Insécurité, police et droits humains au Venezuela Interview de Pablo Fernández, Secrétaire exécutif du Conseil Général de Police
Romain Migus 05/10/2019 |
Depuis quelques heures, les médias qui se veulent dominants (pour combien de temps encore ?) nous bombardent avec un nouveau chiffre de destruction massive : “18.000”.
Ce serait le nombre d’exécutions extrajudiciaires auxquelles se seraient livrées les forces de sécurité vénézuéliennes ces trois dernières années. De quoi rendre parfaitement ridicules les 725 exécutions extrajudiciaires bien réelles de militants et militantes populaires de ces deux dernières années dans la Colombie voisine. L’interview que nous publions ci-dessous vient à point nommé pour déconstruire cette nouvelle fable.-Tlaxcala
J’ai encore en mémoire les yeux de cette personne à qui j’annonçais que je partais au Venezuela. On pouvait deviner, dans la triste stupéfaction de ses iris, qu’elle préparait déjà les premiers mots de mon oraison funèbre. Sans pouvoir donner une consistance matérielle à ces délires imaginaires, elle avait associé le pays de ma destination à une vision post-apocalyptique où l’absence de loi est reine. Une sorte de Mad Max caribéen, d’où j’aurais certainement de la peine à revenir, n’étant pas Mel Gibson.
Durant des années, le système médiatique a dénoncé sans relâche l’insécurité au Venezuela. Dès lors que le gouvernement s’est attelé -tardivement- à apporter un ensemble de solutions, les accusations se sont soudainement transformés en “violations des droits de l’Homme”.
La campagne médiatique actuelle, qui ne se base que sur les dires d’ONGs financées par les Etats-Unis, a un but précis: désarmer l’Etat vénézuélien. En premier lieu, il s’agit de le désarmer économiquement, c’est le rôle du blocus criminel qui étouffe le pays. Ensuite, désarmer l’Etat-nation, au sens de morceler le territoire vénézuélien, afin de faire passer les zones stratégiques sous contrôle paramilitaire ou sous celui des structures criminelles. Or, cet objectif ne peut se réaliser que si l’Etat vénézuélien ne dispose plus de capacité de défense de son territoire. C’est le sens de cette campagne contre la police. Il faut désormais désarmer l’Etat, c’est à dire réduire à néant la possibilité d’affronter le crime organisé, et le paramilitarisme colombien. Afin de saisir le rôle de la pègre dans la guerre actuelle contre l’Etat vénézuélien, nous renvoyons à notre série d’articles “Comprendre la guerre qui vient“.
Curieusement, aucun média ni aucune ONG ne cherche à comprendre l’évolution de la violence et de la délinquance au Venezuela. Dès l’année 2006, l’Etat vénézuélien a refondé son modèle policier en adéquation avec la Constitution et la vision progressiste de la Révolution bolivarienne. Cette aventure, Pablo Fernandez l’a vécu dés le début. Activiste historique des droits de l’Homme au Venezuela, Pablo a été associé dés le début à la construction de toutes les nouvelles structures de la police vénézuélienne. Il a participé aux travaux de la Commission Nationale de la Réforme de la Police, a été co-fondateur de l’Université Expérimentale de la Sécurité, et s’est chargé de la Commission Nationale de Contrôle des armes et de Désarmement. Il est aujourd’hui Secrétaire exécutif du Conseil Général de la Police, l’organe de planification et de suivi des politiques publiques en matière de sécurité.
Pablo Fernández nous reçoit dans son bureau situé dans les étages du ministère de l’intérieur.
Derrière lui, une bibliothèque abrite une grande partie des publications qui constituent désormais la force institutionnelle de la nouvelle police vénézuélienne : des dizaines de manuels colorés, des guides, des codes, des procédures, des protocoles d’action, des lois. La mémoire de ce que l’Etat a produit pour faire table rase d’un vieux modèle policier inopérant et construire celui du futur ; en total respect des droits de l’Homme, quoi qu’en disent les médias.
Sur un étage d’un meuble en formica, trônent des bustes de Simon Bolivar et de Hugo Chávez au milieu de casquettes de tous les corps de police du Venezuela. Devant lui, sur un bureau extrêmement ordonné, sont posés d’autres textes de lois à coté de la Constitution de la République Bolivarienne du Venezuela, qui, bien sûr, ne pouvait manquer à l’appel. Pablo éteint son portable, sort un stylo de sa chemise en jean et le range dans un tiroir. Il relève la tête, son regard transperce ses lunettes pour me regarder fixement. «Pour comprendre notre modèle de police actuel, il faut remonter à l’époque de Bolivar», me lance-t-il. J’essaie de ne rien laisser transparaitre mais je comprends tout de suite que l’interview -ainsi que sa transcription, puis sa traduction- risque d’être longue. A ce moment précis, je ne sais pas encore que je ne pourrais pas couper de passages ultérieurement tant notre échange sera captivant.
