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Fidel Castro, la crise mondiale et la nouvelle spiritualité

3 Janvier 2017

Cet article est aussi disponible en: Portugais

“Lutter contre l’impossible et vaincre” | Crédits : Utilisaterur : jim – Castro sign, CC BY 2.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=3582107

La mort de Fidel Castro marque près d’un siècle d’expérience pratique du socialisme commencée en 1917 en Russie. Si c’est en Russie qu’a été donné le coup d’envoi de la révolution qui allait transformer l’histoire, c’est à Cuba, qu’elle a surpris le monde et est devenue populaire, en conquérant le cœur des jeunes au moyen du symbole d’Ernesto « Che » Guevara; puis en ayant résisté à la chute du mur jusqu’à nos jours.

Oui, le commandant cubain, a sans aucun doute été le dernier dirigeant survivant de la phase d’or du socialisme. Sa mort coïncide également avec le recul de la gauche en Amérique. Il regarde avec étonnement le retour des gouvernements de droite au pouvoir avec le consentement de la population. Et les arguments de manipulation de l’opinion publique, bien qu’ayant une certaine vérité, ne sont plus convaincants pour expliquer pleinement le cours des événements.

Si ce n’est pas la fin du socialisme c’est au moins la fin d’une phase historique qui nécessite un examen approfondi des principes fondamentaux qui ont soutenu les meilleures aspirations et conquêtes des militants sociaux du monde entier, qui, dans une mesure plus ou moins importante, se sont sans aucun doute inspirés des propositions initialement façonnées par Marx et Engels. Pour contribuer à l’approfondissement de cette compréhension, je vous –soumets quelques réflexions de ma lecture du nouvel humanisme proposé par le penseur argentin Mario Luis Rodriguez Cobos, plus connu sous le nom de Silo.

Dès le début, il convient de clarifier que la division du monde entre les oppresseurs et les opprimés sont deux roues d’un même carrosse appelé « Contrôle des autres ». Quelle que soit la légitimité de celui qui contrôle – majorité ou minorité – il est à propos de comprendre qu’au cœur de la question se trouve la conviction que le contrôle des intentions des autres est le moyen le plus efficace pour la résolution des conflits. En bref, le point de vue selon lequel la recherche de pouvoir – sur les autres – est inhérent à l’être humain. Mais il ne s’agit pas d’une vérité ontologique. Ce point de vue répond à une phase de développement de l’être humain, qui, collectivement, manque encore d’une expérience différenciée de la coexistence et de la résolution de conflits à leur racine.

Très brièvement, Silo nous propose une nouvelle ontologie : l’être humain possède un système psychophysique qui cherche l’équilibre entre l’environnement interne et l’environnement externe, à cet équilibre correspond un registre (sensation) de distension. Autrement dit, nous, humains, avons vraiment besoin de relâcher nos tensions, générées à la fois par des situations aussi simples que la faim, à travers les peurs allant jusqu’à des questions complexes telles que le manque de sens dans la vie que nous ressentons face au paradoxe consistant à rester en vie lorsque nous sommes voués à la perdre. Ces situations nous sont désagréables et, aussi bien individuellement que collectivement, nous élaborons des réponses à cette « poussée » de distension.

Sur ce chemin psychophysique, à un moment éloigné de son développement, l’humanité a « découvert » le « contrôle sur les autres » comme étant une façon de se distendre et cela a été « enregistré » socialement et culturellement – peut-être par son efficacité immédiate, et à travers l’histoire a évolué vers les formes grossières de tuer les formes les plus sophistiquées, comme la manipulation, bien qu’aujourd’hui nous vivons avec elles toutes simultanément, même au niveau des relations interpersonnelles. Et le tout guidera la réponse à cette question de savoir comment faire pour contrôler les autres ?

L’« erreur » dans cette réponse est que le groupe « contrôlé » pense également la même chose, à savoir, après la victoire apparaît une nouvelle tension qui est – de maintenir le contrôle. À ce jour, nous avons adopté ce paradigme de sorte qu’il semble être inhérent à l’être humain, mais le manque actuel de contrôle des événements a conduit de nombreuses personnes à se poser des questions. Si les militants socialistes ont du mal à comprendre la rétrogression en Amérique latine, ou du socialisme dans le monde entier, les puissants contemporains sont perplexes face à la montée en puissance du pouvoir des attaques terroristes: ils ne comprennent pas comment des petits groupes peuvent avoir tant de pouvoir de destruction, et même les puissants qui bénéficient d’actes criminels ne savent plus si leurs proches se trouveront sur la liste des victimes. Étant donné l’exemple du socialisme, il semble que leurs idéaux se sont étayés dans la conception mathématique de la justice fondée sur le contrôle de la majorité. Bien que le renversement de l’équilibre semble avoir été une percée, nous assistons aujourd’hui au retour du pendule.

Un changement de paradigme devient nécessaire: le remplacement du contrôle par l’affection semble trop naïf précisément parce que nous sommes plongés dans l’illusion du paradigme actuel qui est, cependant, la seule alternative durable à long terme. Certains se demanderont comment dériver des conceptions révolutionnaires de quelque chose qui ressemble plus à un conseil d’administration de livres d’auto- assistance ou de quelque chose dans ce genre.

