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A Rio de Janeiro, la superbe histoire d’une décharge transformée en forêt

9 Septembre 2016


Le projet était herculéen. Ils l’ont pourtant mené à bout ! Deux habitants de la favela de Vidigal, au Brésil, ont fait renaître la forêt de leur enfance en lieu et place d’une décharge à ciel ouvert. Dix ans plus tard, l’endroit est devenu une référence en gestion environnementale, sociale et architecturale.
– Rio de Janeiro (Brésil), reportage
« Je suis né ici et je veux mourir ici, à Vidigal », aime à répéter Mauro Quintanilha, 56 ans, l’homme grâce à qui tout a commencé. Heureux et fier comme un enfant qui aurait construit un immense château de sable, il fait volontiers la visite de ce que les habitants connaissent désormais sous le nom de parc Sitiê, un jardin luxuriant avec l’une des plus belles vues de Rio de Janeiro. On y accède par un escalier de vieux pneus qui passe devant la maison bleue de Mauro, musicien de profession. Adossé à la colline, le parc surplombe l’océan Atlantique et les quartiers huppés de Leblon et Ipanema. Comme dans la chanson, on y vient sans frapper, car ses créateurs ont souhaité en faire un espace ouvert pour éduquer les générations futures et développer la démocratie participative.

Mauro Quintanilha, président de l’Instituto Sitiê.
Au cœur de cet îlot de verdure a été aménagée une agora, avec un accès wifi gratuit, où se tiennent spectacles et conférences. Des pneus servent de contrefort et les rampes sont ornées de jantes de bicyclette. C’est Pedro Henrique de Cristo, architecte et designer, qui a pensé l’espace. Sa rencontre avec Mauro et Paulo, les deux compères qui se sont lancés dans la mission titanesque de déblayer 16 tonnes d’ordures, a été décisive pour donner un nouvel élan au projet.
« Quand j’étais petit, cet endroit était un paradis sur terre » 

Pedro Henrique, 33 ans, originaire du nord du Brésil a étudié les politiques publiques d’aménagement à l’université de Harvard aux États-Unis. Il est venu à Rio de Janeiro il y a quatre ans, avec l’idée de développer un projet relié à son travail de recherche universitaire sur l’intégration des quartiers informels. Il s’est installé à Vidigal, l’une des premières favelas « pacifiées » par la police. À cette époque, Mauro le musicien et Paulo, chef des éboueurs de la favela, ont déjà vidé, avec l’aide de volontaires du quartier, une grande partie des déchets en tout genre qui couvraient la colline et commencé à planter quelques arbres.


« Quand j’étais petit, cet endroit était un paradis sur terre. Puis, des familles ont occupé le terrain avant que la mairie ne les expulse et ne détruise leurs maisons, sans nettoyer les débris. À partir des années 1990-2000, les habitants ont pris l’habitude de se débarrasser ici de tout et n’importe quoi. “Jette-le dans la forêt” était presque devenue une expression du langage courant ! » se souvient Mauro en parcourant les sous-bois de cet espace de 8.500 m². « Quand on a commencé à nettoyer, certaines personnes m’ont dit que j’étais fou, mais je ne voulais pas arrêter, j’étais trop triste de voir la nature ainsi souillée. »

Le Tiê-sangue (Tangara du Brésil) a donné une partie de son nom au parc.
Le travail de nettoyage n’est aujourd’hui pas fini, mais les petites mains et les grands esprits de l’Institut Sitiê, créé en 2015 pour gérer le parc, œuvrent pour agrandir l’accès au plus grand nombre. À l’avenir, le parc devrait relier l’« asphalte » (nom donné au Brésil aux quartiers formels) à la randonnée des Deux Frères, un pic rocheux, bien connu des acheteurs de cartes postales de la « Ville merveilleuse ». « Nous sommes ici à un point de rencontre multiple, précise Pedro Henrique, entre la terre et la mer, entre l’asphalte et la favela, entre la ville et la forêt. »
« Nous devons éduquer les gens à la préservation de la nature » 

En 2012, le site est reconnu comme la première agroforêt de la région, car en plus de replanter des espèces natives, un potager a été aménagé sur les principes de la permaculture. Les fruits et les légumes, cultivés dans une terre saine (car le sol a été contaminé par les déchets), sont ensuite donnés aux habitants. Des ateliers éducatifs sont organisés avec les écoles du quartier. « Nous devons éduquer les gens à la préservation de la nature, et surtout les générations futures, car nos forêts sont détruites. De plus, il y a un problème culturel des habitants et de la mairie par rapport à la question des égouts et des déchets », précise Mauro Quintanilha, aujourd’hui président de l’Institut Sitiê.


Le jour de la visite, un groupe d’étudiants se balade justement dans le parc. Matheus, Rogério, Yasmine et Wagner viennent de la favela voisine de Rocinha. Ils sont arrivés là par hasard et profitent du paysage pour improviser une séance photo. Pour eux, il est important pour la communauté qu’il y ait des lieux publics comme celui-là, si rares dans cette zone très densément peuplée et que des touristes aussi puissent venir le visiter.


De nombreuses personnes de l’extérieur, professeurs, architectes, journalistes sont déjà venues découvrir le parc et ses activités. Malgré un intérêt scientifique et médiatique, l’Institut Sitiê, dont le nom s’inspire d’un oiseau de la région, ne dispose d’aucune aide publique. Il tire ses ressources de l’organisation d’évènements et d’ateliers de travail, de bourses de recherche en sciences sociales, de la vente de produits dérivés et de dons privés. L’Institut a ainsi créé huit emplois localement de jardiniers et d’administrateurs.
« Ce projet a changé ma vie » 

Dans son atelier d’architecte installé à l’entrée du parc et au-dessus d’un bar-épicerie, Pedro Henrique présente ses projets pour le lieu : une installation d’art à ciel ouvert, un escalier et une place publique — projet qui a, par ailleurs, remporté un prix d’architecture [1]—, ainsi que des visites guidées pour les clients des hôtels de la Riviera brésilienne.

Pedro Henrique de Cristo, architecte et directeur executif du projet.
Devant le rapide embourgeoisement des favelas « pacifiées », notamment à Vidigal, où l’on trouve de plus en plus d’hostels et de restaurants prisés par les « gringos », Pedro Henrique se dit confiant. « Avant tout, il faut clarifier la question de la propriété du terrain, qui appartient en partie à la mairie, en partie à l’État de Rio. Nous voulons obtenir un bail qui donne la gestion opérationnelle et technique du site. Il faut par ailleurs toujours travailler en accord avec l’association représentative des habitants et traiter d’égal à égal avec tous, même avec les milliardaires qui s’intéressent à l’emplacement privilégié pour leurs projets immobiliers. »
Par ailleurs, Pedro Henrique avoue avoir déjà eu des propositions professionnelles intéressantes, qu’il a refusées pour continuer à travailler avec toujours un pied dans la favela.
« Ce projet a changé ma vie, conclut Mauro, avant j’étais plutôt individualiste, mais maintenant, je vis en pensant aussi au commun. Je n’aurais jamais cru voir tout ça se réaliser. »