« Muselmänner » : c’est ainsi que l’on désignait à Auschwitz les prisonniers en fin de vie, les « morts-vivants ». « Muselmänner » signifie « Musulmans » en yiddish. À Majdanek et Neuengamme, on les appelait « Kamele », « chameaux », et à Buchenwald, « Müde Scheichs », Cheikhs fatigués. Une manière de dire qu’il y avait pire qu’être juif -ou Tzigane, ou communiste, ou homosexuel, ou Témoin de Jéhovah-, c’était d’être « musulman ».

Comme l’a écrit Sartre dans Réflexions sur la question juive, « être juif, c’est être désigné tel ». Autrement dit, est juif celui que les non-juifs désignent comme tel. Et pour mettre un terme à l’antisémitisme ce n’est pas le Juif qu’il faut changer mais l’antisémite. « Le démocrate a fort à faire : il s’occupe du juif quand il en a le loisir ; l’antisémite n’a qu’un seul ennemi, il peut y penser tout le temps ; c’est lui qui donne le ton ».

On peut dire aujourd’hui satriennement qu’« être musulman, c’est être désigné tel ».

Les neuf personnes – d’origines diverses, turque, kurde, bosniaque ou bulgare – massacrées à Hanau en Allemagne mercredi ont été désignées comme Musulmans par leur assassin, Tobias Rahtjen, 43 ans. Celui-ci, dans ses « confessions » paranoïaques, ne dit pas seulement qu’il n’aime pas « les Turcs, les Marocains et les Libanais », mais qu’il faut « exterminer dans leur intégralité les peuples ‘non-performants’ vivant « du Maroc aux Philippines, en passant par l’Iran l’Inde et le Vietnam », car « non seulement ils n’ont pas contribué [au progrès de l’humanité], mais sont destructifs, surtout l’Islam ». Tobias Rahtjen, après son massacre, a tué sa mère et s’est donné la mort. Exit le maboul.

Björn Höcke, lui, n’est pas un maboul. Cet homme de 48 ans, est aujourd’hui un politicien respecté. Président de l’Alternative pour l’Allemagne en Thuringe, il dit la même chose que Tobias, le maboul de Hanau. Exemples : « Quand nous serons au pouvoir, c’en sera fini des trois grands M au bord du Bosphore : Mohamed, muezzin, minarets ». Et aux Turcs allemands, il a lancé : « Roulez donc vos tapis et retournez sur le Bosphore ».

Emmanuel Macron, lui non plus, n’est pas un maboul. Cet homme de 42 ans, est le président de la République française. Il y a quelques jours, depuis Mulhouse, il a lancé sa croisade contre le « séparatisme ». Oh non, pas le séparatisme alsacien, mais le « séparatisme politique, religieux ou identitaire », entendez « islamiste » : au nom de « la République, [qui] est un bloc, de principes, de valeurs et d’actions », il a annoncé un plan de 100 millions d’euros pour reconquérir les espaces dominés par de méchants barbus étrangers (quartiers, écoles, mosquées). « On ne peut pas avoir les lois de la Turquie sur le sol de France, ça, c’est non ».

Dans l’Europe du XXIème siècle, les musulmans sont devenus l’Autre par excellence. Les mots les désignant peuvent tuer.

Le 21 février 1965, à Harlem, Malcolm X était assassiné par des militants de la Nation of Islam manipulés par le FBI de John Edgar Hoover. Malcolm avait rompu avec la secte après son retour d’un voyage en Égypte et d’un pèlerinage à La Mecque. Là, en effet, il avait vu des croyants de toutes origines, couleurs et nations en communion fraternelle. De retour aux USA, il avait appris que le leader de la Nation, Elijah Muhammad avait, en son absence, entamé des pourparlers avec le Ku Klux Klan, sur un projet de création d’un État séparé pour les Afro-Américains, en Alabama ou ailleurs dans le Sud. Malcolm avait été définitivement révulsé et avait créé une organisation révolutionnaire, l’Organisation pour l’unité afro-américaine, pour lutter pour l’émancipation, et non la « séparation ».

Rahjten, Höcke et Macron, chacun à sa manière, mettent les Musulmans d’Europe face à un dilemme : partir ou rester ? Partir ? mais où ? Rester ? mais comment ? En se convertissant, en se déguisant, en devenant de nouiveaux marranes ? Ou en pratiquant l’autodéfense de masse ? By any means nessary ?