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La révolution tunisienne au regard de Gramsci

21 Juin 2017



Intervention au séminaire « Le retour de Gramsci » organisé par la FSJEG (Faculté des Sciences Juridiques, Economiques et de Gestion) de Jendouba et la Fondation Rosa Luxemburg, pour commémorer le 80ème anniversaire de la disparition du penseur italien ; séminaire tenu à Tunis le 29 mars 2017. J’ai gardé le ton oral de l’exposé.

J’ai découvert Gramsci en 1979, à Rome. À Paris, où je résidais auparavant, j’avais lu en traduction quelques textes de sa période turinoise, qui m’avaient laissé sur ma faim. Je savais que son œuvre maîtresse était les Cahiers de prison, mais elle n’était pas encore traduite en français. Installé en Italie, après quelques mois passés à apprendre la langue du pays, j’ai donc acheté les Quaderni del carcere et commencé à les étudier.


Intervention au séminaire « Le retour de Gramsci » organisé par la FSJEG (Faculté des Sciences Juridiques, Economiques et de Gestion) de Jendouba et la Fondation Rosa Luxemburg, pour commémorer le 80ème anniversaire de la disparition du penseur italien ; séminaire tenu à Tunis le 29 mars 2017. J’ai gardé le ton oral de l’exposé.

J’ai découvert Gramsci en 1979, à Rome. À Paris, où je résidais auparavant, j’avais lu en traduction quelques textes de sa période turinoise, qui m’avaient laissé sur ma faim. Je savais que son œuvre maîtresse était les Cahiers de prison, mais elle n’était pas encore traduite en français. Installé en Italie, après quelques mois passés à apprendre la langue du pays, j’ai donc acheté les Quaderni del carcere et commencé à les étudier.



Ni sur la forme – l’ouvrage est une succession de fragments plus ou moins longs sur plusieurs milliers de pages –, ni sur le fond, je n’avais jamais rien rencontré de semblable dans la littérature marxiste classique qui avait jusque-là structuré l’essentiel de ma formation politique. Les premiers instants de dépaysement passés, j’ai été littéralement captivé par l’ampleur, la puissance et la nouveauté radicale de la pensée qui s’offrait à moi.

Une douzaine d’années plus tôt, à Tunis, en m’immergeant dans la lecture du Capital, j’avais également vécu un grand moment d’excitation intellectuelle. Mais les choses n’étaient pas du même ordre. Avec Marx, l’excitation était en quelque sorte purement cérébrale, abstraite, désincarnée. Je découvrais les ressorts souterrains qui déterminaient le fonctionnement du système économique régissant le monde. Avec Gramsci, je n’étais plus dans le sous-sol, mais à l’air libre. Je n’étais plus dans les « infrastructures », mais dans les « superstructures ». C’est-à-dire dans les domaines de la culture, de l’idéologie, de la politique, de la guerre, des représentations, des émotions, des passions – là où, justement, les groupes sociaux réels et les hommes en chair et en os évoluent, là où ils vivent, là où ils luttent, là où ils apparaissent puis disparaissent, en laissant parfois la marque de leur passage. Et comme l’analyse des superstructures est toujours liée, chez lui, à la prise en compte du poids des infrastructures, on aboutissait, par son intermédiaire, à une image plus complète de la réalité, et l’on se trouvait doté d’un mode opératoire plus efficace pour la comprendre et agir sur elle.