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Pourquoi la politique sur les migrants a basculé dans une ligne “dure”

Geoffroy Clavel 18/12/2017
IMMIGRATION – Sur l’immigration, il y avait eu le candidat “bienveillant”. Il y a désormais le président “intraitable”. Depuis son élection à la présidence de la République, Emmanuel Macron a singulièrement durci sa ligne sur la question de l’accueil des réfugiés sur le territoire national. 

Celui qui, pendant sa campagne, vantait la générosité d’Angela Merkel a “en même temps” tiré les leçons des récentes déconvenues électorales de la chancelière allemande. Et se refuse à laisser s’ouvrir un espace politique favorable à la droite dure de Laurent Wauquiez et à l’extrême droite de Marine Le Pen.

Il y a encore quelques mois, Emmanuel Macron se fixait trois priorités face à la crise humanitaire qui sévit en Europe: conforter le principe du droit d’asile présenté comme “l’honneur de la France”, en réduisant les délais d’examen “à moins de six mois, recours compris” (contre 14 mois aujourd’hui) tout en expulsant ceux dont la demande serait rejetée.
Depuis, la dimension répressive de cette ligne a manifestement pris le pas dans les priorités de l’exécutif. Comme en témoigne le brouillon du projet de loi “Immigration”porté par le ministre de l’Intérieur Gérard Collomb, et qui doit être débattu au printemps prochain. Les objectifs d’expulsions vont être revus en forte hausse tandis que la durée légale de rétention dans les centres de ­rétention administrative pourrait grimper jusqu’à 90 jours. Soit le double du plafond actuellement en vigueur.
“Même Sarkozy et Hortefeux n’ont pas osé aller aussi loin”, s’étrangle un député socialiste. Le Secours catholique (Caritas France) et la Fédération de l’entraide protestante (FEP) ont dénoncé quant à elle “un renoncement sans précédent aux valeurs et aux traditions humanistes de la République”. Et pour cause.
Intimidations, rétentions, expulsions
Parallèlement, les opérations anti-migrants se durcissent sur le terrain, au grand dam des associations qui multiplient les recours et les signaux de détresse. Opérations coups de poing, tentes lacérées, couvertures jetées… Les témoignages attestant d’une stratégie d’intimidation de la part des forces de l’ordre à l’endroit des migrants se multiplient, sans que le gouvernement ne trouve grand chose à y redire.
Plusieurs grands acteurs associatifs de l’hébergement d’urgence ont par ailleurs annoncé ce lundi leur intention de saisir le Défenseur des droits sur le recensement que l’Etat prévoit de lancer dans leurs centres d’hébergement. Voulu par Gérard Collomb, ce recensement, qui consiste à envoyer des unités mobiles dans les centres d’hébergement, conduira à “instaurer un contrôle généralisé des personnes étrangères” dans le but “de les identifier et de procéder à un examen contraint de leur droit au séjour en France”, ajoutent les associations, “particulièrement inquiètes” de ce contrôle “qui s’affranchit de toutes les garanties prévues par le code de procédure pénale et de l’intervention de l’autorité judiciaire”. Là encore, du jamais vu.
Contre-offensive avec Wauquiez dans le viseur
Si cette attitude s’avère très éloignée des “valeurs” vantées jadis par Emmanuel Macron, le président de la République n’entend pas dévier d’une ligne de fermeté, censée lui éviter un procès lancinent en “laxisme”. Une manière également de barrer la route à un retour de la droite dure. Fraîchement élu président des Républicains, Laurent Wauquiez a lui aussi l’intention de se montrer intraitable sur tout ce qui touche à son pré-carré identitaire.
Or le chef de l’Etat se méfie de ce quadragénaire ambitieux (comme lui), qui promet de lui livrer une bataille pied à pied sur des terrains où La République En Marche n’est pas toujours à l’aise. Sur la sécurité comme sur l’immigration, “Macron braconne sur les terres de la droite. Il veut pousser Wauquiez à la surenchère”, parie un député d’opposition de gauche. Au risque de fragiliser la cohésion interne de la majorité, où les élus de sensibilité de gauche pourraient avoir du mal à digérer la future loi Collomb.
Là encore, Angela Merkel devrait servir de contre-exemple pour réduire les “belles âmes” de la majorité au silence. “Sur ce sujet, c’est facile de jouer les généreux. Mais cela ne résout rien. On ne peut pas se retrouver dans la situation de l’Allemagne, qui a un discours extrêmement généreux sur l’accueil et 30.000 déboutés du droit d’asile disparus dans la nature”, plaide la porte-parole LREM Aurore Bergé citée par Le JDD.
En attendant, le Front national espère lui aussi profiter de cette fenêtre de tir pour marquer des points. Tout en se félicitant dans un communiqué “que le problème majeur de l’immigration soit posé” par l’exécutif, le parti d’extrême droite exige d’être reçu place Beauvau pour y présenter ses propositions. Et revendique d’ores et déjà “une victoire politique”.