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J’étais en Irak lors de l’assassinat du général Soleimani. Trump a fait une énorme erreur

Ali-Asghar Abedi 08/01/2020
Dans la mort, il semble maintenant que le major-général accomplira ce qu’il n’a pu faire de son vivant

Tradotto da Fausto Triana
J’aurais été choqué par la nouvelle de l’assassinat par les USA du général de division iranien Qassem Soleimani, où que je me trouve dans le monde. Mais c’était particulièrement bouleversant de lire cette nouvelle alors que je me réveillais en Irak vendredi matin dernier. J’étais dans la ville de Nadjaf, dans le sud du pays, à ce moment-là, près de la fin d’une semaine de visite organisée de plusieurs sites d’une importance religieuse immense pour les musulmans chiites à Kerbala , Nadjaf, Kufa, Samarra et Kazmain.
Dès que j’ai vu le titre d’un article sur mon téléphone, j’ai su que ce serait un tournant majeur dans la région car je connaissais le profil de Soleimani. Et en parcourant l’article, un détail en particulier m’a sauté aux yeux : Soleimani avait été pris pour cible à l’aéroport international de Bagdad, le même aéroport dont je devais partir dans moins de 24 heures.
À ce moment-là, on ne savait pas si l’aéroport était encore opérationnel, si les vols seraient annulés ou si l’espace aérien irakien serait fermé. Mais avant même que le département d’État n’ordonne aux USAméricains de quitter le pays immédiatement, je savais que je ne voulais pas prendre le risque de rester en Irak plus longtemps que nécessaire et que je ne voulais pas quitter Bagdad en avion – qui savait si l’infrastructure aéroportuaire avait été endommagée par des frappes aériennes ou si une nouvelle action militaire des USA était prévue ?
Après une furieuse bousculade, j’ai pu acheter un nouveau billet pour quitter l’Irak vendredi soir pour un voyage de cinq vols qui a duré environ 54 heures, de mon hôtel à Nadjaf jusqu’à mon appartement à New York. Parce que je voulais désespérément quitter l’Irak, j’étais prêt à prendre la mauvaise direction pour quitter le pays – j’ai donc fini par m’envoler pour Doha avant que les vols suivants ne me ramènent (lentement) à la maison. Mais même avec un vol réservé au départ de l’Irak, je suis resté tendue : étant donné la stature et l’importance de Soleimani en Iran, il y avait une énorme incertitude quant à ce qui pourrait arriver ensuite. Ce n’est que lorsque le vol 461 de Qatar Airways a décollé que j’ai finalement poussé un soupir de soulagement.
Pour rester au courant des développements, j’ai fréquemment vérifié sur Twitter – qui, j’ai trouvé, contenait quelques messages extrêmement simplistes présentant Soleimani soit comme un méchant soit comme un saint. Soleimani a été l’un des principaux responsables de la défaite de Daech en Irak. En 2014, quand Daech a pris le contrôle d’un territoire dans le nord de l’Irak et que l’armée irakienne s’est effondrée, Soleimani s’est battu contre Daech et les a tenus à l’écart du sud de l’Irak où ils auraient très probablement attaqué des sanctuaires et des pèlerins dans des endroits comme Kerbala . Après tout, il y avait un précédent à cela : Le prédécesseur de Daech, Al-Qaïda In Irak, a bombardé le sanctuaire de l’Imam Hassan Askari à Samarra en 2006 et à nouveau en 2007 ; ils ont également tué 178 pèlerins à Kerbala en mars 2004, le jour de l’Achoura.
Mais toute discussion sur Soleimani – manifestement un ennemi des USA – est incomplète si l’on ne reconnaît pas son rôle extrêmement préjudiciable dans la guerre civile sanglante de Syrie, qui a causé des centaines de milliers de morts parmi les civils, des déplacements massifs, une crise des réfugiés et des dommages dévastateurs aux infrastructures du pays.
Lorsque le Guide suprême de l’Iran, l’ayatollah Khamenei, a décrit Soleimani comme un martyr, je ne l’ai pas pris au sérieux – premièrement, parce que je ne crois pas à la théocratie ; et deuxièmement, parce qu’il est difficile de déterminer quand Khamenei parle pour ses propres intérêts, pour l’intérêt national de l’Iran ou pour les intérêts des musulmans chiites. Cependant, lorsque j’ai vu le grand ayatollah Ali Sistani, basé en Irak, décrire également Soleimani comme un martyr, cela a attiré mon attention, parce que Sistani ne fait généralement pas de commentaires sur les questions politiques. Les martyrs ont un statut spécial au sein de l’islam ; par exemple, on renonce à certains rites funéraires pour eux. En fait, le schisme chiite/sunnite est fondé sur le martyre de l’Imam Hussain (petit-fils du Prophète Mohamed), la figure la plus vénérée de l’Islam chiite, et dont l’anniversaire de la mort est commémoré par des dizaines de millions de personnes qui visitent son sanctuaire à Kerbala chaque année.
L’administration Trump devra inévitablement faire face à un retour de bâton en faisant de Soleimani un martyr. Bien que le meurtre de Soleimani soit sans aucun doute un coup dur pour l’Iran en raison de son statut légendaire dans ce pays, son assassinat semble avoir accru sa légende parmi les Iraniens et, de manière cruciale, parmi de nombreux Irakiens.
En attendant, dans la mort, Soleimani peut accomplir ce qu’il n’a pu faire de son vivant : l’expulsion permanente des forces usaméricaines d’Irak. Et même si ce but iranien n’est pas atteint à court terme, le gouvernement iranien peut utiliser l’assassinat de Soleimani comme un cri de ralliement pour les années à venir, parce que Soleimani est maintenant considéré comme un martyr, et les martyrs vivent pour toujours.