General

« Hélicoptère monétaire ? Oui, mais alors, que l’argent aille directement aux gens » Interview de l’économiste Andrea Fumagalli sur le revenu universel de base

Roberto Ciccarelli 23/03/2020
Selon l’économiste de l’Université de Pavie et membre du Basic Income Network Italia (Bin, Réseau Revenu de base) : « Dans cette crise provoquée par le Coronavirus, nous devons définir un nouveau canal de transmission des liquidités, avec la médiation des gouvernements, et financer un revenu de base inconditionnel de manière structurelle».

Tradotto da Fausto Giudice
Andrea Fumagalli, économiste à l’Université de Pavie et membre du Réseau Revenu de base – Italie (Bin), on reparle de « l’hélicoptère monétaire » cet argent déboursé par les banques centrales. Cela pourrait-il être une solution contre la crise économique induite par le virus Covid-19 ?
Oui, parce qu’aujourd’hui, la relation entre la croissance de la monnaie et la dynamique de l’inflation, qui était le cheval de bataille de la théorie monétariste sur laquelle repose le traité de Maastricht, a disparu. Les politiques monétaires des banques centrales telles que la Fed aux USA, puis de Mario Draghi avec la BCE en Europe, ont alimenté les marchés financiers en favorisant la croissance très soutenue des indices boursiers, mais peu ou rien n’a « ruisselé » vers l’économie réelle. Il faut définir un nouveau canal de transmission des liquidités, avec la médiation des gouvernements, en finançant un soutien inconditionnel au revenu de base qui va directement aux gens de manière structurelle. En Italie, cela peut être fait immédiatement en réformant le « revenu de citoyenneté » actuel dans un sens plus universel et moins contraignant. En tant que Bin-Italie, nous venons de lancer une pétition au gouvernement et au parlement pour l’obtenir.
Quelle est la différence avec la proposition d’Helicopter Money faite en 1969 par Milton Friedman ?
Auparavant, le canal de transmission des liquidités créées passait par les marchés financiers et du crédit, par l’achat d’obligations privées et gouvernementales, aujourd’hui il passerait directement dans le portefeuille des citoyens. C’est ce que fait le gouvernement de Hong Kong ces jours-ci. Trump lui-même aller dans cette direction.
Quelle est la différence entre cette approche de l’assouplissement quantitatif (quantitative easing) et l’approche à 750 milliards d’euros de la BCE ?
L’approche de la BCE était un choix obligatoire, après que les interventions de ces derniers jours se sont révélées absolument insuffisantes. Face à une chute d’un tiers de la valeur des marchés boursiers mondiaux, la BCE a été obligée, en accord avec la Fed usaméricaine, de compenser les pertes. Mais cette politique suit celle de Draghi. Aujourd’hui, en revanche, une politique radicalement différente est nécessaire pour financer directement les revenus.
Cette politique monétaire doit-elle être accompagnée d’une politique fiscale ?
C’est nécessaire, même si en Europe aujourd’hui, c’est une option compliquée. Nous avons en fait une politique monétaire unique, mais une politique fiscale sur des bases nationales. La proposition d’une politique fiscale commune avec un budget unique, et une loi budgétaire unique, se heurte à des obstacles politiques. L’Allemagne y est favorable en paroles, mais comme condition préalable, elle exige que chaque État mette de l’ordre dans ses budgets par des politiques d’austérité. Mais la crise remet sérieusement en cause cette approche. La situation actuelle en Italie sera similaire à celle de demain en France, en Allemagne et en Espagne. Tout le monde sera obligé de dépasser les paramètres du budget. L’urgence créée par le virus pourrait forcer la demande d’une politique budgétaire européenne.
Comment le nouveau système sera-t-il financé ?
Avec l’émission d’un titre européen commun, l’Eurobond, qui, sans surprise, a toujours rencontré l’opposition de l’Allemagne. La BCE crée des liquidités pour se procurer des fonds sur les marchés. À cela, il faudrait ajouter de l’argent frais, par le biais de l’assouplissement quantitatif. Ces dernières années, on estime que les liquidités créées par la BCE ont représenté environ 20 % du PIB européen (plus de 3 300 milliards d’euros), avec un effet prix de 0,5 %, ce qui est négligeable.
Pourquoi n’y a-t-il pas de problème d’inflation ?
Exactement, en fait, nous avons aujourd’hui un problème de déflation. L’inexistence du lien entre l’augmentation de la masse monétaire et l’augmentation des prix rend la théorie monétariste de Friedman nulle et non avenue. L’argent est devenu un signe pur et n’a plus aucun rapport avec un élément matériel.
Sur la table, il y a aussi l’hypothèse d’une intervention par le MES (mécanisme européen de stabilité). Pourquoi cela suscite-t-il tant de polémiques ?
Le MES est la tentative d’exploiter et de contrôler l’offre de liquidités découlant des choix de politique monétaire de la BCE, en imposant des contraintes aux pays les plus endettés comme l’Italie. Je ne pense pas qu’il soit approprié de l’approuver.
D’énormes ressources seront nécessaires. L’Italie a-t-elle une dette viable ?
Ce problème se posera pour tous les pays européens et c’est précisément la raison pour laquelle il est nécessaire de l’anticiper par des politiques monétaires et fiscales anticycliques. Il ne convient à aucun pays, si faucon soit-il, que l’Italie ou l’Espagne se déclarent en défaut de paiement.
Il est préférable, et moins coûteux, de procéder à une restructuration de la dette si nécessaire : ne pas payer une partie des débiteurs, une insolvabilité partielle. La part de la dette publique italienne détenue par Bankitalia a fortement augmenté pour atteindre plus de 15 %. Bankitalia peut se passer de cette dette, elle ne fera pas faillite. Le risque est qu’une vague spéculative se déclenche. C’est pourquoi un parachute européen est nécessaire. Une politique de redistribution visant à soutenir la demande agrégée par le biais d’une aide au revenu aurait un effet de contrepoids aux pressions de la récession sur le PIB. Cela pourrait empêcher la croissance de la dette.
L’austérité est-elle vouée à la poubelle de l’histoire ?
Cela a toujours été le cas. Elle a fait la une des journaux en raison de l’hégémonie politique de l’Allemagne et pour favoriser la finance et les grandes multinationales. Si elle était accompagnée d’une réforme du système fiscal et d’une réforme de la protection sociale adaptée à la transformation du travail, ainsi que de politiques migratoires plus ouvertes, la nouvelle politique pourrait au contraire profiter à de larges pans de la population qui souffrent aujourd’hui encore plus du manque de revenus et de travail.
Quel genre de crise vivons-nous ?
Il ne s’agit pas d’une simple crise économique et financière, mais elle prend les connotations d’une crise sociale et politique et risque de mettre en branle non seulement des processus de dévastation économique mais aussi de nouvelles formes de contrôle social vers un processus d’individualisation et de virtualisation de la vie humaine. Beaucoup dépendra des capacités de riposte qui se mettront en marche une fois l’urgence sanitaire passée.