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Avec cette décision sur les réfugiés, Israël est-elle en train de perdre son âme?

Emmanuelle Stein 18/02/2018
“Nous ne pouvons oublier ce bateau avec ses 900 juifs à bord qui a quitté l’Espagne une semaine avant le déclenchement de la seconde guerre mondiale…qui a voyagé de port en port, de pays en pays, implorant le refuge. Ils furent rejetés … Dès lors il était naturel que ma première décision en tant que premier ministre fut de donner un refuge à ces gens sur la terre d’Israël”.

Menahem Begin, Premier Ministre d’Israël en 1977, à propos de l’accueil des Boat People.
“Le seul crime que j’ai commis est d’avoir fui mon pays en guerre”, Samon, “réfugié” soudanais de Tel Aviv
A l’heure actuelle, Israël traverse une véritable crise morale, sociétale et légale, à la suite de la décision du gouvernement israélien, validée par la Cour Suprême, d’expulser vers le Rwanda – État qualifié de “sûr”- les migrants soudanais et érythréens entrés sur le territoire israélien, entre 2005 et 2013, après avoir traversé dans des conditions inhumaines le désert du Sinaï à pieds. Ils sont aujourd’hui 27.000 Erythréens et 8.000 Soudanais dont une majorité est concentrée dans le sud le Tel Aviv.
Les gouvernements, y compris de droite, n’ont pourtant pas toujours été hostiles aux réfugiés. Entre 1977 et 1979, le premier ministre Menahem Begin avait accueilli et accordé la citoyenneté aux boat people vietnamiens.
Cette tradition d’accueil de l’étranger ne semble plus de mise pour ces africains qui vivent en Israël depuis plusieurs années.
La sécurité d’Israël est-elle menacée par ces migrants classés dans la catégorie légale des étrangers “infiltrés”? Est-ce l’équilibre démographique de l’État juif qui est en jeu? L’État d’Israël est-il confronté à une invasion de migrants économiques? Rien de tout cela. Cette population africaine représente moins d’un pour cent de la population israélienne. Il n’y a aucune invasion puisque un mur a été dressé en 2013 dans le Sinaï à la frontière égyptienne, ce qui a stoppé de manière radicale, l’entrée des soudanais et érythréens sur le territoire.


De plus, 86 % des érythréens et 56% des soudanais se voient reconnaître le statut de réfugiés dans le reste de l’Occident. D’ailleurs, s’il s’agissait effectivement de migrants économiques, le gouvernement israélien les aurait renvoyés directement en Érythrée et au Soudan, ce qu’il refuse de faire par “humanité”.

Samon, Sud-Soudanais, arrivé en Israël en 2012 ne cesse de répéter: “Il n’y a jamais eu de crise économique au Soudan. C’est un pays très riche et très vert, avec un élevage bovin important. Si la guerre n’avait pas éclaté, je n’aurais jamais fui mon pays”.
C’est autour de la place Levinsky, quartier pauvre du sud de Tel Aviv, que les pouvoirs publics ont commencé à acheminer Soudanais et Érythréens, à partir de 2009 après une période de rétention
administrative à la prison de Saharonim où ils étaient mélangés aux prisonniers de droit commun et aux prisonniers palestiniens.
Samon raconte son incarcération : “Je suis restée 20 jours. Les conditions n’étaient pas mauvaises, j’étais content d’être en vie. Mes camarades de prison, incarcérés pour délits, me demandaient ce que j’avais fait de mal”, ce à quoi je répondais “le seul crime que j’ai commis, c’est d’avoir fui mon pays en guerre”.
C’est dans ce quartier sud de Tel Aviv que les communautés africaines se sont alors organisées et que sont concentrées les principales agences d’emploi, les associations d’aide légale et médicale, les écoles pour les enfants étrangers, les églises chrétiennes orthodoxes.
Ces migrants ne sont donc dotés que d’un visa de quelques mois (quatre, trois puis deux mois) renouvelable, leur permettant de jouir d’une protection temporaire tout en les maintenant dans une situation précaire.
Ils ne peuvent envisager de construire un quelconque avenir en Israël même s’ils le souhaitent. Nombreux sont ceux qui parlent couramment l’arabe, ils ont appris l”anglais et l’hébreu en travaillant ou à l’ “oulpan” (écoles d’apprentissage intensif d’hébreu pour immigrants). Ils ont de nombreux amis israéliens, sont invités à des mariages, repas de sabbats et fêtes juives.


