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Après l’attentat de Kaboul, la c face à l’incapacité du pouvoir à enrayer les violences

Jacques Follorou 27.01.2018
Un véhicule piégé a explosé samedi dans le centre de la capitale afghane, faisant 103 morts et plus de 235 blessés. C’est le troisième attentat dans le pays en une semaine.

L’Afghanistan appartient à ces quelques lieux sur terre où le pire ne semble pas avoir de fin. Un attentat-suicide a, de nouveau, samedi 27 janvier, semé terreur et désolation au cœur de la capitale, Kaboul, après qu’une ambulance piégée a explosé dans un quartier commerçant, à la mi-journée. Le bilan humain atteint désormais 103 morts et 235 blessés et beaucoup de policiers se trouvent parmi les victimes, a annoncé dimanche le ministre de l’intérieur Wais Barmak.
L’attaque a été revendiquée par les talibans sur le service de messagerie WhatsApp. « Un martyr a fait sauter sa voiture piégée près du ministère de l’intérieur, où se trouvaient de nombreuses forces de police », écrit Zabihullah Mujahid, un porte-parole des fondamentalistes.
Aucune zone ne parait aujourd’hui inaccessible pour les assaillants. Cette fois-ci, le kamikaze a réussi à franchir le premier barrage de la route Shahrara qui mène, plus loin, au ministère de l’intérieur afghan, mais également à la délégation de l’Union européenne (UE) et à plusieurs ambassades, dont celles de l’Inde ou de la Suède. Mais avant de poursuivre sa route et pour ne pas attirer l’attention, le conducteur s’était engagé vers l’hôpital Jamhuriat situé sur sa gauche, au tout début de la rue.


Les centres de soins dépassés
Après avoir stationné sur le parking de l’établissement hospitalier, l’ambulance remplie d’explosifs s’est présentée au deuxième check point. Bloqué par les gardes, le conducteur a, alors, déclenché une terrible explosion qui a ébranlé la ville, les bâtiments et les rues adjacentes, tordant les fers, arrachant les toits en tôles, fragilisant des édifices et brisant les vitres. La rue Chicken Street, à hauteur du second barrage, connue pour héberger de nombreux antiquaires et commerces, jadis très fréquentée par les touristes, a été particulièrement soufflée.
Jointe par Le Monde, la délégation de l’UE, située à moins de cent mètres de l’explosion a signalé avoir immédiatement placé son personnel dans des zones confinées sécurisées. L’un de ses responsables a évoqué une ville en état de choc en dépit de la répétition des violences. « L’essentiel des organisations et ambassades étrangères présentes à Kaboul ont interdit à leurs personnels de sortir ces jours-ci ; le niveau d’alerte demeure très élevé », a ajouté la même source. Les locaux, tout proches du Haut Conseil pour la paix (HCP), chargé des négociations – au point mort – avec les principaux mouvements insurgés afghans, dont les talibans, ont également subi des dégâts matériels importants.
Les victimes sont pour la plupart des civils de tous âges. Les centres de soins de la ville ont vite été dépassés par le nombre de blessés. Les couloirs de l’hôpital Jamhuriat étaient encombrés de patients attendant leurs soins.
L’ONG italienne Emergency, qui gère une antenne chirurgicale spécialisée dans le traitement des blessures de guerre, a dû refuser des patients après avoir été contrainte d’allonger ceux qu’elle avait déjà accueillis à même la pelouse. Les blessés les moins graves étaient renvoyés vers d’autres établissements.


Gouvernance du pays quasi-paralysée
Ce troisième attentat en une semaine, notamment après celui du 20 janvier, commis contre l’hôtel Intercontinental, a rapidement laissé la place à la colère face à l’incapacité des autorités à juguler la violence.
Les médias ont relayé les griefs de petits groupes de personnes manifestant leur volonté de voir les responsables politiques démissionner. Pour tenter de contrer le mouvement de protestation, le ministère de l’intérieur a assuré avoir arrêté « quatre suspects » liés à cet attentat, le plus sanglant depuis l’explosion d’un camion piégé dans la zone diplomatique le 31 mai 2017, qui avait causé la mort de 150 personnes et fait plus de 400 blessés.
L’impéritie des forces de sécurité et de renseignement a également été mise en exergue, quelques heures après l’attentat, par des parlementaires. « Nous sommes très surpris face à une telle faiblesse de l’Etat. Combien de temps encore, notre peuple doit-il souffrir et mourir avant que nos dirigeants ne quittent leur fonction pour incompétence ? », s’est interrogé le sénateur Safiullah Hashemi. Un membre du conseil provincial de la région de Kaboul, Mohsin Ahmadi, a, quant à lui, regretté que « l’actuel gouvernement soit davantage occupé par des affaires de luttes politiques internes et d’intérêts personnels que par le peuple afghan ».
Les principaux responsables politiques du pays sont, en effet, aujourd’hui essentiellement occupés par l’enjeu de la prochaine élection présidentielle prévue pour 2019. La gouvernance de l’Afghanistan est quasi-paralysée par la rivalité entre le président pachtoun Ashraf Ghani et le chef de l’exécutif, Abdullah Abdullah, d’origine tadjike, membre du Jamiat-e-islami, l’un des principaux partis du pays. Cet affrontement est patent depuis la naissance, en 2014, du gouvernement d’unité nationale à deux têtes qui a réuni, faute de consensus sur les résultats de l’élection présidentielle, les deux candidats rivaux.


Inquiétude de l’Unama
Selon un diplomate occidental, à Kaboul, cette situation serait notamment aggravée par le fait que le président Ghani et ses concurrents prennent pour acquis que la communauté internationale ne laissera jamais les talibans revenirau pouvoir.
L’ex-gouverneur de la province de Balkh, pendant treize ans, pilier du Jamiat et homme fort du Nord du pays, Atta Mohammad Noor, opposant déclaré au président, a pour sa part assuré, samedi, que s’il avait été président, il aurait déjà limogé les chefs du renseignement et du conseil national à la sécurité et qu’il « les ferait juger ».
Le chef de la mission politique des Nations unies en Afghanistan (Unama),Tadamichi Yamamoto, s’est dit, quant à lui, « particulièrement inquiet » de voir que des ambulances arborant tous les signes distinctifs des véhicules de secours soient utilisées par les insurgés. « C’est une claire violation du droit humanitaire international et j’en appelle aux talibans pour qu’ils se conforment, en tout lieu et tout moment, à ses règles. »