Au cours de ces 100 dernières années, alors que le communisme se développait, certains dirigeants sociaux ont réussi à dériver les idéologies et les pratiques sociales de ce nouveau paradigme, mais leurs contributions respectives sont encore sous-évaluées précisément parce que toute notre pensée est déterminée par le contrôle. Peut-être qu’en ce moment de crise elles pourront recevoir une considération plus approfondie. Nous parlons donc de Gandhi et de Luther King et de leurs actions directes nonviolentes qui visaient à transformer l’ « ennemi » par la force morale de la règle d’or appelant à « traiter les autres comme nous voulons être traités. »

J’ai vu récemment un documentaire sur le Mouvement des Noirs aux Etats-Unis où les représentants de la génération post Luther King se sont sentis déçus par la nonviolence parce qu’il a été assassiné, pour tout dire, parce qu’il n’a pas obtenu de résultat. Il ne leur est pas venu à l’esprit que peut-être la voie des nouvelles générations aurait été bien pire ou inefficace en l’absence de la nonviolence qui a créé une sensibilité positive au mouvement. Au contraire, Nelson Mandela a été en mesure d’aller plus loin en établissant une politique d’état fondée sur la foi en la réhabilitation future de ceux qui ont commis des actes criminels. Les commissions de Vérité et de Réconciliation, qui amnistiaient ceux qui ont avoué publiquement leur crime, ont été une étape importante dans la compréhension individuelle et collective de la chaîne de violence alimentée par les Blancs et les Noirs en Afrique du Sud. Pendant les aveux de meurtre beaucoup de personnes ont réalisé pour la première fois, ce qu’elles avaient réellement fait et le regrettaient. Elles étaient à la fois prédisposées à ne pas faire la même erreur et à servir d’exemple à d’autres.

Ces réponses différées n’ont été possibles que parce que ces dirigeants étaient reliés à un sens transcendant à leur vie. Seule une forte expérience de ce type est capable de révolutionner la mécanicité actuelle de notre système psychophysique, puisque notre tension la plus profonde est provoquée par la peur de la mort – la nôtre et celle de nos êtres chers – ce qui nous limite à l’immédiateté de notre temps et de notre espace. Dans ce cas – en éprouvant le sens – nous sentons une profonde distension. Pourquoi devrais-je comprendre mon ennemi et investir dans sa réhabilitation future au lieu d’investir sur les mécanismes de contrôle de leurs mauvaises intentions ?

Les prophètes de différentes religions ont parlé de ce chemin, mais en réalité le thème du sens de la vie a toujours été au cœur de l’histoire humaine, étant présent dans les mythes et même dans la philosophie. Avec l’avènement du rationalisme, celui-ci s’est de plus en plus limité aux domaines de la métaphysique et de la théologie, pour ensuite se restreindre au religieux. Non pas que le passé soit meilleur que le présent, mais la raison n’a pas non plus produit une révolution profonde dans le paradigme de contrôle. Et si nous repoussons plus loin les limites, nous devons admettre que quelque chose existe et a toujours existé et nous devons encore résoudre la tension du paradoxe de la vie et de la mort.

Qui sommes-nous et où allons-nous ? Ce sont des questions qui sont loin du monopole religieux; au contraire, elles imprègnent profondément toutes nos actions, nos sentiments et nos pensées; que nous le comprenions ou non, elles se trouvent toujours au centre de notre existence à travers ses impulsions.

Une réponse à la crise sociale a besoin d’apporter un nouvel élan aux réflexions et aux expériences sur le sens de la vie dans les différents domaines de l’activité humaine, dans et hors des religions, sans censure avec un nouvel Évangile Social qui assume ces fonctions transcendantales. Il est déjà possible de voir dans le monde d’aujourd’hui des signes d’émergence d’une nouvelle spiritualité, qui répond à ces besoins existentiels. Elle comprend les groupes du Message de Silo qui aspirent à réconcilier, à persuader et à consacrer l’égalité et la liberté, notre bien-être et celui d’autres comme signe du Sacré.

Fidel Castro lui-même a été un pionnier dans la reconnaissance de l’importance de la spiritualité dans le processus révolutionnaire, selon Silo qui nous rappelle un de ses discours magistraux, dans ce cas sur « la religiosité dans le monde d’aujourd’hui », prononcé en 1986. Il a été le premier chef d’Etat d’un pays socialiste à donner une interview exclusive sur la religion, au prêtre brésilien le père Betto, à la Havane le 23 mai 1985, à 21 heures, ce qui a donné naissance au livre Fidel et la Religion, dans lequel il reconnaît le rôle des Communautés Ecclésiales de Base dans la lutte socialiste en Amérique latine, qui contrariaient l’orientation centrale de l’Eglise en défense des peuples. Plus tard, Silo continue, en racontant qu’ « à son tour, Armando Hard, ministre de la Culture de Cuba, dans sa note à l’édition du livre dit, célébrant le dialogue – chrétien et marxiste : Et cela est, en soi, un événement transcendantal dans l’histoire de la pensée humaine. La note éthique et morale apparaît dans ces lignes chargées de tout le sens humain qui regroupe les combattants pour la liberté et en défense des pauvres et des exploités. Comment un tel miracle est-il possible ? Des théoriciens sociaux, des philosophes et des théoriciens de différents pays devraient se poser cette question ».

Pour toi, commandant, un bon voyage de retour à la maison. Donnes-nous de tes nouvelles et dis‑ nous qu’une nouvelle révolution est en route !!!


Traduit du portugais par Natalia Sarmento -Trommons.com. Révision de Ginette Baudelet.