Comme lorsque nous avions interviewé le directeur de l’agence antidrogues du Venezuela, un autre marronnier des attaques contre la Révolution bolivarienne, les médias internationaux qui accusent le Venezuela d’être un Etat voyou ne se bousculent pas au portillon de la déontologie journaliste. Seuls deux sont venus recueillir le son de cloche du Conseil Général de la Police : la chaine iranienne HispanTV et la chaine latino-américaine Telesur. Un exemple parmi d’autres de la définition de l’honnêteté dans les médias dominants, qui aujourd’hui accusent le gouvernement vénézuélien de massacrer sa propre population.
Romain Migus : Qu’est-ce que le Conseil Général de Police ?
Pablo Fernández : Le Conseil Général de Police est l’instance stratégique d’articulation participative pour la définition de politiques en matière de sécurité. Il est présidé par le ministre des Relations intérieurs, de la Justice et de la Paix. Il est composé d’un représentant des gouverneurs, des maires, du parquet, et du bureau du défenseur des droits. Le thème des droits de l’Homme est permanent dans cette instance stratégique qui définit les politiques de la police. En plus de ces délégués, le ministre peut incorporer d’autres personnes au Conseil. Actuellement, nous avons aussi des représentants de la Cour Suprême, des juristes, des avocats, le doyen de l’Université Expérimentale de la Sécurité, tous les vice-ministres qui sont liés au thème du maintien de l’ordre, le directeur de la Police Nationale Bolivarienne et celui du Corps d’Investigations Scientifiques, Pénales, et Criminalistiques [CICPC par ses sigles en espagnol, l’équivalent français de la Direction Nationale de la Police Judiciaire,NDT]. Sont aussi intégrés au Conseil Général de Police, une représentation des policiers. Le Conseil a un Secrétaire Exécutif, qui donne les orientations stratégiques et dont l’équipe assure le suivi des politiques décidé au sein du Conseil. Ce secrétaire exécutif, en ce moment, c’est moi : Pablo Fernández.
Mais qui est donc Pablo Fernández? Quelle a été ta trajectoire professionnelle?
Pablo Fernández : C’est une question très importante. Elle permet de savoir qui parle et de quel point de vue. Je suis argentin de naissance, j’ai grandi sous la dictature. Je suis arrivé pour la première fois au Venezuela, dans le cadre de mes études, en 1989, à quelques jours du Caracazo (1). Ça a été mon « baptême » en ce qui concerne la connaissance de la réalité vénézuélienne. Je suis revenu en Argentine pour finir mes études. Au bout de quelques années, j’ai fini par retourner au Venezuela en 1994, où j’ai finalement obtenu la nationalité. J’ai travaillé comme professeur et j’ai milité durant 20 ans au sein d’une organisation de défense des droits de l’Homme : la Red de Apoyo por la Justicia y la Paz.
En 1998, durant la campagne électorale pour les élections présidentielles, les organisations vénézuéliennes des droits de l’Homme ont demandé aux candidats de les recevoir afin de leur soumettre des propositions dans ce domaine. Des quatre candidats, le seul qui nous a reçu a été Hugo Chávez. Nous nous sommes réuni avec lui et il s’est compromis à maintenir cette relation. Plusieurs mois plus tard, lorsque Chávez gagnera les élections, il convoquera une Assemblée Nationale Constituante. 95% des recommandations que nous avions faites lors de nos réunions ont été inscrites dans la nouvelle Constitution. Le Comandante Chávez avait tenu parole.
Chávez commence à transformer les institutions du pays à partir de la Constitution de 1999, et donc il a touché le domaine de la sécurité. En 2006, le Comandante installe une Commission Nationale pour la Réforme de la Police (Conarepol) et il a invité à participer les activistes de défense des droits de l’Homme qui avions accompagné les victimes de l’ancien modèle policier. Evidemment, nous avons accepté. Cette commission avait trois grandes dimensions qui ont marqué la construction de toute la politique publique en matière de sécurité citoyenne après 2006. En premier lieu, nous avons élaboré les politiques publiques en écoutant les gens. La Conarepol a lancé une grande consultation nationale sur le modèle policier que nous avions jusqu’à présent, et sur le modèle que nous voulions. Nous avons écouté tous les secteurs de la société, sans exceptions. Et nous avons récolté beaucoup de propositions. Deuxièmement, nous avons veillé à donner une base scientifique à la construction des politiques publiques. Nous avons étudié la problématique policière. Nous avons caractérisé les éléments de la criminalité et de la violence au Venezuela. Nous nous sommes nourris de diverses expériences internationales qui fonctionnaient. En dernier lieu, nous avons commencé à générer les bases légales et institutionnelles nécessaires à la transformation du modèle policier.
Quelles ont été les premières mesures dans la construction du nouveau modèle de police ?