Haine de classe, racisme et coup d’État : la Bolivie face à son destin
Oscar Soto 17/11/2019 |
Les deux composantes du rejet de la révolution bolivienne s’appellent haine de classe et racisme, qui expriment des formes antagonistes de politique et de religion.
Tradotto da Fausto Giudice
Quand Eduardo Galeano a représenté graphiquement la colonisation d’une manière simple -pas pour autant simpliste-, il a dit : « Ils sont venus. Ils avaient la Bible et nous avions la terre. Et ils nous dirent : “Fermez les yeux et priez. Et quand nous avons rouvert les yeux, ils avaient la terre et nous avions la Bible ». C’est dans la constellation de la domination sur les autochtones et de la dépossession latino-américaine que s’énoncent la politique et la religion. La politique comme instrument de coercition et la religion comme forme de domestication. Il n’est pas très difficile de faire le bilan de cet exercice politico-religieux : les peuples autochtones réduits au silence (il est plus juste de dire massacrés) et les visions du monde foulées aux pieds.
Enfin, après d’innombrables tentatives, un coup d’État obscène et pervers contre l’une des révolutions culturelles et sociopolitiques les plus vertueuses de l’histoire récente du capitalisme périphérique prend forme ces jours-ci. L’audace du MAS (Mouvement vers le socialisme), en tant qu’émergence politique de la résistance paysanne et autochtone en Bolivie, est beaucoup plus importante que ne peuvent l’indiquer nos registres “démocratiques” : le processus d’irruption populaire en Bolivie exprime un défi à l’exercice politique des classes dominantes, d’une part, et la reconnaissance des spiritualités jusqu’alors sous hégémonie [blanche et chrétienne], d’autre part.
Les raisons du coup d’État
Comme le montre son originalité combative, le gouvernement d’Evo consolide un bloc de pouvoir subordonné dans l’exercice des fonctions étatiques. La nationalisation des hydrocarbures et la convocation d’une assemblée constituante, ou la fin des affaires qui représentaient une saignée économique historique pour la Bolivie et la souveraineté énergétique et politique sur les ressources propres du territoire andin, expliquent les motifs de l’entreprise fasciste en cours. Ce n’est pas pour rien que Luis Fernando Camacho et sa famille (qui fait partie de l’oligarchie monopolistique bolivienne, affectée par les mesures d’Evo qui ont consacré l’accès au gaz et aux services énergétiques comme un droit social géré par l’État) mènent ce processus de déstabilisation.
Une autre des causes de ce moment fondateur de l’épicentre raciste et de classe en Bolivie, se réfère à une vieille querelle : le christianisme occidental dominant, en tant qu’aliment religieux de l’empire, ne perd pas en productivité quand il s’agit de construire l’hégémonie. L’irruption d’un militant indien dans le gouvernement d’un pays qui est passé du statut de pays le plus pauvre de Notre Amérique à celui de pays avec les meilleurs résultats économiques et sociaux (dans un contexte régional qui est une misère), a impliqué que la religion ankylosée de l’empire cesse d’être officielle et que la mystique de la pachamama traverse aussi les palais officiels de Bolivie. La question d’Evo au pouvoir est aussi une question ancestrale qui met en jeu une mathématique de 500 ans.
Les deux composantes du rejet de la révolution bolivienne s’appellent haine de classe et racisme. Tous deux expriment des formes antagonistes de politique et de religion.
Le classisme de ces secteurs patronaux interprète au mieux le livret de Trump et est encouragé par les Bolsonaro et Macri de la région, dans une Bolivie riche en lithium et en ressources naturelles. Et le racisme historique anti-indigène, qui a fondé une partie des territoires latino-américains en niant et brûlant les couleurs infinies du sentier aborigène (ce n’est pas pour rien qu’aujourd’hui on brûle la whipala comme un geste de revanche).
Walter Benjamin disait que « même les morts ne seront pas à l’abri de l’ennemi s’il gagne… et c’est cet ennemi qui n’a pas cessé de gagner ». Ce qui attend les pauvres de Bolivie, Evo Morales, Álvaro García Linera, les organisations paysannes, les syndicats et les mouvements sociaux, ce n’est pas de voir les vieux ennemis de Notre Amérique vaincus, mais de réarmer patiemment cette espérance immémoriale qui chemine en Amérique latine.