Au fait, il faisait quoi chez Rothschild, Emmanuel Macron ?
30 Août 2016
Le ministre de l’Economie a démissionné ce mardi du gouvernement. Avant, jeune énarque, il a travaillé dans les bureaux feutrés d’une banque d’affaires. C’est dans cet établissement au cœur du pouvoir qu’il s’est acoquiné avec les patrons français.
On lui accordera le sens du timing. Emmanuel Macron devient banquier d’affaires [PDF] en septembre 2008, dix jours seulement avant la chute de Lehman Brothers. Le jeune homme n’a alors que 30 ans et va gagner en quelques années seulement, malgré les soubresauts de la crise financière, son surnom de « Mozart de la finance ».
Macron fait partie de ces énarques satinés qui décrochent très vite de jolies fonctions dans le privé, plutôt que de poursuivre dans l’administration ou les cabinets ministériels. Après sa sortie de l’Ena (Ecole nationale d’administration), il a passé plusieurs années à « l’Inspection » (générale des Finances) tout en s’attirant les bonnes grâces de l’économiste Jacques Attali, qui le recommandera à François Henrot, le bras droit de David de Rothschild.
Jacques Attali et Emmanuel Macron, lors de la première réunion de la commission Attali, en septembre 2007
Jacques Attali et Emmanuel Macron, lors de la première réunion de la commission Attali, en septembre 2007 – HALEY/SIPA
Macron intègre donc Rothschild & Cie qui est, avec sa concurrente Lazard, l’archétype de la banque d’affaires. On y rentre stagiaire avant de gravir les échelons, frayant à travers les PowerPoint, les tableaux Excel et les nuits qui n’en finissent plus dans des bureaux feutrés. « Analyst », « manager », « assistant director », puis « director », « managing director » et « partner ». Des années de travail pour accéder au Graal.
« Un des meilleurs »
Le jeune énarque saute allègrement quelques étapes du cursus honorum. En deux ans, Macron est catapulté associé-gérant de la banque familiale – la crème de la crème. A en croire ceux qui ont travaillé avec lui, cette ascension fulgurante était amplement justifiée par ses qualités. Joint par Rue89, François Henrot ne tarit plus d’éloges sur son ancienne recrue :
« Avec ce mélange, rarissime, surtout à un si jeune âge, de rapidité intellectuelle, de puissance de travail, de sûreté dans le jugement et de charme, il aurait été, s’il était resté dans le métier, un des meilleurs en France, sans doute même en Europe. »
Le charme fonctionne si bien que les quelques aigreurs provoquées par son arrivée soudaine sont vites oubliées. Macron progresse rapidement, n’hésite pas à questionner ses collègues sur certains outils financiers.
Le jeune homme va conseiller de grandes entreprises dans leurs opérations de fusions-acquisitions. Il lui faut maîtriser des connaissances – juridiques, comptables, financières et fiscales – qu’il n’a pas forcément. Mais il apprend.
« Le mimétisme sert de guide »
Dans la banque, la « fusacq » est considérée comme la voie royale des affaires. C’est de la haute voltige, qui demande de la réactivité, des réseaux et une grande tolérance à la caféine. Ce secteur cristallise tout l’imaginaire du business et de l’ambition. On y travaille tard pour des clients exigeants, sous la pression de montants importants. Il n’est pas rare qu’une opération fasse la une des journaux. Sur un gros coup, un jeune loup peut très vite sortir de l’anonymat.
Le but ? Dégager de nouveaux horizons et conclure les deals (dans le jargon, on parle « d’exécution » et ce n’est pas anodin) : vendre une filiale, fusionner avec une entreprise. Quand des emplois sont en jeu, on appelle ça des « doublons ».
L’abondance de chiffres façonne fatalement une vision particulière de l’entreprise. D’aucuns en feront un élément à charge contre le nouveau ministre de l’Economie, même si un manager, qui a travaillé avec Macron, tient à préciser que les banquiers s’intéressent aussi « aux hommes ».
Dans son passionnant livre-enquête « Rothschild, une banque au pouvoir » (éd. Albin Michel, 2012), Martine Orange cite Macron qui reconnaît lui-même que les analystes sont parfois aveuglés par leurs habitudes :
« Le métier de banquier d’affaires n’est pas très intellectuel. Le mimétisme du milieu sert de guide. »
Dossiers, stabilos et « beauty contest »
Pour ceux qui tiennent le coup, le quotidien est peuplé de dossiers et de stabilos. Un associé doit tout savoir sur les entreprises et les secteurs qu’il laboure. Il lui faut lire les revues spécialisées (Agefi, Merger market, etc.), préparer les réunions et s’assurer que les présentations sont étincelantes de clarté. L’essentiel étant d’entretenir la confiance avec ses clients.
Tout cela, les rescapés de la « fusacq » vous le racontent avec profusion d’anglicismes. En « M&A » (« mergers and acquisitions »), il y a les « beauty contest » (mini-appels d’offres passés par une entreprise à l’attention de diverses banques) et le démarchage de « mandats » (des opérations demandées par les clients). Mais chacun retrouve son plus beau français lorsqu’il s’agit de vanter la culture d’entreprise de Rothschild, réputée peu tapageuse et familiale.
