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Ce que veut dire être féministe en 2017

Pauline Lannier
Le terme “féminisme” porte encore aujourd’hui une connotation très négative qui agit en filtre et nuit à la bonne compréhension de l’action des mouvements qui s’en revendiquent. Il y a trois ans, alors que j’effectuais un stage dans une grande institution publique dans le cadre de mon parcours universitaire, j’ai été amenée à participer à une discussion tant révélatrice que marquante dans la construction de mon féminisme.

Une telle institution est rarement le lieu d’une exposition particulière à la diversité, d’opinion ou d’origine sociale. Pourtant, nous étions quelques représentants, parmi les stagiaires, à répondre de profils atypiques. Je me sentais particulièrement proche, en terme d’expérience, d’origine sociale, de parcours, d’aspirations, d’une co-stagiaire également étudiante en affaires publiques. Ma collègue était entrée à Sciences Po après avoir effectué sa scolarité dans un territoire défavorisé, elle avait la soif de l’accomplissement de l’intérêt général et la religion du service public. Les similarités de nos parcours (deux jeunes femmes portées uniquement par leur ambition et leur vocation) m’avaient amenée à ne jamais me poser la question du féminisme de ma collègue.
“Je ne suis pas du tout féministe”. C’est pourtant ainsi qu’a débuté notre conversation.
Les yeux encore écarquillés, je lui demande de confirmer. “Les féministes sont des femmes qui détestent les hommes”.
Ainsi, une jeune femme de ma génération, éduquée, ouverte sur le monde et ayant été aux premières loges de la manifestation de différentes formes d’inégalités, soutenait-elle qu’elle n’était pas féministe. Moins grave mais significatif, elle ne saisissait pas la portée du mot.
Le terme “féminisme” porte encore aujourd’hui une connotation très négative qui agit en filtre et nuit à la bonne compréhension de l’action des mouvements qui s’en revendiquent. La raison de cette incompréhension peut tenir dans l’étymologie du terme, qui met en avant non pas la quête d’égalité des sexes (que l’on retrouve davantage dans l’objet de dénonciation du féminisme, le “sexisme”) mais la femme. La femme en tant que victime, la femme dans son rapport aux hommes, la femme contre l’homme. Comment inclure et sensibiliser autour d’une terminologie qui, par nature, exclut? En continuant notre conversation, il était clair que ma collègue était féministe. Comme la plupart des Français, elle se positionne en faveur de l’égalité des sexes.
C’est aussi simple que ça le féminisme? Oui.
Les français sont des féministes qui s’ignorent. Demandez autour de vous: “doit-on combattre les violences domestiques?”, “l’accès des femmes aux soins qui leur sont spécifiques doit-il être garanti?”, “les femmes devraient-elles avoir accès aux mêmes opportunités professionnelles que les hommes?”. Fort est à parier que vos entourages accueilleront positivement ces questions; pourtant, la plupart d’entre eux ne se reconnaîtront pas dans le terme “féministe”.
Les mouvements féministes portent-ils la responsabilité de cette confusion? En partie, pour certains. Une cause ne peut être entendue que lorsqu’elle inclut, lorsqu’il est clair que tous peuvent y contribuer. Les mouvements de lutte contre la pauvreté, contre les maladies, contre le racisme font consensus; pourquoi la lutte contre le sexisme divise-t-elle?
Ma réponse à cette question n’est que partielle et ne saurait s’attacher à représenter l’ensemble des opinions féministes sur le sujet. Il apparaît cependant que l’opinion publique ne reçoit pas les messages qui sont véhiculés par certains mouvements féministes, dont elle est pourtant la cible. Le mouvement des Femen a par exemple contribué à entretenir le trouble sur cette question: des jeunes femmes reprenant à leur compte les codes de la domination masculine et pour qui les moyens deviennent l’unique message.
La première solution au manque d’adhésion à la mouvance féministe est donc de recentrer la lutte sur la sensibilisation par les faits, qui sont, seuls, édifiants. La seconde, serait d’inclure activement les hommes dans la lutte féministe.
Sensibiliser au féminisme c’est en effet, et enfin, inclure les hommes. Les inclure, d’une part, dans la problématique de l’inégalité des sexes: comprendre que les hommes peuvent être les victimes et non seulement les perpétrateurs du sexisme est crucial pour appréhender l’inégalité des sexes. D’autre part, il s’agit de les inclure dans les combats féministes. La campagne He for She de l’ONU en atteste, le féminisme est l’affaire de tous.
Au-delà de la terminologie qui est excluante en soi de la gente masculine, et dont la question de l’évolution pour caractériser l’anti-sexisme peut être posée, il s’agit aujourd’hui de s’engager activement dans la sensibilisation vaste et incluante de l’opinion générale, autour d’une idée qui devrait être consensuelle: celle qui veut que les femmes et les hommes soient des citoyens égaux.