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Néo-patrimonialisme et corruption dans l’Autorité palestinienne : les voies d’une réforme

Marwa Fatafta 5/Janvier/2019
Les Palestiniens ont récemment placé la corruption au deuxième rang des problèmes auxquels ils sont confrontés, après la crise économique et alors que l’occupation israélienne est classée au troisième rang.

En effet, les Palestiniens considèrent généralement les responsables de l’Autorité palestinienne [AP] comme un groupe élitiste intéressé, déconnecté de la lutte nationale palestinienne et des souffrances quotidiennes du peuple. De telles perceptions sont favorisées par l’échec des accords d’Oslo, la mort du projet d’État palestinien et la division persistante des dirigeants politiques dans le contexte de l’occupation oppressive imposée par Israël et de ses violations des droits fondamentaux des Palestiniens.
Malgré ce mécontentement, peu de changements se sont produits au cours des deux dernières décennies, que ce soit au plus haut niveau de la direction ou dans les rangs des institutions de l’Autorité palestinienne. Ce qui reste une constante, c’est la « vieille garde » qui conserve le contrôle du pouvoir, la corruption généralisée et systémique et le maintien à l’écart des Palestiniens de toute participation aux décisions qui affectent leur vie et leur avenir.
La réalité actuelle de l’Autorité palestinienne ne ressemble en rien au genre de gouvernement palestinien promis depuis les années enthousiastes des accords d’Oslo. Comme le faisait remarquer Nathan Brown, « La Palestine est, en bref, une démocratie libérale modèle. Son défaut le plus important est qu’elle n’existe pas ». Cet écart entre le modèle démocratique envisagé et la réalité peut être expliqué par la nature néo-patrimoniale du système politique palestinien. Le néo-patrimonialisme est un modèle hybride dans lequel les structures, les lois et les règlements de l’État sont formellement en place, mais remplacés par des politiques informelles et des réseaux de clientélisme, de parenté et de tribalisme. Le régime puise alors sa source dans des liens de loyauté avec ceux qui se trouvent au sommet de la hiérarchie politique.
Dans un contexte institutionnel dans lequel les Palestiniens ne disposent d’aucun mécanisme pour demander des comptes à leurs dirigeants, le néo-patrimonialisme palestinien a créé une situation imperméable à tout changement de dirigeants ou de systèmes politiques. Bien que l’Autorité palestinienne, après le début de la deuxième Intifada, ait commencé à faire des tentatives de réforme, les structures politiques palestiniennes sont restées corrompues et la propriété d’une faction politique, le Fatah. Les avoirs et les ressources de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) et de l’Autorité palestinienne ont été totalement consacrés au service des intérêts de quelques-uns au détriment de la majorité.
La question de ce qui peut être fait pour remédier à cette crise ne peut être résolue sans comprendre la nature de la corruption politique palestinienne et en quoi cela a conduit à l’incapacité de servir le peuple palestinien et a rendu toute tentative de réforme inutile. Cette note politique examine le néo-patrimonialisme palestinien et la corruption en prenant en compte les pouvoirs excessifs de l’AP, les pratiques de favoritisme, la collusion avec Israël, ainsi que les pressions de la communauté internationale. Il propose en définitive des pistes pour une véritable réforme, dans le but de mettre en place une direction véritablement démocratique et un système de gouvernance qui représente tout le peuple palestinien.
L’AP: outrepasser son mandat
Une législature et une magistrature affaiblies
Les deux principales instances politiques palestiniennes, l’OLP et l’Autorité palestinienne, devraient en principe être démocratiques et représentatives, comme le prévoient la Loi fondamentale palestinienne et la constitution de l’OLP. Cependant, l’OLP a non seulement échoué dans la mission qui est la sienne et tel que spécifié dans son nom, mais elle n’a pas non plus agi en tant que « représentant unique et légitime du peuple palestinien ». La faiblesse de l’OLP peut être constatée dans le fait que son bras législatif, le Conseil national palestinien (PNC), ait été convoqué en mai 2018 après 22 ans d’inaction. Cette longue absence, durant laquelle le « processus de paix » d’Oslo a été un échec total, montre comment les dirigeants palestiniens ont empêché l’OLP de s’acquitter de son devoir de représentante des Palestiniens à l’intérieur et à l’extérieur des territoires occupés.
