General

La Colombie, un volcan social en ébullition

Oto Higuita 29/11/2019
La grève nationale du jeudi 21 novembre en Colombie a été l’explosion d’un volcan social dont on ignore combien de magma il contient. La rébellion sociale qui a commencé comme une grève suit un schéma similaire à celui des éruptions populaires qui traversent le continent.

Tradotto da Fausto Giudice
Sans aucun doute, celle de la Colombie a plus de similitudes avec ce qui se passe au Chili, où les protestations de millions de citoyens durent depuis plus de 40 jours et ne montrent pas de signes d’épuisement, continuant à se mobiliser, démontrant un haut degré de conscience, d’unité et de résistance, les principales composantes d’une lutte populaire qui aspire à voir ses revendications aboutir.
Deux caractéristiques distinguent l’explosion sociale au Chili et en Colombie (l’Équateur en partie avec le paquet néolibéral de Lénine Moreno). L’un est le type de régime (dictature déguisée en démocratie) et l’autre le modèle économique (néolibéralisme).
Au Chili, les deux, type de régime et modèle néolibéral, sont épuisés. Le régime a conservé les principales caractéristiques de la dictature imposée par Pinochet après le renversement violent de Salvador Allende le 11 septembre 1973. Cette dictature est basée sur une constitution qui a subi des modifications cosmétiques. Dans le même temps, le régime de facto a soutenu l’imposition du modèle néolibéral pendant 46 ans, ce qui a créé ce que l’on appelait l'” oasis ” dans laquelle vivait une minorité oppressive capitaliste, tandis que la majorité des Chiliens devaient subir l’oppression, l’exclusion et la misère économique.
La Colombie combine un régime de 200 ans d’oligarchies (cycle long) depuis l’indépendance, avec un cycle court de 70 ans qui va de l’assassinat de Jorge Eliécer Gaitán (9 avril 1948) à nos jours. Un régime politique où la même classe, l’oligarchie libérale/conservatrice, a gouverné sans interruption (à l’exception de la dictature du général Rojas Pinilla de 1953 à 1957). Ce type de régime oligarchique a été soutenu par le modèle économique néolibéral qu’ils ont imposé et élevé au rang constitutionnel au cours des 30 dernières années (“Bienvenus dans le Futur” de César Gaviria et “Sécurité Démocratique” avec les traités de libre-échange sous Alvaro Uribe).
Après des décennies de non-respect des accords pour parvenir à une paix définitive, de politiques effrayantes d’extermination de l’opposition, de refus d’une véritable ouverture démocratique et d’une répartition équitable des richesses et des terres, de poursuite des politiques extractivistes, de pillage des ressources de l’État avec la corruption galopante qu’ils ont institutionnalisée, ceux qui ont gouverné en Colombie ont vu leur tour arriver dans la vague d’explosions sociales qui traversent le continent.
En Colombie, un mouvement social gigantesque, diversifié, pluriel, transgénérationnel, multiclassiste, hautement politisé, se mobilise et se déploie dans la rue, brandissant des drapeaux de lutte et de revendications qui reflètent celles des différents secteurs sociaux aux cours de précédents processus et luttes populaires.
Ce mouvement social vient de naître et déjà certains jaunes veulent le dégommer ou l’enterrer, oubliant que ce mouvement inhabituel dans l’histoire des 70 dernières années est le résultat d’un état de malaise accumulé depuis plusieurs générations ; Ce n’est pas un mouvement organique et il n’a pas non plus une direction unique, à la manière des partis politiques et, par conséquent, il n’obéit à aucun parti et n’obéit à aucun dirigeant politique national, aussi reconnu soit-il, comme dans le cas de Gustavo Petro qui a au moins eu la décence de reconnaître qu’il n’est ni le seul porte-parole ni le responsable de la grève nationale, la droite et certains dirigeants du soi-disant centre ayant plus menti pour gagner du terrain ou se bagarrer avec lui que tout autre chose.
Les revendications de cette explosion populaire surprenante et inhabituelle, rassemblées dans une liasse de pétitions (projet d’un nouveau gouvernement) vont des revendications historiques des syndicats et des travailleurs pour de meilleures conditions de travail et de salaires, à la réduction de la TVA pour les plus pauvres, à la mise en œuvre d’une réforme fiscale non régressive mais avec des impôts plus élevés pour les plus riches, au respect des accords de paix, à l’arrêt de l’élimination systématique des leaders sociaux ; prendre des mesures de lutte contre la corruption ; le démantèlement de l’ESMAD {brigades anti-émeutes] et la restructuration des forces armées se sont converties en machine de mort ; un budget plus important pour l’éducation publique et la santé en tant que droits et non de business ; des normes pour combattre la discrimination et la violence contre les femmes ; un système de retraite complet qui couvre des millions d’adultes à faible revenu ; la protection des espèces et de l’environnement ; des mesures contre le changement climatique, la prohibition de la fracturation hydraulique et la réglementation de l’extraction des ressources naturelles.
La réalisation de ces exigences dépendra, comme nous le savons, de la capacité de résistance, d’unité et de pluralité du mouvement, qui pour l’instant ne montre aucun signe d’usure, mais plutôt d’endurance. De fait, une série de dirigeant·es socia·ux·les et politiques (Gustavo Petro, Francia Márquez, María Mercedes Maldonado et quelques syndicats nationaux) jouissant d’une reconnaissance nationale ont refusé de faire partie de la table de concertation appelée par le gouvernement du président inexpérimenté Iván Duque, qui manque des vertus d’homme d’État que le moment que traverse la nation.
Nous l’avions proposé dans un article écrit 100 jours après son arrivée au pouvoir, Les premiers mois d’Iván Duque, le gouvernement jamais rêvé, où nous affirmions que son gouvernement était « le rêve du mouvement alternatif et de la gauche. Cela leur est favorable à long terme parce que s’il ne change pas de cap, ce qui est improbable à cause du cabinet qu’il a nommé et du paquet de mesures qu’il a annoncé ; la détérioration et le discrédit seront accélérés et le coût d’avoir amené à la présidence un homme inexpérimenté et pratiquement inconnu, comme un as tiré de la manche par Álvaro Uribe, va coûter très cher à la Colombie ».
Le gouvernement colombien se déglingue, une fissure gigantesque s’est ouverte et montre les fondations usées sur lesquelles il reposait, la longue crise et sa décomposition totale étaient certaines. Certains opportunistes courent à son secours pour jouer le rôle d’extincteurs, oubliant que c’est l’oligarchie elle-même qui, depuis belle lurette, creuse sa propre tombe. Pendant ce temps, dans les rues, des millions de gens, fatigués d’être traités comme des moins que rien, donnent des coups de boutoir : ils savent qu’ils n’ont pas grand-chose à perdre mais un nouveau pays à gagner.