Selon François Henrot, la structure collégiale imposerait de fait une certaine retenue :
« Dans une commandite simple comme la nôtre, une faute d’un associé peut engager la responsabilité solidaire et illimitée de tous… d’où l’importance du choix d’un nouvel associé. Pour Macron, la décision a été unanime, immédiate, évidente. »
Dans cet environnement, Macron, le jeune qui plaît aux vieux, rencontre sa première heure de gloire. Il décroche ses premiers « mandats » – le critère de réussite dans les affaires.
Après de multiples rencontres avec Peter Brabeck, le patron de Nestlé croisé à la commission Attali, le banquier parvient à piloter le rachat des laits infantiles de Pfizer. La baston avec Danone est dantesque. La transaction est évaluée à neuf milliards d’euros. Grâce à son coup, Macron va se mettre « à l’abri du besoin jusqu’à la fin de ses jours ». C’était en 2012.
Le futur ministre de l’Economie s’est également occupé de Presstalis, de Sofiprotéol et de la reprise de Siemens IT par Atos, dirigée par l’ancien ministre de l’Economie Thierry Breton. Il est à chaque fois « conseiller acquéreur ». Vers la fin de sa courte carrière de banquier, il s’intéresse particulièrement à l’agroalimentaire. Chez Rothschild, les associés-gérants n’ont pas de secteurs explicitement dédiés, mais chacun entretient ses clients et ses marottes.
Le secret, c’est le secret
Une partie de son temps est dédiée à « l’influence ». Ainsi, il conseille « bénévolement » la société des rédacteurs du Monde (SRM), lorsque le trio Bergé, Niel et Pigasse s’apprête à reprendre le quotidien (dont les propriétaires sont aujourd’hui les mêmes que Rue89). La SRM demande à repousser la date de dépôt des offres.
Matthieu Pigasse, de la banque Lazard, est persuadé que David de Rothschild – proche de Nicolas Sarkozy et d’Alain Minc (qui ne l’est pas ?) – essaie de lui faire des crocs-en-jambe. Macron dément, mais il reste soupçonné de favoriser Prisa, un groupe espagnol, qu’il conseillera un an plus tard lors d’une restructuration financière.
Macron s’est-il un jour planté ? Quelles sont les autres sociétés pour lesquelles il a travaillé ? « Le secret, c’est le secret. » Chez Rothschild, consigne a été donnée de ne pas bavarder. Au lendemain de la nomination d’Emmanuel Macron au ministère de l’Economie, les collaborateurs de la banque sont assaillis par les médias et s’en tiennent à l’image du jeune génie de la finance, du mec sympa.
En effet, le charme est essentiel. Dans son livre, la journaliste Martine Orange raconte la fureur d’Edouard de Rothschild, à la fin des années 80, quand il découvre dans la presse un mariage entre deux entreprises. Comment se fait-il que la banque ne soit pas au courant ? Les affaires doivent voir converger « tous les bruits, les projets, les rumeurs ». Des années plus tard, rien n’a changé.
Propre sur soi, à l’image de Macron, la banque Rothschild est aussi – bien qu’elle s’en défende – très liée au milieu politique, tout comme sa concurrente Lazard. Tissées par des études communes et des amitiés forgées dans les cercles du pouvoir, ces liaisons fructueuses en font parfois « des ministères bis de l’Industrie et de l’Economie. » Le nom de Rothschild a d’ailleurs longtemps charrié des images d’empire financier, ce qui poussera les socialistes à nationaliser la banque en 1982. La nomination de Macron au gouvernement n’en est que plus ironique.
« La banque du Président »
Lorsqu’il arrive chez Rothschild, Emmanuel Macron est déjà bien introduit. Il fréquente Jean-Pierre Jouyet, secrétaire général de l’Elysée qui ce mardi a annoncé avec un sourire sa nomination au ministère, ou encore Jacques Attali (grâce à la commission du même nom). Mais François Henrot tient à préciser qu’il n’a pas recruté un « carnet d’adresses ». Si Emmanuel Macron connaît aujourd’hui les principaux patrons français, il a dû s’appuyer à l’époque sur la réputation de la banque pour s’ouvrir des portes.
Avant Emmanuel Macron, c’est François Pérol qui incarnera ces accointances politiques en devenant secrétaire général adjoint de l’Elysée, après avoir travaillé chez Rothschild.
L’entregent de Rothschild est démultiplié au point que le Nouvel observateur titrera « La banque du Président ».
On pourrait aussi citer Sébastien Proto (de la même promo de l’Ena que Macron), qui a été directeur de cabinet d’Eric Woerth, Nicolas Bazire, ancien directeur de cabinet d’Edouard Balladur, ou Grégoire Chertok, proche de Jean-François Copé. Nicolas Sarkozy gravitera aussi un temps dans le giron de la banque.
A chaque changement de gouvernement, Rothschild réussit donc à placer quelques collaborateurs dans les petits papiers du pouvoir. On appelle cela « se mettre au service ». Macron est un ancien, mais il perpétue la tradition. Et il a laissé de tellement bons souvenirs que les banquiers ne sont pas près de l’oublier.