La “mère juive” de Sissi : des manifestations éparses égratignent la poigne de fer du maréchal-président égyptien
Zvi Bar’el 02/10/2019 |
Il semble peu probable que l’Egypte soit bientôt le théâtre de manifestations comme celles de janvier 2011. Mais les conditions sont toujours plus semblables à celles qui prévalaient à la fin du règne de Moubarak.
Tradotto da Fausto Giudice
« N’avez-vous pas peur pour votre armée ? N’êtes-vous pas inquiets de voir à quel point les officiers subalternes seront choqués lorsque les gens diront que leurs commandants ne sont pas de bonnes personnes ? Vous ne connaissez-pas pas l’armée ? L’armée est une institution fermée, elle est très, très, très sensible à toute conduite inappropriée, surtout à l’égard des commandants » Par ces mots, le président égyptien Abdel-Fatah al-Sissi a réprimandé (en arabe égyptien) tous ceux qui ont pris part aux manifestations mouvementées du week-end dernier.
Le président a déclaré que ses conseillers et officiers supérieurs l’avaient supplié de ne pas répondre publiquement aux accusations de corruption lancées contre lui par l’acteur et entrepreneur Mohamed Ali dans une série de vidéos sur YouTube et Twitter. « Mais je leur ai dit que le public et moi avons une confiance totale l’un dans l’autre… Il est impensable que quelqu’un puisse venir et dire aux gens : ” La personne en qui vous croyez est malhonnête ” – C’est la chose la plus dangereuse au monde, surtout quand on on le dit du commandement militaire », a dit Sissi.
La foi à laquelle Sissi a fait référence n’a pas été brisée samedi dernier lorsque des milliers de personnes sont descendues dans les rues du Caire, d’Alexandrie, de Suez et d’autres villes, demandant l’éviction du président. Elle a commencé à se briser peu après l’arrivée au pouvoir du président en juillet 2013 et a commencé à mettre en œuvre une politique musclée contre ses rivaux politiques. Ses actions n’étaient pas dirigées uniquement contre les Frères musulmans, bien qu’il ait déposé Mohammed Morsi et qualifié le groupe d’organisation terroriste.
Des flopées d’universitaires, de journalistes, de militants politiques, d’organisations de défense des droits de l’homme, de satiristes, d’artistes et d’étudiants ont été arrêtés ou poursuivis en justice, certains sous prétexte de porter atteinte à la sécurité nationale, d’autres pour atteinte à l’honneur du président ou à la réputation du pays.
Beaucoup de ces personnes ont “disparu” pendant plusieurs jours, leurs proches n’ayant aucune idée de l’endroit où elles se trouvaient ni de leur sort. On les a empêchées de consulter un avocat ou de communiquer avec leur famille.
La plupart d’entre eux ne sont pas connus du grand public, puisque seuls quelques cas parviennent à toucher les médias et à susciter l’intérêt, mais chaque vague d’arrestations amène son propre héros ou héroïne. Mahinour al-Masry, avocate des droits de l’homme âgée de 33 ans, a été arrêtée alors qu’elle quittait un tribunal du Caire après y avoir assisté des détenus.
Masry a un long passé de confrontation avec les autorités. Elle était active contre les régimes Moubarak et Morsi, et maintenant celui de Sissi. Sous chacun, elle a été emprisonnée pour de courtes périodes et a payé de lourdes amendes, mais aucune des mesures prises contre elle ne l’a arrêtée.
Elle a continué d’aider les détenus, notamment en payant leur caution de sa poche, en utilisant l’héritage qu’elle a reçu après le décès de son riche père. Ses amis disent qu’en tant que membre du mouvement des Socialistes révolutionnaires, elle se sentait coupable de la richesse de son père, d’où sa générosité.
Parmi les autres personnes arrêtées cette fois-ci figuraient des hommes politiques et des auteurs connus uniquement en Égypte. Eelles ont été nommément citées, mais généralement uniquement par des organisations de défense des droits de l’homme, qui s’efforcent de maintenir des listes à jour. Toutefois, leur capacité à aider les détenus est limitée.
