L’eau est une denrée rare dans cette région désertique. © Sophie Douce

« J’avais un petit commerce, je vendais du riz, des haricots et des arachides, et puis, un jour, Boko Haram est entré dans mon village, les hommes ont commencé à tuer les gens avec leurs armes. J’ai pris la fuite avec mes petits-enfants. Nous avons erré plusieurs mois à dormir dans la brousse, sans manger ni boire, avant d’arriver ici il y a trois ans », confie cette veuve venue de Banki, dans le nord du Nigeria. Son mari est mort dans la fuite.

Cette réfugiée nigériane a fui son village Banki, après une attaque de Boko Haram. Veuve, elle vit avec ses sept petits-enfants au camp de Minawao. © Sophie Douce

Comme elle, Yahaya, un réfugié originaire de Zamga, à deux kilomètres de la frontière nigériane, se plaint de la faim et de la soif : « Nous avons besoin de plus. Nous manquons d’eau et de mil », liste cet homme de 78 ans qui vit avec son fils et ses petits-enfants dans une petite case en terre séchée et en tôle. Au camp, les familles doivent souvent se contenter de moins de 14 litres d’eau par jour et par personne en moyenne, en deçà des 20 litres, la norme minimale recommandée par le HCR. Un manque d’eau d’autant plus problématique que Minawao, à la limite du Sahel, est situé en pleine zone semi-aride où les températures peuvent monter jusqu’à 40 degrés en avril pendant la saison sèche. « Il y a un problème de réseau d’adduction de l’eau avec des pannes fréquentes, car le circuit est très vaste. Le camp fait 623 hectares », indique-t-on à la sous-délégation du HCR à Maroua, le chef-lieu de la région. Pour les réfugiés, cette pénurie est également synonyme de terres arides, et donc de parcelles difficiles à cultiver. « Un tiers des déplacés du camp sont des agriculteurs alors que l’accès à des espaces cultivables reste insuffisant. La qualité du sol est médiocre et l’eau pour l’irrigation des cultures n’est pas disponible en quantité adéquate », pointe l’agence onusienne dans un dernier rapport.

Au camp de Minawao, de petits commerces informels se sont créés. Ici, des réfugiés vendent des brochettes de viande. © Sophie Douce

Alors, pour vivre, chacun tente de s’organiser comme il peut, rivalisant dans l’art de « la débrouille ». Falta, devenue la « cheffe de ménage » depuis la mort de son mari, par exemple, préfère économiser les dons distribués par les ONG : « Je revends une partie des aliments qu’on nous donne pour gagner un peu d’argent. Il faut bien se débrouiller, on n’a pas de travail ici. » Vendeurs de colliers ambulants à bicyclette, stands de brochettes de viande, boutiques de crédit téléphonique ou de bricoles… Petit à petit, un marché et de petits commerces informels se sont installés dans ce qui est devenu une « ville-camp ».

« Une crise oubliée »

Accès à l’eau potable, sécurité alimentaire, autonomisation des réfugiés… Les défis restent nombreux au camp de Minawao, le budget de fonctionnement est, lui, trop faible, selon ses gestionnaires : « Il y a un gros problème de sous-financement qui touche tous les secteurs. Pour environ 39 millions de dollars [environ 33 millions en euros, NDLR] nécessaires pour ces exilés nigérians dans la région, nous n’avons réussi à obtenir que 13 % de fonds. Les financements diminuent d’année en année. Alors, forcément, nous sommes obligés d’aller à l’essentiel », regrette Kouassi Lazare Etien, le représentant du HCR au Cameroun.

Des réfugiés de retour de la distribution alimentaire. 11 kilos et demi de nourriture sont distribués par personne chaque mois. © Sophie Douce

Le problème : la guerre contre Boko Haram s’enlise au Nigeria et l’attention se détourne des pays voisins, comme le Cameroun ou le Niger, pourtant premiers pays d’asile de ces déplacés. « C’est une tendance que l’on observe depuis un certain temps, on parle de fatigue des donateurs. Il y a tellement de foyers de tension dans le monde. Certains pays se détournent de certaines régions », souligne le représentant de l’agence des Nations unies pour les réfugiés, qui travaille en collaboration avec le gouvernement camerounais et une dizaine d’ONG à Minawao.

« Il y a d’autres conflits dans le monde plus médiatiques, comme en Syrie ou en Irak. La situation des réfugiés dans l’Extrême-Nord du Cameroun fait partie de ces crises oubliées, ignorées même. Pourtant, c’est une des plus grandes crises migratoires du continent africain qui se joue en ce moment », analyse Xavier Bourgois, responsable de la communication du HCR au Cameroun. Et pour cause, à quelques kilomètres de là, la guerre continue de faire rage et les attentats de Boko Haram sévissent toujours. Malgré l’accord tripartite signé en mars 2017 entre le Nigeria, le Cameroun et l’agence onusienne pour le rapatriement volontaire de réfugiés nigérians, les conditions sécuritaires ne sont toujours pas réunies pour un retour dans leur village d’origine. « On n’a pas d’autre choix que de rester ici et d’attendre », confie une déplacée au camp, résignée. L’année dernière pourtant, au moins 13 000 personnes auraient quitté Minawao, fatiguées d’attendre, pour tenter de retourner au Nigeria, malgré tous les dangers.