Les enfants se sentent plus israéliens qu’africains et aimerait faire l’armée tout comme leurs camarades de classes. Efrata, 11 ans, demande à sa mère Eden, Érythréenne, en pleurant tous les soirs: “Maman, pourquoi veulent-ils nous envoyer au Rwanda? C’est quoi le Rwanda? Pourquoi n’a t’on pas le choix? Je ne suis pas rwandaise, je suis une enfant israélienne”.

Taj, Soudanais, nous rappelle que le gouvernement leur “rend la vie impossible”. Soutenu par un philanthrope juif américain qui lui avait accordé une bourse d’études, ce brillant étudiant a obtenu une licence à l’université IDC d’Herzelyia et a été accepté en master au King’s College de Londres. Il n’a pourtant pu réaliser son rêve car il s’est vu refuser tout document de voyage par le gouvernement israélien (son visa de 2 mois ne lui permettant pas de voyager).
Depuis l’annonce du plan d’expulsion forcée des réfugiés d’ici le mois d’avril, les Soudanais et Érythréens sont très anxieux et vivent dans la crainte que la protection fragile dont ils bénéficient ne soit révoquée. Ils racontent “Je n’arrive plus à dormir, alors je me tue au travail pour ne pas penser ou je bois de l’alcool».
On déplore cinq suicides ces dernières semaines à Tel Aviv et Netanya et des psychologues israéliens se sont portés volontaires pour assister les plus vulnérables.
De nombreux demandeurs d’asile comme Samon, Taj et Teklit attendent une réponse à leur demande depuis plus de 4 ans. Paradoxalement, la lenteur bureaucratique dans le traitement des dossiers permet aux migrants de gagner un peu de temps…
Une manifestation a été organisée le 7 février 2018 dernier (en Israël et dans le monde) devant l’ambassade du Rwanda. On pouvait entendre scander “Rwanda, honte à toi, nous ne sommes pas à vendre”, car ce dernier pays aurait accepté de recevoir 5000 dollars en échange de chaque personne expulsée. Les associations espèrent que le Rwanda cède à la pression internationale.


Des enquêtes sur place d’humanitaires et de journalistes ont prouvé que les réfugiés ayant accepté le départ volontaire vers l’Ouganda ou le Rwanda ces dernières années, n’ont reçu aucune protection de la part de ces États ni du HCR, que certains se sont fait emprisonner, rançonner par la police locale après avoir foulé le sol rwandais, que la plupart ont repris la route de l’exil vers l’Europe.

Cette campagne a soulevé l’ indignation d’une partie de la société civile israélienne, des juifs de la diaspora et de la communauté internationale. Des rabbins, des intellectuels, des rescapés de la Shoah se mobilisent contre cette politique d’expulsion. Des pilotes d’El Al ont déclaré qu’ils refuseraient d’apporter leur concours aux opérations d’expulsion.


On peut lire ces affiches partout dans le sud de Tel Aviv : “Le sud de Tel Aviv contre l’expulsion!” et entendre de nombreux Israéliens s’indigner : “Nous ne pouvons pas faire ça aux réfugiés car nous ne savons que trop bien ce que c’est que de se voir fermer les portes du monde entier”.

“Pour ou contre les réfugiés?” titrent les journaux. En réalité, la majorité des Israéliens, aussi bien juifs qu’arabes, restent indifférents au sort de ces migrants. Cette histoire ne les concerne pas.
Teklit, chrétien érythréen, pensant trouver refuge en Israël, pays démocratique et tolérant, impressionné par la force des survivants de la Shoah, déclare: “Pour vivre, il faut croire en Dieu ou en la vie» et espère que Netanyahu finira par renoncer à ce plan d’expulsion.
A défaut, il serait à craindre que la décision du gouvernement d’Israël, pays innovant s’il est est!, constitue un précédent et inspire d’autres dirigeants occidentaux.