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Adriana Guzmán, féministe aymara bolivienne : « Ils veulent nous voir exploitées sur leurs terres et comme domestiques dans leurs maisons, c’est pourquoi ce coup d’Etat se doit d’être raciste »

Héctor Bernardo 24/11/2019
Afin d’analyser les caractéristiques du coup d’État en Bolivie, Contexto s’est entretenu avec Adriana Guzmán, membre du mouvement féministe anti-patriarcal communautaire en Bolivie. « Ils ont fait ce coup d’État pour reprendre le pouvoir colonial sur nos corps », dit-elle et remarquer : « Le fascisme vient pour tuer et il vient beaucoup plus vite que nous ne pouvons le calculer ».

Tradotto da Fausto Giudice
Guzmán a analysé les caractéristiques du coup d’Etat, a expliqué quels secteurs sont réellement derrière la “présidente” autoproclamée, Jeanine Áñez, et a assuré que la résistance des peuples originels « ne se termine pas avec l’Evo, cette lutte est pour la défense de notre dignité face à un coup d’Etat raciste et fasciste ».
En tant que mouvement féministe anti-patriarcal bolivien, comment affrontez-vous la question de la résistance au coup d’État ?
En tant que groupe féministe, nous nous conformons aux confédérations mères telles que la Confédération des paysans et la Fédération des conseils de quartier. De là, nous menons nos luttes et c’est pourquoi nous sommes dans la rue, parce que nous ne concevons pas un féminisme qui soit en l’air et loin des organisations.
La répression s’est-elle durcie ?
Après l’arrivée au pouvoir de Jeanine Áñez, il y a eu beaucoup de répression. Nous avons appris que les temps du fascisme sont très rapides ; la stratégie politique n’est pas à la hauteur pour y répondre. Le calcul, cette politique si masculine qui consiste à essayer de bien s’en sortir avec les uns et avec les autres, ne suffit pas face au fascisme. Le fascisme vient pour tuer et vient beaucoup plus vite qu’on ne peut le calculer.
Après son entrée en fonction le 12 novembre, Jeanine Áñez a envoyé les forces armées réprimer avec plus de violence et le lendemain, elle nomme un nouveau commandant des Forces armées (formé sous la dictature militaire) et un nouveau commandant de la police. Cela conduit à la restructuration de ces deux forces qui, bien qu’elles aient accompagné le coup d’État, étaient dispersées, parce qu’il n’y avait pas une seule position au sein des Forces armées.
Aujourd’hui, l’armée et la police répriment brutalement. Jusqu’à présent, plus de vingt personnes sont mortes à la suite de la répression.
Le gouvernement de facto et bon nombre de ses alliés nationaux et internationaux tentent de dire qu’il n’y a pas eu de coup d’État en Bolivie.
Il est indéniable qu’il y a un coup d’État fasciste en Bolivie. Un coup d’État qui, outre le secteur militaire, est dirigé par des groupes civiques, des hommes d’affaires, l’oligarchie et des propriétaires terriens. Un coup d’État qui, de plus, est raciste.
Quelle a été la stratégie de lutte du peuple pour résister à ce coup d’Etat ?
L’une des stratégies fondamentales pour exercer une pression a toujours été l’encerclement des villes et le blocage des routes. Dans ce cas, la ville de La Paz, où siège le gouvernement, est assiégée. Les effets de ce siège se font déjà ressentir : sur le marché, il n’y a pas de nourriture, pas de viande, pas de poulet, pas d’œufs, pas de pommes de terre, etc. Par exemple, aujourd’hui, un poulet coûte trois fois plus qu’il y a quinze jours. Cette stratégie de pression fonctionne.
Face à cela, le ministre de l’Intérieur, de concert avec le ministre de l’Économie, a décidé d’amener des avions Hercules avec de la viande, du pioulet et des œufs de la zone orientale, d’où ils viennent, parce qu’en plus tout le Cabinet est de l’Est et provient de ce groupe civique. Ils l’ont fait pour essayer de briser cette stratégie de lutte, mais la viande qu’ils apportent en avions de l’Est est tellement chère qu’elle n’est accessible qu’aux gens qui ont beaucoup d’argent.
