La réponse décevante de l’Europe à l’annexion de la Cisjordanie par Israël
Gideon Levy 19/05/2020 |
La fin de l’alerte a sonné pour ceux qui étaient inquiets : Israël peut annexer la Cisjordanie autant qu’il le souhaite – l’Europe ne lui fera pas obstacle. Tous ceux qui pensaient pouvoir nous faire peur à propos de la réaction de l’Europe à l’annexion ont oublié ce qu’est l’Europe, à quel point elle est paralysée, contrainte, craintive, divisée et impuissante face à Israël.
Tradotto da Fausto Giudice
On peut répondre à l’ancienne présidente du parti Meretz, Zehava Galon, qui a gazouillé après la réunion des ministres des affaires étrangères de l’Union européenne vendredi : « S’il y a quelqu’un qui pense que l’annexion se passera tranquillement pour nous… » : elle se passera en effet très tranquillement. Ne comptez pas sur l’Europe. Il n’y a personne et rien sur quoi compter. L’Europe, comme toujours, formulera des déclarations, mènera des consultations, convoquera des ambassadeurs, et restera sur la touche.
L’Europe classique est une Europe neutre, qui n’intervient pas contre les injustices commises par Israël. Nous n’attendons rien des USA, certainement pas sous la présidence de Donald Trump, ni d’ailleurs sous celle de ses prédécesseurs. L’Europe de l’Est « non classique » soutient avec admiration tout ce qu’Israël fait de violent. Le seul espoir est la pointe nord-ouest de la carte, celle que le Premier ministre Benjamin Netanyahu a tendance à pointer du doigt pour dire : « C’est le seul endroit où nous avons un problème. » C’est le seul endroit où il y a de l’espoir, pensait-on autrefois. C’est aussi une déception maintenant.
Le résultat des délibérations des ministres des affaires étrangères de vendredi, c’est l’Europe classique dans ce qu’elle peut avoir de pire. « Cartographie des projets communs » ; « tourner une nouvelle page » vis-à-vis du nouveau gouvernement israélien ; les sanctions sont « une question complexe » ; et cela « ne signifie pas que nous le ferons demain ». Ce n’est pas une surprise. Cinquante-trois années d’occupation qui se poursuivent sous votre silence, vos financements, vos armes, et le porte-parole des affaires extérieures de l’UE dit aux journalistes qui s’interrogent sur les sanctions de ne pas mettre la charrue avant les bœufs. On a le temps. Cinquante-trois ans d’occupation dont la légitimité n’est reconnue par aucune institution internationale dans le monde, et le chef de la politique étrangère de l’UE, Josep Borrell, affirme qu’il n’y a aucune comparaison avec l’occupation de la Crimée par la Russie. Là-bas, le territoire appartient à un État souverain. Le ministre israélien de la propagande sortant, Gilad Erdan, n’aurait pas pu mieux dire. L’Europe est avec la droite israélienne. Lorsqu’il s’est agi de l’occupation de la Crimée, l’Europe a en fait su réagir par des actions et immédiatement. Mais la Russie fait beaucoup moins peur à l’Europe qu’Israël.
Quand il s’agit d’Israël, il y a d’autres règles, un droit international différent et une conduite différente. La peur des USA d’une part et la culpabilité pour l’Holocauste d’autre part, ainsi que l’incroyable efficacité et les efforts d’extorsion de la machine de propagande sioniste, sont plus forts que toute obligation envers le droit international, que l’obligation qu’a l’Europe envers le sort des Palestiniens, et plus forts que l’opinion publique européenne, qui est beaucoup plus critique envers Israël qu’un quelconque gouvernement.
Le financement du programme d’éducation de l’UE Erasmus+ et de ses programmes de recherche Horizon 2020 est en danger. C’est la réponse de l’Europe à l’annexion. L’arrêt des projets de recherche communs permettra d’éviter l’occupation. Ne faites pas rire Israël et ses colons. Au lieu d’imposer de véritables sanctions – de l’interdiction générale d’entrée des colons en Europe aux sanctions économiques – ils menacent Erasmus+. L’insistance de l’Europe sur une solution à deux États – alors que certains de ses dirigeants savent déjà et admettent parfois dans des conversations fermées que c’est déjà une cause perdue – fait le jeu de l’apartheid israélien, qui sait aussi marmonner l’expression « deux États », si seulement il y avait un partenaire, et construit ensuite des dizaines de milliers de maisons supplémentaires en Cisjordanie.
On peut bien sûr soutenir que ce n’est pas le rôle de l’Europe d’apporter la justice mondiale ou de faire le ménage après Israël. Mais après tout, l’Union européenne a des prétentions plus élevées qu’un simple marché commun. L’Europe, qui était silencieuse et a fermé les yeux dans le passé, le fait à nouveau. Peut-être convoquera-t-elle bientôt le ministre présomptif des Affaires étrangères, Gabi Ashkenazi, qui leur promettra qu’Israël s’efforcera de mettre en œuvre la solution à deux États. Quatre millions et demi de personnes continueront à suffoquer sans droits et sans avenir, et Bruxelles continuera à se féliciter et à se sentir bien dans sa peau : après tout, elle a menacé d’annuler Erasmus+.