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Les rapports de pouvoir au royaume de truanderie

Nelson Urt 07/09/2020
Tradotto da Jacques Boutard

Le nouveau livre d’Adelto Gonçalves dévoile les dessous de la capitainerie de São Paulo sous le gouvernement de Lorena (1788-1797)
Un scandale : l’affaire des “coffres pleins d’or” qui, une fois ouverts devant le roi, ne contenaient que du plomb. Un profanateur : le frère capucin qui utilisait l’argent des aumônes pour mener une vie confortable de propriétaire d’esclaves. Une persécution : celle des frères Leme, à qui le gouvernement attribuait une liste de crimes à Cuiaba et à Itu. Une maîtresse : Lorena était-il le fils des Távora ou le fruit d’une liaison adultère du roi ?
De fascinantes histoires de conflits, de persécutions et de fourberie se déroulent dans la clandestinité, mais elles refont surface dans chaque chapitre de O Reino, a Colônia e o Poder – O governo de Lorena na capitania de São Paulo 1788-1797 (Imprimerie officielle du gouvernement de l’État de São Paulo (Imesp), 2019) grâce à la perspicacité de ce chercheur qui a fréquenté les rédactions des principaux journaux de São Paulo, qu’est l’auteur Adelto Gonçalves.
Le flair aiguisé du reportage est servi par un texte léger et explicatif. Ainsi Adelto Gonçalves parvient à rompre avec les modèles et les clichés adoptés par d’autres historiens en brossant un curieux tableau des rapports de force et leurs influences – officielles, officieuses et clandestines – d’une période du colonialisme qui a vu la consolidation de São Paulo en tant que ville et de Cuiabá [capitale de l’État du Mato Grosso] en tant que gros bourg.
La construction de la Calçada do Lorena, une chaussée pavée de 50 km qui reliait São Paulo à Santos en traversant la Serra do Mar, est la principale marque qu’a laissée le gouvernement de Dom Bernardo José Maria da Silveira e Lorena. Mais le livre, en compilant certains épisodes des neuf années du gouvernement Lorena à São Paulo, va bien au-delà des constructions et des stratégies élaborées pour permettre à São Paulo de se rapprocher de la Couronne en déjouant les interférences économique et politique de Rio de Janeiro.
Lorena fut le plus jeune capitaine général à diriger la capitainerie de São Paulo : il a 32 ans lorsqu’il débarque et prend ses fonctions en juillet 1788. Il serait le fils de Nuno Gaspar de Távora, frère du marquis de Távora, et de sa seconde épouse et belle-sœur, Maria Inácia da Silveira. C’est ce que dit son registre de baptême, rédigé à Lisbonne, selon l’auteur. Il aurait fait partie de la première noblesse portugaise, comptant parmi ses ascendants une des familles les plus distinguées de France, les Lorena [Maison de Lorraine]. C’était du moins l’explication officielle, car il y eut toujours des rumeurs selon lesquelles il aurait été le fils adultérin du roi Dom José Ier et de sa maîtresse, la marquise Teresa de Távora e Lorena, épouse du jeune marquis Dom Luís Bernardo de Távora.
Recherche approfondie
En s’appuyant sur une excellente documentation historique, l’auteur dévoile les racines de la corruption et du détournement de l’argent public au Brésil dans le situation, analogue à l’époque actuelle, d’un pays qui semble condamné à vivre prisonnier du passé tortueux de la Colonie, et à la culture du pot-de-vin, de la corruption et des affaires louches.
Vu sous cet angle, le risque existe de voir la corruption comme le fruit exclusif de la politique, comme nous en alerte le sociologue Jessé de Souza dans A elite do atraso [L’élite du sous-développement] (2017). « La population (…) fut convaincue que la corruption n’existe qu’en politique – c’est la corruption des sots – et ne distingue pas le problème central, la véritable corruption, celle du marché, qui est le maintien d’une société inégalitaire », nous affirme-t-il.
La capitainerie est passée aux mains de ses prédécesseurs juste avant l’arrivée de Lorena. L’un d’entre eux était Antônio da Silva Caldeira Pimentel, l’un des rares gouverneurs coloniaux à avoir déménagé au Brésil avec sa famille, selon l’auteur. Pimentel était arrivé en 1727 et, un an plus tard, le scandale qui allait précipiter sa chute avait déjà éclaté. « À Lisbonne, lorsque les autorités de la Métropole avaient ouvert devant le roi Dom João V des coffres récemment arrivés du Brésil avec 7 arrobas d’or [environ 102 kg] provenant des quintos reais [1], elles découvrirent, étonnées, qu’il n’y avait là que du plomb ». C’était là l’œuvre de Pimentel et de ses protégés, parmi lesquels se trouvait Sebastião Fernandes do Rego, défini par l’historien Afonso de Taunay comme « un aventurier de la pire espèce ».
L’auditeur-général du district de São Paulo, le conseiller juridique Francisco Galvão da Fonseca, ouvrit une enquête pour découvrir les noms des responsables du détournement. Bientôt, des soupçons pesèrent sur les hommes de confiance du gouverneur Pimentel, ainsi que le décrit l’auteur. « Mais la corruption était si répandue dans tout l’État que le premier à tomber fut l’auditeur-général Fonseca lui-même, suspendu de ses fonctions et arrêté sur ordre du juge du Trésor de Rio de Janeiro. Il était accusé de multiples fraudes », explique Adelto Gonçalves.
Le juiz de fora [mot à mot, « juge de l’extérieur ] de la ville de Santos, Bernardo do Vale, reprit l’enquête et conclut que l’auteur du crime était Sebastião Fernandes do Rego, conseiller de la Casa de Fundição [ Fonderie] du gouvernement de Caldeira Pimentel et chargé de collecter les quintos (impôts) sous le gouvernement de Rodrigo César de Meneses. Des plaintes furent alors déposées contre Rego, comme quoi il prélevait toujours deux oitavas d’or [environ 7 grammes] à ceux qui payaient les quintos, « en disant que c’était pour son travail ».
Vale en conclura également que le gouverneur Pimentel protégeait le fournisseur de la fonderie. Rego a été accusé de faire de bonnes affaires avec des fraudeurs fiscaux et de marquer et couler de l’or à l’extérieur de la maison de la fonderie. Pour tenter de dénoncer le gouverneur, João Leite Ortiz s’est rendu au Portugal, mais sur le bateau, il aurait été empoisonné par un prêtre, « un vrai bandit, couvert de crimes commis dans le Mato Grosso », comme le rapporte l’historien Taunay.
Dans son livre, Adelto Gonçalves réfute le concept de l’historiographie traditionnelle, selon laquelle la capitainerie de São Paulo était à cette époque, vers 1748, isolée par rapport aux autres régions de l’Amérique portugaise et dépeuplée. Aujourd’hui, ce concept est en cours de révision, selon l’auteur. São Paulo ne disposait pas d’une économie reposant sur une monoculture esclavagiste à grande échelle, ni sur l’extraction de minéraux, mais elle participa de manière décisive à l’expansion vers l’ouest et à la découverte des mines d’or à la fin du XVIIe siècle, en plus d’occuper une position stratégique au croisement d’importants artères régionales, terrestres et fluviales, ce qui a pesé de manière décisive sur le développement de la capitainerie.
NdT
1 – Le Quinto était un impôt prélevé par le gouvernement à l’époque du Brésil colonial. Ce nom lui était donné parce qu’il correspondait à un cinquième (un Quinto)du métal (or ou argent) extrait dans les mines et enregistré par les Casas de Fundiçao [Fonderies royales]. (Infoescola)