Comment les organisations sociales ont-elles réagi à cela ?
Les organisations continuent d’être mobilisées. Nous nous inscrivons dans la stratégie de lutte que la Confédération des conseils de quartier a décidée samedi : blocus, barrages routiers, demande de démission de Jeanine Áñez (qui est actuellement la sénatrice à la tête du coup d’État), démission du haut commandement militaire, démission du haut commandement de la police et retour des jeunes dans leurs foyers, car ce sont les jeunes en service militaire que l’on oblige à sortir tirer, et nous ne voulons pas que nos enfants nous tirent dessus.
Quelle est la situation actuelle ?
Le dimanche 17 novembre, on a vu deux mondes: d’un côté, celui mobilisé dans le centre de La Paz, qui est militarisé, avec plus de cinquante camarades détenus arbitrairement, sans droits, sans l’assistance d’avocats, violant tous leurs droits, sans même pouvoir aller aux toilettes. D’un autre côté, le gouvernement essaie de faire croire aux gens qu’il ne se passe rien ici, d’amener les gens à aller au marché, en disant que « les familles aillent au parc ».
Samedi 16, on a appris que la présidente autoproclamée a signé un décret qui permet aux Forces armées de réprimer sans avoir à répondre de leurs actes devant la Justice.
Oui, le décret signé samedi stipule que la police et l’armée ne seront pas jugées si elles tirent sur les gens qui protestent. Le ministre de l’Int2rieur de facto, Arturo Murillo, a tenté de justifier cette décision et de la minimiser, mais la réalité est qu’il s’agit d’une carte blanche pour qu’ils puissent tuer en toute impunité.
Jeanine Áñez est le visage visible du coup d’État, mais qui est derrière ?
Le chef de ce coup d’Etat est Fernando Camacho, le président du Comité Civique de Santa Cruz et qui représente le groupe qui a le pouvoir politique dans ce pays : les patrons, les propriétaires terriens, les producteurs de soja et les secteurs qui ont des actions dans les entreprises transnationales. Ils ont su utiliser le pouvoir fondamentaliste de l’Église, des évangéliques, etc.
Comme aucun autre coup d’État qui a eu lieu dans la région au cours des dernières décennies, ce coup d’État comporte une composante raciste très importante. Pourquoi en est-il ainsi ?
À cause de ce qu’est la Bolivie. Parce que 63% de la population est autochtone et parce qu’au cours de ces treize années, nous avons connu des transformations très importantes, non seulement à cause des politiques de l’État, mais aussi parce que nous avons décidé d’arrêter de baisser la tête, de cesser de nous regarder avec honte, de cesser de nous appeler “señoritas” et de nous rebaptiser Aymaras. C’est de cela qu’ils veulent sortir. C’est la partie raciste, parce qu’ils veulent nous voir exploitées sur leurs terres et comme domestiques dans leurs maisons, c’est pourquoi ce coup d’État se doit d’être raciste. Ils ont mené ce coup d’État pour récupérer le pouvoir colonial sur nos corps. Ils veulent que nous baissions à nouveau la tête, que nous élevions leurs enfants et que nous soyons leurs servantes.
Plus la violence est profonde, plus l’indignation et la résistance s’intensifient. Contrairement à ce qu’ils pensaient (qu’ils allaient nous fatiguer), beaucoup plus d’organisations viennent à La Paz. Cela ne s’arrête pas avec Evo, cette lutte est pour la défense de notre dignité face à un coup d’État raciste et fasciste.
Nous devons maintenant continuer à briser l’encerclement médiatique. La ministre de la Communication du gouvernement de facto, Roxana Lizárraga, a publié une résolution afin que les journalistes qui dénoncent le coup d’État puissent être poursuivis pour sédition. Les putschistes sont intervenus dans les médias, ils ont détruit les radios communautaires, à la télévision nationale au lieu de rapporter la répression, ils ont diffusé un programme spécial sur Camilo Sesto, le chanteur espagnol. Nous avons besoin que ce barrage médiatique soit brisé pour que tout le monde puisse voir la répression brutale du coup d’État raciste et fasciste qui sévit actuellement en Bolivie.