#DJsForPalestine : quand la scène électronique se joint au mouvement BDS
Matthieu Foucher 20/Septembre/2018 |
Plusieurs DJs et collectifs ont rejoint la campagne #DJsForPalestine, en partageant sur les réseaux sociaux un message appelant au boycott d’Israël. Une anomalie dans l’univers souvent trop lisse (voire carrément dépolitisé) de la musique électronique ?
Mercredi 12 septembre, dans le cadre d’une campagne synchronisée sur les réseaux sociaux, plusieurs dizaines de DJs et acteurs des scènes électroniques ont affiché simultanément sur leur compte un message de soutien au peuple palestinien. Parmi eux, The Black Madonna, Ben UFO, Four Tet, Caribou, Rrose et Violet ainsi que les collectifs Room 4 Resistance et Discwoman, basés respectivement à Berlin et New York. « Tant que le gouvernement israélien perpétuera son oppression brutale et continue du peuple palestinien, nous respecterons leur appel au boycott d’Israël comme mode de protestation pacifique contre l’occupation », pouvait-on lire sur l’image relayée. Cette action en ligne était coordonnée par PACBI, la campagne palestinienne pour le boycott culturel et académique d’Israël lancée à Ramallah en 2004, et s’inscrit dans le mouvement plus large BDS (boycott, désinvestissement, sanctions), une initiative pacifique visant à sanctionner économiquement et culturellement Israël suite à l’occupation de la Palestine.
Sur son compte Instagram, Ben UFO a plus longuement expliqué ses motivations quant à sa participation au mouvement : « Mon sentiment, depuis ma première visite en Israël en 2013, c’est que si la société civile palestinienne appelle au boycott, être solidaire de leur cause compte plus que le fait que je voyage pour jouer là-bas. J’espère qu’un jour, je pourrai de nouveau jouer en Israël » explique le DJ anglais, qui conclut : « Pour moi, il s’agit surtout d’une question de solidarité, et d’un exercice d’écoute. Ma position à ce sujet fait partie d’une politique plus générale d’antiracisme, dont j’espère être à la hauteur. »
Egalement contactée par PACBI, la DJ et productrice Violet, originaire du Portugal, a également rejoint le mouvement sans savoir qui y participerait mais par solidarité « envers un groupe opprimé ». Et ce comme elle a l’habitude de le faire « avec des campagnes et initiatives contre l’homophobie, le sexisme ou le racisme », nous a-t-elle confié, avant de préciser : « Ma carrière de DJ ne passera jamais avant les droits de l’homme dans ma liste de priorité. Si un promoteur refuse de travailler avec un artiste suite à son soutien avec n’importe quel groupe opprimé, je suis plus qu’heureuse de ne pas jouer pour lui. »
Représailles allemandes
Et effectivement, #DJsForPalestine est loin d’avoir plu à tout le monde, en particulier en Allemagne. À la suite de sa participation à la campagne, la DJ Noncompliant a été spécifiquement prise pour cible sur Facebook par le collectif hambourgeois Headshell, qui l’avait pourtant bookée plusieurs fois auparavant. Une seconde DJ, préférant rester anonyme, a quant à elle été déprogrammée par un autre collectif d’Hambourg. Mais la réaction qui aura fait le plus de bruit est sans doute l’annulation de Room 4 Resistance par le club berlinois ://about blank, connu pour son positionnement d’extrême gauche mais considéré proche du mouvement pro-israélien Antideutsch. Le 12 septembre, le club a en effet annoncé publiquement sa décision d’annuler la soirée du collectif queer et féministe qui devait avoir lieu trois jours plus tard, accusant la campagne lancée par PACBI de faire preuve « d’antisémitisme structurel ».
Dans un communiqué de réponse, Room 4 Resistance – qui comprend DJ Luz et le chercheur et spécialiste de la culture club Luis-Manuel Garcia – a réaffirmé son positionnement « antiraciste, anti-fasciste, anti-colonialiste et anti-apartheid », sa volonté de ramener la politique sur le dancefloor comme sa solidarité avec le peuple palestinien : « Il est possible de s’opposer à un état sans persécuter ses citoyens. Chez Room 4 Resistance, nous accueillons des citoyens du monde entier à nos événements, tant qu’ils respectent notre principes du safer space » écrit le collectif, dénonçant l’amalgame assimilant toute critique de l’état d’Israël à de l’antisémitisme : « Les citoyens israéliens sont tout autant les bienvenus que les Palestiniens, Syriens, Tunisiens, Somalis, Turques, Libanais, et tous ces autres immigrants et réfugiés constamment exposés à des risques de violence en Europe. »
Regrettant que ce soit des artistes queer, trans et racisés « particulièrement vulnérables financièrement » qui payent le prix de cette décision, Room 4 Resistance a maintenu sa soirée ailleurs : « Tous ces DJs géniaux sont en ville, alors autant qu’ils et elles jouent quelque part ! » a écrit le crew à grand renfort d’emojis licorne et coeur. Suite à cet évènement, plusieurs DJs ont affirmé boycotter à leur tour ://about blank en soutien à Room 4 Resistance, tels Olin et Hiro Kone : « Tu ne peux pas te considérer antifasciste et soutenir le gouvernement israélien », affirme Hiro Kone, également désinvitée du club Pracht de Leipzig après avoir affiché son soutien à la Palestine début septembre. Et si, dans un communiqué joint, Room 4 Resistance et ://about blank ont depuis déclaré travailler à une résolution du conflit, l’affaire semble loin d’être terminée.