À la suite des manifestations du week-end dernier, ces organisations n’ont pas été en mesure de dire exactement combien de personnes avaient été arrêtées. L’une d’elles a signalé 220 arrestations, une autre 274. Et sur les médias sociaux, le chiffre de 500 était courant.
Ce qui est clair, c’est que de telles manifestations ont été rares jusqu’à présent sous Sissi. Par conséquent, elles ont déjà soulevé des spéculations sur la stabilité de son régime et sa capacité à rester au pouvoir.
Néanmoins, il y a une différence importante entre Sissi et l’ancien président Hosni Moubarak. Les relations de ce dernier avec l’armée ont connu des hauts et des bas, et il avait des relations tendues avec son ministre de la Défense et chef d’état-major de l’armée, Mohamed Tantawi. Ces tensions ont atteint leur paroxysme lorsque l’armée s’est rangée du côté des manifestants lors du soulèvement contre lui en 2011.
Sissi, en revanche, entretient des relations étroites avec l’armée et son ministre de la Défense, le général Mohamed Zaki. Zaki commandait la force qui a arrêté Morsi au palais présidentiel. Il a également témoigné que c’était Morsi qui avait ordonné à l’armée d’ouvrir le feu sur les manifestants.
Mais récemment, il y aurait eu des clashes entre Sissi et Zaki. Cela pourrait conduire à l’éviction de ce dernier en tant que ministre de la Défense, dans le cadre d’un remaniement ministériel plus vaste que Sissi prépare. Les vidéos publiées par Mohamed Ali sur la corruption profonde dans l’armée peuvent également contribuer à un remaniement du commandement militaire.
Selon certains rapports, le chef du renseignement Abbas Kamel – qui est connu en Israël comme la personne qui gère les contacts du président avec le Hamas et le Djihad islamique – aurait remué la marmite militaire et politique. Il tenterait de persuader Sissi d’évincer le Premier ministre Mostafa Madbouly en raison des échecs de ce dernier en matière de gestion, qui ont fait échouer les plans de réforme et de développement de Sissi.
Des sources égyptiennes ont dit à Haaretz que les récentes manifestations avaient mis Sissi dans une situation très embarrassante, à la fois parce qu’elles ont poussé à une guerre contre la corruption dans l’armée et parce qu’elles l’ont décrit comme ignorant de ce qui se passe dans l’armée. Par conséquent, même s’il est considéré comme le défenseur de l’armée et qu’il a donné au ministère de la Défense l’immunité contre les critiques parlementaires, il sera forcé d’apporter des changements profonds parmi les hauts gradés de l’armée pour démontrer son contrôle et apaiser la colère publique.
Ce ne serait pas la première fois que Sissi montre à l’armée qui est le patron. En juin, il a renvoyé l’ancien ministre de la Défense et chef de l’armée, le général Sedki Sobhy, qui avait également pris part à l’éviction de Morsi. Sobhy a été licencié parce que Sissi craignait qu’il n’accumule trop de pouvoir dans l’armée et qu’il pourrait travailler contre lui – surtout après avoir découvert que Sobhy s’opposait au projet présidentiel de modifier la Constitution pour qu’il puisse rester en fonction après la fin de ses deux mandats consécutifs.
Selon la constitution, le président ne peut pas renvoyer le chef d’état-major sans l’approbation du Conseil militaire suprême. Mais Sissi a facilement obtenu le consentement du conseil, et il n’y a pas eu d’opposition à l’éviction de Sobhy.
Pour l’instant, de telles mesures pourraient bien garantir que l’armée continue à soutenir le président, principalement pour protéger ses propres intérêts. L’armée est devenue le maître d’œuvre des projets du gouvernement, qui lui sont attribués dans le cadre d’un processus sans appel d’offres. En outre, ses bénéfices sont exonérés d’impôt.
Sissi n’a pas non plus de craintes sur le front politique, puisque la plupart des parlementaires appartiennent au parti au pouvoir ou ont rejoint sa coalition gouvernementale, généralement contre espèces sonnantes et trébuchantes ou sous pression. En règle générale, ce parlement est muet et adopte toutes les lois proposées par le président.
