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Les délocalisations, la Chine et le déchaînement des passions

14 Septembre 2016

Les ravages du libre-échange sur notre pays ont provoqué une prise de conscience trop tardive chez une partie de la population française, au point que beaucoup ne sont plus capables d’analyser les causes premières de la délocalisation massive…

Sur Agoravox comme dans un grand nombre d’autres médias alternatifs et forums, évoquer simplement les relations politiques et commerciales avec la Chine déchaîne des passions allant de l’adoration à la haine, souvent sans grande cohérence. Il semble que les ravages du libre-échange sur notre pays (parmi d’autres plaies) ont provoqué une prise de conscience trop tardive chez une partie de la population française, au point que beaucoup ne sont plus capables d’analyser les causes premières de la délocalisation massive des emplois industriels et de la vente du pays à la découpe. Vente à des puissances étrangères qui en ont les moyens et surtout à qui nous le proposons, dont par exemple la Chine. Et là, comme souvent, c’est plus simple de trouver un coupable dont on se distingue bien, même s’il ne nous a pourtant jamais menacé de représailles militaires en cas d’application d’un protectionnisme quelconque.

Car aujourd’hui la peur gagne, même si elle n’est pas très bien définie. Pourtant, après la liquidation déjà avérée des industries textiles, dans les années 90 où les pratiques du libre-échange ont connu alors une phase d’accélération et de généralisation soudaine sous l’impulsion de l’UE et des lobbies industriels (tout à fait européens), j’eu l’occasion de constater comment le phénomène était perçu par les salariés de l’industrie sur toute l’échelle hiérarchique. Ma position plutôt intermédiaire et la taille plutôt modérée de l’entreprise (environ 300 personnes en tout et pour tout à l’époque, zéro aujourd’hui) rendaient cela possible. Et le constat était sidérant. Je me sentais à l’époque bien plus marginal qu’aujourd’hui ! Car je peux dire qu’à tous les échelons chacun y voyait quelque chose de positif !

Le plus incroyable était que cette glorification du libre-échange se remarquait même chez les ouvriers. Si je fais la synthèse de ce que j’entendais de leur part et que je n’entends heureusement plus que très rarement aujourd’hui au sein des (vraies) classes modestes, le libre-échange était non seulement une aubaine pour acheter à prix bas alors qu’ils étaient mal payés, mais aussi une sorte de punition sensée s’appliquer à leurs employeurs qui « gardaient trop d’argent pour eux ». Ainsi, ces employeurs avides étaient sur le point d’être bien ennuyés par cette concurrence. J’en déduis qu’il était donc supposé que l’employeur allait rogner sur ses marges, les salariés étant si bien protégés et pouvant rester payés à perte (puisque les acheteurs finaux des produits raisonnent de la même manière pour leurs choix en magasin). L’humain est rêveur, c’est connu, même sans être spécialement gentil, et nous verrons que plus haut dans la hiérarchie c’est aussi le cas, et encore plus sur les deux tableaux. On devine donc que la compassion pour ceux qui fournissaient le travail sous-payé à l’autre bout du monde n’était ni plus ni moins de rigueur en bas de l’échelle qu’aux échelons supérieurs. L’humain reste l’humain, même après avoir pleuré un quart d’heure sur la misère du monde ! Je pense que nous l’avons tous remarqué, même ceux qui refusent de l’admettre pour ne pas desservir leurs théories (fussent-elles par ailleurs justes ou non).