Une tactique qui a fait ses preuves
Loin d’être anecdotique, #DJsForPalestine vient s’inscrire dans une série bien plus large d’initiatives de boycott culturel (et de polémiques associées) ayant eu lieu récemment à travers le monde. En décembre 2017, c’est la chanteuse de pop Lorde qui annulait un de ses shows prévu à Tel Aviv. Vivement critiquée, elle avait ensuite été soutenue par plus d’une centaine d’artistes, écrivains et intellectuels, parmi lesquel Brian Eno, Ken Loach ou Angela Davis. En mai 2018, après que 52 Palestiniens aient été tués par l’armée israélienne dans la bande de Gaza, c’était au tour de Shame, Portishead, Circa Waves et Wolf Alice de rejoindre la campagne #ArtistsForPalestine. Un mois plus tard, le débat faisait à nouveau rage après l’annulation du concert de Young Fathers au festival de musique allemand Ruhrtriennale suite au soutien du groupe de hip hop à la Palestine. Soutenu, une fois encore, par des dizaines d’artistes et d’intellectuels – dont la philosophe Judith Butler, le linguiste Noam Chomsky et l’essayiste et réalisatrice Naomi Klein –, Young Fathers avait ensuite été réinvité par le festival mais avait refusé d’y jouer. Plus récemment, début septembre, c’est le festival israélien Meteor qui faisait la une des journaux après que vingt artistes, parmi lesquels Lana Del Rey, Of Montreal, Honey Dijon, Shlohmo et Mall Grab, se soient désistés suite à l’appel lancé par PACBI et Jewish Voice For Peace.
Désormais soutenu par des milliers d’artistes à travers le monde, le boycott culturel d’Israël semble donc prendre de l’ampleur, et est l’un des piliers du mouvement BDS. « Les efforts spontanés et collectifs tels que #DJForPalestine et #ArtistsForPalestine, en plus des 20 annulations de Meteor Festival, montrent une prise de conscience croissante que les spectacles en Israël sont un choix politique et qu’un point critique pour le boycott culturel pourrait approcher », analyse Stephanie Adam de PACBI. « L’appel palestinien au boycott est institutionnel, ciblant les institutions complices d’Israël. Il cible la complicité, pas l’identité. BDS ne cible pas les individus », précise la coordinatrice du mouvement, pour qui ce type de stratégie a déjà fait ses preuves lors de la lutte contre l’apartheid sud-africain.
Un avis partagé par la musicienne Ohal, engagée dans le mouvement Boycott from Within, qui rappelle : « Quand le boycott concernant l’Afrique du Sud a commencé, de nombreux artistes étaient indécis. Il a fallu Artists United Against Apartheid pour que le fait de jouer en Afrique du Sud devienne mal perçu. Cela a eu un impact énorme sur le mouvement de désinvestissement sud-africain, et la pression financière de ce désinvestissement a joué un rôle clef dans l’organisation d’élections libres en Afrique du Sud. » Dénonçant la façon dont Israël « utilise des évènements culturels pour white-washer ses crimes », elle conclue : « Pour nous, citoyens israéliens qui souhaitons mettre fin aux violations des droits de l’homme commises par Israël envers les Palestiniens, lever le siège sur Gaza et l’occupation de la Cisjordanie, et protéger les droits des réfugiés palestiniens à retourner chez eux, promouvoir un boycott économique et culturel international d’Israël est le seul moyen qu’il reste pour provoquer du changement. »
Quant à #DJsForPalestine, inviter la scène électronique à prendre davantage position fait également partie d’une réflexion tactique menée par PACBI : « La musique électronique est un élément central de l’image propagandiste de Tel Aviv comme ville festive. Un boycott provenant de DJs aide à contrecarrer les efforts de la ville pour se dissocier de l’image de plus en plus toxique d’Israël », explique Stephanie Adam. La campagne a d’ailleurs été particulièrement saluée par la DJ palestinienne Sama, pour qui ce type de boycott est un moyen efficace pour « réveiller les gens », à l’international comme en Israël : « C’est un mouvement très intelligent, le seul qui fasse actuellement quelque chose pour les Palestiniens, et ça vient des Palestiniens. Il n’y a pas de leader, ça se répand et ça marche parce qu’ils touchent à la bonne cible : l’économie. Qu’est-ce qu’on peut faire d’autre ?” Et que faire d’autre, en effet ? Interrogée plus longuement là-dessus, la DJ nous a confié un de ses rêves : voir un jour « un énorme festival » organisé dans son pays. « On espère qu’un jour, le Monde viendra faire une rave en Palestine plutôt qu’à Tel Aviv. Ca n’est qu’à 45 minutes, après tout. »