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“La terreur est une arme dissuasive”. Interview avec Jacques Baud.

Par Olivier Bot, 23 Mai
2016.

Djihadisme. Jacques
Baud affirme que le terrorisme est une riposte à des actions
militaires injustifiées.





Le
terrorisme en Europe n’est pas une fatalité. 

Dans un livre très
documenté et plein de révélations*, Jacques Baud, ex-analyste du
renseignement stratégique suisse, montre, documents à l’appui,
comment les interventions militaires extérieures de l’Occident ont
été justifiées par des mensonges et sont la principale motivation
des opérations terroristes menées en Europe. Entretien.



Contrairement à ce
qu’affirmait le premier ministre français, Manuel Valls, les
djihadistes n’en veulent pas, selon vous, à ce que nous sommes
mais à ce que nous faisons. Ce terrorisme, nous l’avons enfanté?



Tout à fait. Dans les
revendications des actions violentes, comme dans les publications du
groupe Etat islamique, ce sont clairement les interventions
militaires au Moyen-Orient et au Maghreb qui justifient ce que leurs
documents doctrinaux appellent d’ailleurs le «terrorisme de
dissuasion». Ces attaques à Paris ou à Bruxelles servent à
mobiliser l’opinion occidentale pour qu’elle fasse pression sur
les gouvernements et les pousse à changer de politique. Ces
organisations ne veulent pas éradiquer la démocratie dans nos
sociétés pour y imposer la loi islamique. Cette interprétation est
dangereuse car elle fait l’amalgame entre deux phénomènes
initialement distincts: l’immigration dans nos pays et le
terrorisme. C’est d’ailleurs ce qui se passe en France.


Selon vous, les pays
occidentaux entrés dans le conflit syrien font une erreur
stratégique. Que fallait-il faire?


Les pays qui sont dans la
coalition menée par les Etats-Unis n’avaient aucune raison de
s’engager dans cette guerre. Ce n’était pas dans leur intérêt.
On trouve même des déclarations de 2014 où Barack Obama et son
vice-président, Joe Biden, disent que l’Etat islamique n’est pas
une menace pour l’Occident. Mais le discours a changé: afin de
soutenir la rébellion contre Bachar el-Assad, les Etats-Unis ont
inventé de toutes pièces une menace: le groupe Khorasan. Une
organisation qui n’a jamais existé.


Les négociations de
Genève ont-elles encore une chance d’aboutir?


Les puissances ont joué
avec le feu. Il est désormais très compliqué d’éteindre
l’incendie. Les Etats-Unis et la France, qui sont en période
électorale, auraient le plus grand mal à reconnaître aujourd’hui
qu’ils se sont trompés. Malheureusement, le prix de ces erreurs
est payé par les Syriens.


Vous écrivez que
toutes les interventions ont été justifiées par des mensonges,
pareils à celui des armes de destruction massive en Irak. C’est le
cas en Libye comme en Syrie? 

 


Oui. En Syrie, il y a eu
l’épisode de Goutha en août 2013 et la fameuse «ligne rouge» de
l’utilisation d’armes chimiques par Damas. Des rapports de l’ONU
confirment aujourd’hui que ce n’est pas le gouvernement de Bachar
el-Assad, mais les rebelles qui les ont utilisées. Pourquoi Damas
aurait utilisé des armes si peu efficaces alors que l’armée
disposait d’un arsenal performant et avait pris l’avantage sur le
terrain, le jour même où des inspecteurs onusiens arrivaient dans
le pays? En Libye, les bombardements devaient protéger la population
de Benghazi d’un massacre programmé par Kadhafi. Or, le
gouvernement n’a jamais fomenté une telle opération. C’était
un coup monté par les rebelles, afin de provoquer l’intervention
occidentale en soutien à la révolution.



Vous commencez votre
livre en évoquant un plan américain pour recomposer le
Moyen-Orient, bien antérieur aux révolutions. Voir la main de
Washington derrière les Printemps arabes, c’est un peu
conspirationniste, non?



Je ne prétends pas que
les Etats-Unis étaient derrière ces révolutions. J’écris que
les Américains avaient l’intention d’intervenir au Moyen-Orient.
L’ex-chef des forces armées de l’OTAN l’a lui-même déclaré.



Tout aussi surprenant,
vous dites que l’ayatollah Khomeiny, cité par l’ex-président
Ahmadinejad, n’a jamais parlé de «rayer Israël de la carte».
Vraiment?



Absolument. Cette phrase
est une mauvaise traduction – les Israéliens le reconnaissent
aujourd’hui – destinée à dépeindre un Iran agressif. Or ce
pays ne l’a jamais été de son histoire. Il n’a jamais
revendiqué d’autres territoires que le sien. Durant plusieurs
décennies, ces deux pays ont eu d’excellentes relations. Le
discours iranien contre l’Etat juif n’a que des visées internes.
Rien de tel qu’un ennemi extérieur pour consolider l’unité
nationale. Il n’y a aucune réalité concrète à cette hostilité
supposée. L’Iran n’a aucune raison de détruire Israël. Même
le Hezbollah libanais, que Téhéran soutient, n’a aucune
revendication territoriale en Israël, contrairement au Hamas.



Vous pensez que
l’Occident aurait dû se faire un allié de l’Iran. Pourquoi?



D’abord, parce qu’il
a été le principal partenaire de nos pays dans la région. Et qu’il
est plus proche de l’Occident qu’on ne le dit. George W. Bush a
fait de l’Iran un «Etat voyou» et l’a fait passer pour plus
radical que l’allié saoudien. C’est faux. L’Iran a été d’un
grand soutien dans la lutte contre le terrorisme depuis 2001,
notamment en Afghanistan.



Dans votre livre, vous
écrivez que Ben Laden n’était pas derrière les attentats du 11
septembre et que les Américains ne l’ont pas arrêté quand ils en
ont eu l’opportunité. Vraiment?




Sur l’avis de recherche
d’Oussama ben Laden, il n’est pas du tout question du 11
septembre. Dick Cheney, le vice-président de l’époque, lui-même,
l’a reconnu. Ce Saoudien a peut-être été à l’origine des
attentats de Nairobi et de Dar es-Salaam, mais ce n’est même pas
sûr. En fait, la CIA a créé une unité dédiée à sa capture en
1996. Elle a été dissoute dix ans plus tard. Pourquoi? Parce que,
en 2006, les Pakistanais ont arrêté Ben Laden et l’ont assigné à
résidence dans plusieurs maisons successives. La dernière fut celle
d’Abbottabad, où un commando de forces spéciales américaines l’a
finalement éliminé.



Que dit cette étude
citée dans votre livre sur le profil des djihadistes?



Qu’il s’agit plutôt
d’une islamisation de la radicalité, que le contraire. C’est un
faisceau de frustrations qui les fait passer à l’acte. La religion
donne une cohérence à leur action, mais leur but n’est pas
religieux.





* Terrorisme:
mensonges politiques et stratégies fatales de l’Occident, Editions
du Rocher.




TDG