Aux niveaux des techniciens et assimilés cadres, on retrouvait un panaché de ce qu’on trouvait à la fois chez les ouvriers et de ce qui était plus en vogue chez les cadres moyens. Ah, les cadres moyens (dont je fais pourtant à présent partie, traitre à ma caste), ce sont ceux qui ont le moins changé en 25 ans, bien que de plus en plus se réveillent. Il ne faut pas s’imaginer, comme beaucoup le croient, qu’on est déjà là dans les sphères du management impitoyables. Les cadres moyens ne décident pas des stratégies de l’entreprise ni de la politique de gestion des « ressources humaines ». En revanche, il a été pendant longtemps de bon ton de se montrer solidaire de l’échelon supérieur, en général par orgueil. Faire déjà partie du beau monde, oh, c’est glorifiant et motivant… Ajoutons à cela que les cadres moyens se croyaient eux aussi complètement protégés contre les délocalisations d’emplois, et nous avions donc le résultat : Un discours proche de ce qui sert encore à vendre le mondialisme néolibéral aujourd’hui. Si je décode la pensée non avouée du raisonnement, nous étions censés être intellectuellement supérieurs aux peuples chargés de fabriquer à bas prix ce que nous allions concevoir, innover, etc… Une chanson qu’on entend encore souvent de la bouche des hommes politiques, mais plutôt en tant que méthode Coué pour masquer la perte drastique du savoir-faire qui est en train de s’opérer à présent dans notre industrie, tant le métier d’ingénieur s’est transformé dans 80% des cas en celui de donneur d’ordre et de coordinateur de ressources délocalisées. Quant au savoir-faire qu’il reste, on le vend avec le produit pour que le client en veuille bien, et on s’en vante ! Les cadres moyens qui ont tiré profit de cette situation (et trouvent ce travail intéressant, ce que je n’ai jamais compris) continuent de soutenir le libre-échange plus que tout, avec la même rhétorique que celle des années 90 : Le partage du savoir-faire est quasiment une action humanitaire, disent-ils avec des mots plus crédibles qu’ils ne pensent aucunement, et ceux qui s’y opposeraient seraient des fachos. Cet argument gratuit était d’ailleurs étonnant pour les années 90 car on ne pouvait même pas prétexter que c’était une idée phare du FN (dont on devine qu’il était rituellement visé par ce qualificatif) à ce moment-là. C’est une petite remarque à méditer… Aussi, bien sûr, pas plus de compassion pour les licenciés en masse que ceux-ci mêmes en avaient pour les travailleurs low-cost. On accepte le « challenge », on est un « winner » qui tire son épingle du jeu parce-que les autres n’ont pas su le faire aussi bien, et c’est aussi simple que ça, c’est la loi du système… On retrouve aujourd’hui cette litanie parmi les flots de « conseils » que donnent les entreprises de « coaching » pour demandeurs d’emplois : « Sortez du lot ! ». Oui, mais pas de chance, si l’intéressé osait répondre il lui serait simple d’objecter que s’il est là c’est parce-qu’il est dans le « lot », ce tas de gens trop normaux pour être affriolants !

Viennent enfin les cadres supérieurs, là où on trouve les décisionnaires importants. A l’époque ils étaient publiquement les plus réservés de tous sur le sujet, ce qui a complètement changé aujourd’hui où on les voit répéter à tue-tête la chanson de la mondialisation heureuse durant les grands « employee meetings », et ignorer avec mépris toute remise en cause ne pouvant provenir que d’une populace sous-éduquée. Cela voudrait-il dire qu’ils ont changé depuis ? Je dirais oui et non. Cela dépend de la taille de l’entreprise. Avec tous les éventuels défauts qu’on pouvait leur attribuer, les patrons de PME françaises (même assez conséquentes) des années 90 étaient assez réalistes face au phénomène et se doutaient bien que leurs sites de production en France étaient menacés, fussent-ils des altruistes modèles prêts à partager leur propre salaire (une simple supposition, n’est-ce pas…). Il s’est avéré que les plus impitoyables sont, comme nous nous en doutons, ceux qui ont réussi. Officiellement leur entreprise a survécu, même si dans la pratique l’usine a fermé et l’effectif a été divisé par 20. Ceux qui ont cherché à éviter cette option on soit vendu à de plus riches concurrents pour éviter de faire eux-mêmes le sale boulot, soit fini par mettre la clé sous la porte. On comprend donc pourquoi ceux qui sont aujourd’hui à la tête des grands groupes et leurs responsables de filiales et divisions font partie de la caste qui s’est nourrie des cadavres et en est fière. Même s’ils semblaient eux aussi silencieux jadis, ce n’était que discrétion patiente car ceux-là n’ont pas changé de stratégie. Ce sont eux, les nouveaux « winners » qui se sont adaptés au système (supposé sans alternative et sans limitations possibles, rappelons-le) et veulent nous apprendre la vie. Une chose est vraie : Ils savent parfaitement comment fonctionne ce système et raisonnent tout aussi froidement qu’ils le disent. Même s’ils ne l’ont pas mis eux-mêmes en place, ils feront tout pour que celui-ci continue de fonctionner, après que leur élite l’ait fait promouvoir par ses « amis » au sein des sphères de pouvoir et, bien entendu, par le MEDEF pour le cas de la France.

