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Révolte à la Woolwich Court : Julian Assange a osé prendre la parole !

Monika Karbowska 27/02/2020
Mercredi 26 février 2020 : troisième jour du procès d’extradition de Julian Assange dans le bâtiment de la Woolwich Crown Court.

Trois jours intenses de combats, de violence et d’émotions. Le premier jour, lecture de l’acte d’accusation, plaidoirie d’Edward Fitzgerald sur l’histoire des faits, dans la galerie du public, seules 18 personnes ont pu prendre place. La clameur des Gilets Jaunes nous parvient du dehors, étouffée mais bien présente. Des dizaines de journalistes occupent un espace de la salle et l’annexe de la cour. Julian Assange comparait enfin physiquement et nous pouvons le voir pendant plusieurs heures, même s’il n’a pas le droit de parler, et qu’il a l’air affaibli et triste.
Le lendemain nous assistons à la plaidoirie de Mark Summers réfutant les arguments de l’accusation. Julian Assange est visiblement beaucoup plus faible, il assiste aux événements immobile et prostré. Mercredi 26 février Edward Fitzgerald présente les arguments invalidant l’extradition, puisque le traité bilatéral d’extradition entre la Grande-Bretagne et les USA de 2003 interdit l’extradition pour motifs politiques. L’ambiance est tendue, tout le monde est fatigué. Julian Assange est au plus mal. Il fait de grands efforts pour rester droit assis sur le banc, son teint est très pâle et l’après-midi il est livide. Sa souffrance est palpable, nous le sentons malgré deux vitres et 20 mètres de distance. L’expression de son visage est figée, il est prostré. Nous sommes 5 femmes assises ensemble à gauche du box du public. Nous l’encourageons par notre regard et notre mental, tout geste nous étant interdit par le règlement du tribunal.
A 15h l’extraordinaire se produit : alors que le procureur est bloqué dans sa lancée par un document égaré, Julian Assange se lève et parle. C’est la stupeur, il a enfreint les règles, il se révolte, il insiste. Vanessa Baraitser le coupe et lui dit : « Ce que vous demandez n’est pas dans les habitudes, vous devez parler par la voix de votre avocat ». Mais Julian Assange, épuisé, reprend la parole, cette voix étouffée depuis de si longs mois. Les avocats s’affolent. Gareth Peirce se déplace vers lui, mais ne l’interrompt pas. Les autres s’interrogent. La juge le coupe une seconde fois, il insiste une troisième fois, il parle quelques minutes, nous le voyons faire des gestes de désespoir et d’exaspération. Les personnes qui sont assises au premier rang entendent un peu, alors qu’en général dans le box du public nous n’entendons que ce qui est dit dans les micros.
Dans cet espace confiné, les 18 personnes présentes se lèvent, gesticulent dans l’émotion. En discutant nous avons reconstitué ce que Julian Assange a dit : il s’est plaint de sa condition, du fait d’être entouré d’un garde de chaque côté (je pense que c’est surtout le gardien de la sécurité privée de Mitie qui lui était hostile, plus que celui de la prison de Belmarsh assis à l’autre extrémité du banc). Il dit qu’il est épuisé et ne peut pas se concentrer… En fait, on sait que c’est pire. Il est au bord du malaise. La juge Baraitser le sait, car elle le voit de face alors dans la configuration de la salle ses avocats lui tournent le dos.
Impressionnée par la révolte du prisonnier, Baraitser suspend l’audience. Julian est emmené par les gardiens hors du box. Gareth Peirce, Mark Summers et Edward Fitzgerald sortent dans le couloir se concerter. C’est l’agitation et la stupeur parmi les journalistes et les avocats d’accusation. Dans notre box notre gardien, effrayé, se sauve pour aller chercher des consignes qui n’arrivent pas. Nous sommes seuls et nous avons enfin le droit de rester dans la salle pour la pause, nous discutons et nous agitons. Lorsque 5 minutes plus tard Baraitser revient, Julian est ramené dans le box mais refuse de se rassoir. C’est debout face à la salle qu’il écoute son avocat Fitzgerald demander à la juge de reporter la suite de l’audience à demain « pour qu’il puisse se consulter avec son client dans les murs de la cour, ici même ».
Alors il se produit la deuxième chose extraordinaire : Vanessa Baraitser lui suggère de plutôt « faire une application for bail, une demande de libération sous caution » ! Cela fait 9 mois que nous luttons, certes pas pour une libération sous caution, mais une libération pleine et entière, mais, selon moi, cette proposition est enfin une porte qui s’ouvre ! L’idée que Julian Assange pourrait retrouver sa liberté et accéder aux soins dont il a besoin guide notre, mon action, depuis 6 mois. Wikijustice a déposé 4 demandes de libération prête à l’emploi et voici que la sévère juge juge elle-même qu’il vaudrait mieux que le prisonnier politique de l’Angleterre ne meure pas devant elle au cours du procès suite aux mauvais traitements et à la torture très probablement subie, mais qu’il puisse avoir la vie sauve et se soigner. Je veux croire à ce miracle, ce retournement de situation !
Fitzgerald prend alors les devants et pour la première fois depuis le procès il s’approche de Julian Assange et lui demande quelque chose avec douceur. Probablement il lui demande un accord formel pour faire cette requête puisqu’il répond aussi à la juge qu’il en a besoin. Il s’excuse aussi « avec tout son respect » auprès du procureur dont la logorrhée a été interrompu.
Cependant Vanessa Baraitser décide malgré tout de laisser le procureur finir sa thèse. Cela dure encore une heure. Plus personne n’écoute le procureur. Dans notre box tout le monde est excédé et le maudit à voix haute. Julian Assange s’endort presque, agrippé au dossier du banc. Dans notre espace d’autres personnes présentes dorment aussi. Le procureur doit sentir que tout le monde attend qu’il finisse et qu’on s’en aille. On est tous marqué par cette magnifique nouvelle d’une possibilité de libération. L’effet politique de l’accusation « de complot avec Chelsea Manning, d’intrusion informatique en vue de commettre en réunion un vol de documents classifiés » a disparu. L’accusation usaméricaine et ses complices sur le sol britannique se sont heurtés à une révolte. Je dis à une de me collègue du public : « Ce pays a besoin d’une petite révolution ». Elle me répond : « D’une petite seulement» ?
La révolte a été brève mais intense, mais il faut exploiter ses effets et nous escomptons bien être certains que les avocats vont déposer la demande de libération demain à 9h30 comme la juge les y a invités.
Demain jeudi sera un jour charnière.