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Mais qui est donc Iván Redondo, le doreur de blason de Pedro Sánchez ?

Enric Pardo 21/11/2019
Après avoir été le conseiller électoral de divers candidats du Parti Populaire d’Espagne, Iván Redondo a conseillé Pedro Sánchez lors de la première dissolution des Cortes en avril dernier, puis lors des nouvelles élections.

Tradotto da Rosa Llorens

Editato da Fausto Giudice
Son rôle de spin doctor (doreur d’image ou de blason) suscite méfiance et critiques.-Tlaxcala
« Qui est le responsable du retour aux urnes ? Entre avril et novembre, il y a eu une collision de récits ».
« Iván Redondo est certes un spécialiste de la construction de récits, mais de récits pour autrui, pas personnels. Pourquoi se situe-t-il maintenant en protagoniste de cette histoire ? »
« Est-il celui qui a écrit qu’on ne pouvait pas dormir avec des ministres de Podemos au gouvernement, ou celui qui a écrit qu’un gouvernement franchement progressiste était porteur d’espoir ? »
Qui est le responsable du retour aux urnes ? Entre avril et novembre, il y a eu une collision de récits. D’un côté, celui de Podemos : « le PSOE veut nous briser, nous humilier, nous couler… ils ne veulent pas gouverner en coalition avec nous ». De l’autre, le récit du PSOE et de la Moncloa (il semblerait que ce soit le même, mais ce n’est pas le cas) visait directement le leader de la formation violette : pour la quatrième fois, Pablo Iglesias refusait de faire de Pedro Sánchez le Président du Gouvernement.
Ce récit était dévastateur parce qu’il était cohérent avec la trajectoire du personnage. La construction d’un bon récit se fonde sur la concordance entre le rôle et l’acteur : une magicienne fait de la magie, un voleur vole, un fauteur de blocage (gardien des essences) bloque. Pourtant, le public ressentit la colère non dissimulée de Pablo Iglesias comme authentique. En outre, les acteurs socialistes (Calvo, Simancas, Lastra, et le Président du Gouvernement) ont tellement surjoué que l’opinion publique comprit qu’ils voulaient de nouvelles élections.
On a vu dans Iván Redondo, chef de cabinet du Président et espèce de Grima « Langue de Serpent », l’ultime responsable de cette décision politique. L’homme dont le pouvoir repose sur l’accès total à l’agenda politique de Pedro Sánchez fut désigné comme le Magicien d’Oz qui tire les ficelles, jusqu’à ce que tout le récit s’effondre du fait des résultats des élections du 10 novembre, qui ont mené au « pacte des embrassades ». Mais qui est Iván Redondo ? C’est certes un spécialiste de la construction de récits, mais de récits pour autrui, pas personnels. Pourquoi le chef de cabinet se situe-t-il maintenant comme le protagoniste de cette histoire ?
Le sujet central de notre époque, c’est l’identité. La littérature, aussi bien que les séries et le cinéma, se centrent sur l’éternelle question : qui suis-je ? qui sommes-nous ? Et, bien souvent, ils n’ont pas une réponse unique. Les nouveautés éditoriales débordent d’auto-fictions, le genre littéraire à la mode. Cette première personne narrative raconte des expériences, des anecdotes et des situations où la mémoire et les faits perdent de l’importance au profit du récit. Cela vous rappelle quelque chose ? Emmanuel Carrère, Karl Ove Krausgaard (1), Delphine de Vigan (2), Javier Cercas (3), ou Alicia Kopf (4) sont des auteurs qui, à partir de styles très divers, racontent un moi qui est une énigme pour les lecteurs, mais aussi pour les auteurs, qui considèrent l’écriture comme un processus de recherche.
Dans les séries, il y a toute une longue tradition concernant la voix d’un personnage comique qui joue son propre rôle dans des situations humoristiques, non dénuées de réflexion sur l’identité et la présentation du moi. Depuis le pionnier, Woody Allen, en passant par Seinfeld, Larry David, Louie, ou Berto Romero (5). Au cinéma, le mystère de l’identité génère des tensions dramatiques dans la recherche, comme dans les romans policiers, du coupable. Qui était Keyser Söze (6) ? Le diable en personne, quelqu’un capable de manipuler, voler et assassiner sans laisser de traces de son existence, ou une légende, une invention comme le loup-garou ? « La meilleure ruse forgée par le diable fut de convaincre le monde qu’il n’existait pas et ainsi… disparaître », disait l’infirme (ou pas) Kevin Spacey des Usual Suspects.
Il y a deux thèmes universels qui parlent de l’identité : l’un, c’est le mythe universel du double, avec Jekyll et Hyde, si exploité dans les doubles identités secrètes des super-héros, ces deux côtés d’une même monnaie qui sont complètement opposés (souvenons-nous du Superman héroïque opposé à l’anodin Clark Kent) ; l’autre, c’est l’amnésie, la recherche de la véritable identité d’Œdipe. Jason Bourne évinça James Bond lorsqu’il élimina tout ce que nous attendions du prototype d’espion que nous reconnaissions dans le premier. Bourne était un espion amnésique qui ne savait pas qu’il était un espion, et qui devait découvrir qui il était. L’identité est un moteur narratif, un dispositif qui crée une tension dramatique qui génère un authentique intérêt chez le spectateur.
Mais qui est Iván Redondo ? Comme s’il était possible de répondre à cette question. Iván Redondo est-il le responsable des nouvelles élections ? Ou est-ce Iván Redondo qui a tissé dans l’ombre le pacte des embrassades ? Dans cette dernière identité narrative, Redondo a laissé le PSOE dans le noir pendant 24 heures, du lundi au mardi, depuis 14 heures jusqu’à la signature solennelle du pré-accord. Cette dernière narration veut nous dire que c’était la vieille garde du PSOE (là encore, concordance entre le rôle et l’acteur) qui faisait pression pour un gouvernement avec Ciudadanos, convainquant Pedro Sánchez de l’opportunité de nouvelles élections.
Qui est Iván Redondo ? Le premier ou le second ? Celui qui a écrit qu’on ne pouvait pas dormir la nuit avec Pablo Iglesias et des ministres de Podemos au gouvernement, ou celui qui a écrit qu’un gouvernement franchement progressiste était un projet porteur d’espoir ? Iván Redondo est-il, en plus d’un auteur de récits, un écrivain d’auto-fictions ? Iván Redondo est-il le créateur des deux récits, dans une expérience de dédoublement d’identité schizophrénique à la façon de Jekyll et Hyde ? Ou peut-être Redondo est-il un Œdipe amnésique qui a oublié le premier récit ? Peut-être Redondo est-il les deux ou aucun. Pendant que nous nous demandons qui est Iván Redondo, nous ne nous demandons pas qui est en réalité Pedro Sánchez.
NdlT
(1) Grima « Langue de Serpent » : type du Conseiller flatteur et perfide dans Le Seigneur des Anneaux.
(2) Karl Ove Krausgaard : auteur norvégien d’un cycle de romans autobiographiques.
(3) Delphine de Vigan : auteur, entre autres, de D’après une histoire vraie , qui »brouille les frontières entre fiction et réalité ».
(4) Javier Cercas : dans L’Imposteur, il met en scène un personnage réel, qui s’était construit une histoire fictive de déporté à Matthausen.
(5) Alicia Kopf : auteur catalan de Frère de glace, livre sur son frère autiste.
(6) Berto Romero : humoriste catalano-espagnol, qui met en scène dans ses spectacles son propre personnage.
(7) Keyser Söze : personnage du film Usual Suspects, comme Verbal Kint, joué par Kevin Spacey.