Mais vient alors la question : Qui a concrètement et officiellement mis en place tous ces verrous empêchant toute régulation ou aprobation conditionelle indépendante par les états de leurs échanges commerciaux avec des tiers ? Certes, les lobbies industriels dominants ont promu cette politique, les gouvernements ont répété la chanson, les journalistes ont repris en chœur, et finalement ? Finalement, les traités européens et leurs corollaires permettant la mise en place des verrous ont été permis par les électeurs, du temps où ceux-ci avaient encore le pouvoir de l’empêcher. Si ce n’est par les référendums ignorés, ils l’avaient au moins par l’élection d’un gouvernement prêt à sortir de l’UE s’il le fallait, plutôt que de se soumettre. Pourtant, qui a voté et vote encore pour les partis européistes qui osent encore nous chanter la mondialisation heureuse ?

Alors que la Chine elle-même importe avec discernement et qu’elle est loin d’être la seule à le faire, les mondialistes applaudissent en nous interdisant de faire de même, alors que d’un autre côté les indignés tardifs reprochent à ce pays d’agir selon ses intérêts ! C’est une véritable maison de fous ! Et quand je pense que la vieille Europe se croit encore maîtresse du jeu et fine calculatrice, la résignation me gagne. Ajoutons à cela la façon dont évolue la politique étrangère de l’UE et de ses membres dévoués, et on finira par ne même plus espérer que la dite « Europe », telle qu’on la pense aujourd’hui, s’en sorte ! Qu’est-il au final de plus dangereux pour nous, les messieurs-tout-le-monde ? Une guerre à grande échelle agrémentée de guerres civiles ? Un crash économique ? (Peut-être lui aussi agrémenté de guerres civiles). Le choix tient en une simple logique calculatoire sur les dégâts, alors que l’empire euro-atlantique et ses autres satellites de l’OTAN ne font que s’aliéner tout le reste du monde en se présentant comme la « communauté internationale ». Car aujourd’hui la France, même plus capable de faire appliquer la justice la plus élémentaire sur son territoire (et je parle de vrais délits et exactions, pas de polémiques vestimentaires), est devenue depuis ses deux derniers gouvernements le larbin le plus soumis de l’empire pour partir guerroyer de plus belle au Moyen-Orient, puis pour créer des troubles aux portes de la Russie et enfin commencer peut-être bientôt à se mêler des affaires en mer de Chine ! Car on y vient. Nous n’avions pas encore assez de méchants contre nous pour justifier notre si noble combat. Il nous faut encore quelques milliards d’hommes de plus en face, ça tombe bien. Mais ce serait ballot et ça me plairait bien de voir la Chine elle-même finir un jour par nous couper le robinet si nous venions trop se mêler de ses affaires ! Pénurie, désarroi, retard irrattrapable frapperaient alors la France. Je n’ose imaginer à ce moment-là ce qui se dirait sur les Chinois dans les médias et lors des pauses café, entre nouveaux indignés tardifs à la science infuse… et à côté de la plaque comme toujours !