Cette semaine, à la suite des manifestations, le président de la commission de l’industrie du parlement a proposé que quiconque porte préjudice à l’Égypte, à son peuple ou à son président soit puni de perte de citoyenneté et d’emprisonnement à vie. Cette proposition, qui rappelle les idées farfelues qui ont circulé à la Knesset israélienne, a également été soutenue par Suzy Nashed, membre de la Commission des affaires législatives et constitutionnelles du Parlement
« Quiconque porte atteinte au pays ou au statut du président ne peut être considéré comme un membre de cette nation, a-t-elle dit. Ces gens ne seront certainement pas excités à l’idée de perdre leur citoyenneté » – probablement parce qu’ils sont de toute façon déloyaux – « mais nous ne devons pas leur permettre de garder leur citoyenneté. »
Évidemment, le slogan « pas de citoyenneté sans loyauté » est un autre dénominateur commun entre Israël et l’Égypte. Dans les deux cas, la loyauté envers le chef du pouvoir exécutif est considérée comme une loyauté envers le pays.
Cette position parlementaire vise à définir les rivaux du président comme des ennemis du peuple qui doivent être vaincus par tous les moyens.
Mais face à ces propositions folles, les rivaux de Sissi ont répondu avec une performance non moins étonnante. Cette semaine, deux documents prétendument authentiques circulaient sur les médias sociaux. Tous les deux disaient que la mère de Sissi était une Juive marocaine nomée Malika Titani. Et selon le moulin à rumeurs des médias sociaux, c’est la raison de ses liens étroits avec Israël.
L’ancien Premier ministre Shimon Peres – accusé en son temps par la rumeur israélienne de droite d’avoir une mère arabe – sourit sans aucun doute dans sa tombe. Il n’est plus le seul embarrassé par une mère originaire d’une nation ennemie.
Ce qui est intéressant, c’est que le gouvernement marocain a officiellement démenti l’ »information » et nié l’authenticité des documents. Mais cela n’a plus d’importance ; les rumeurs sont devenues des faits.
Le caractère divertissant des conflits verbaux qui opposent le président et ses associés à ses adversaires ne peut dissimuler l’existence d’une bulle susceptible d’atteindre le point d’ébullition. Il est vrai que l’Égypte a obtenu des bonnes notes de la Banque mondiale et des institutions financières internationales pour les réformes économiques de Sissi, la réduction de l’inflation et une forte réduction des subventions gouvernementales. Les prévisions de croissance sont positives et même le chômage a diminué.
Néanmoins, ces réformes ont eu un coût élevé pour les gens ordinaires. Selon la Banque centrale d’Égypte, environ 33 % des Égyptiens vivent en dessous du seuil de pauvreté et plus de 6 % vivent dans une extrême pauvreté. De plus, une partie importante de la classe moyenne a été poussée vers le bas dans la classe inférieure.
Les recettes fiscales ont augmenté à la suite des réformes et de l’imposition d’une taxe sur la valeur ajoutée. Mais plus de 80 pour cent de ces recettes sont affectés au paiement de la dette et de ses intérêts. Les investissements étrangers ont chuté cette année par rapport à l’année dernière, et ce n’est que dans le secteur du tourisme que l’Égypte peut se vanter d’avoir obtenu des résultats significatifs.
Le président n’a qu’une seule réponse aux citoyens frustrés et à ses critiques politiques : « Soyez patients. Il est impossible de réparer les échecs des gouvernements précédents en un jour. » Mais lorsque des clips vidéo sur la corruption parmi les officiers supérieurs de l’armée sont publiés par quelqu’un qui faisait partie du système de corruption militaire, et lorsque le président construit lui-même des maisons de luxe et un palais présidentiel, il met à l’épreuve la patience de l’opinion d’une manière dangereuse.
Vendredi, les manifestations contre la corruption au Caire devaient reprendre. Le gouvernement s’est préparé en inondant les rues de policiers et en rappelant aux gens que la loi interdit les manifestations. Deux précautions valant mieux qu’une, il a perturbé les communications sur Internet et continue de faire arrêter des militants.
Il semble peu probable que l’Egypte soit bientôt le théâtre de manifestations comme celles de janvier 2011. Mais les conditions sont toujours plus semblables à celles qui prévalaient à la fin du règne de Moubarak.