L’Autorité palestinienne, en revanche, a outrepassé son rôle de gouvernement intérimaire, comme le stipulent les Accords d’Oslo, et est devenue de plus en plus une force de gouvernement autoritaire en Cisjordanie. Le Hamas a emboîté le pas en réprimant la dissidence politique dans la bande de Gaza.
Le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, jouit d’un pouvoir presque absolu en tant que pouvoir exécutif suprême – un arrangement hérité de l’ancien président Yasser Arafat, souvent crédité de l’institutionnalisation du régime néo-patrimonial. Au cours de sa présidence, Arafat a maintenu le pouvoir par la cooptation et la répression politiques.
Depuis la fermeture en 2007 du bras législatif de l’Autorité palestinienne, le Conseil législatif palestinien (CLP), Abbas a consolidé plus de pouvoir en assumant les rôles à la fois du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif, en légiférant par le biais de décrets présidentiels manquants souvent de transparence et d’une consultation appropriée du public.
Parmi les décrets législatifs les plus récents d’Abbas figure la loi palestinienne sur la cybercriminalité de 2017. Cette loi, bien qu’elle ait été modifiée à la suite d’un tollé général, permet aux autorités de bloquer des sites Web et de surveiller les utilisateurs de médias sociaux. Les Palestiniens peuvent être arrêtés pour avoir exprimé leurs idées et leurs opinions politiques en ligne, et accusés de « cybercriminalité », ce qui est punissable d’une peine pouvant aller jusqu’à 15 ans de prison.
La prise de pouvoir de l’exécutif s’étend également au pouvoir judiciaire. En avril 2017, des juges, des avocats et des procureurs palestiniens se sont réunis à Ramallah pour protester contre un projet d’amendement accordant au président palestinien le pouvoir de nommer le président du Conseil supérieur de la magistrature et le président d’un comité de surveillance des juges. L’amendement permettrait également aux juges de prendre une retraite anticipée, ce qui permettrait à l’exécutif de s’ingérer et de menacer l’indépendance des juges. En vertu d’une telle disposition, les juges devraient réfléchir à deux fois avant de rendre une décision qui conteste ou s’oppose au pouvoir exécutif. Dans un exemple de pression renforcée de la part de l’exécutif, l’ancien juge en chef de la Cour suprême, Sami Sarsour, a signé une lettre de démission non datée peu de temps avant qu’il ne soit assermenté.
L’incapacité constante de parvenir à un accord de réconciliation entre le Hamas et le Fatah, malgré l’annonce d’un gouvernement d’union nationale début 2017, en dit long sur le monopole du Fatah au pouvoir et sur la marginalisation d’autres acteurs politiques palestiniens et de leurs électeurs. Le partage du pouvoir est une condition préalable à la mise en place d’un gouvernement d’union nationale solide et nécessite des changements fondamentaux dans la configuration politique actuelle.
Patronage et loyauté
En raison du contrôle du Fatah sur l’Autorité palestinienne et l’OLP, les machines administratives et politiques palestiniennes fonctionnent selon le principe de la dynamique inclusion/exclusion/récompense/punition – fondamentalement, selon la loyauté. Les nominations à des postes publics et les promotions, par exemple, sont attribuées ou retirées non pas sur la base de la performance ou du mérite professionnel mais selon le niveau de loyauté envers les dirigeants.
Par exemple, les titulaires de postes de direction dans l’Autorité palestinienne ont toujours été nommés. Les descriptions de poste ne sont pas affichées publiquement et il n’existe pas non plus de critères clairement établis pour déterminer les échelons dans les postes, les salaires, les promotions, les avantages et les primes. Selon la Coalition pour la responsabilité et l’intégrité (AMAN), les salaires et les primes des responsables d’institutions non ministérielles sont supérieurs à ceux du président de l’Autorité palestinienne, dont le revenu mensuel est fixé par la loi à 10 000 dollars. La nomination de prisonniers palestiniens libérés dans les cadres de la force de travail civile à titre de compensation pour leur contribution au mouvement de libération palestinien est un autre exemple de la nature informelle des postes occupés dans l’Autorité palestinienne.
De même, en 2017, le président Abbas a forcé 6145 employés de l’Autorité palestinienne à Gaza à prendre une retraite anticipée pour faire pression sur le Hamas afin qu’il cède le contrôle de la bande de Gaza. Le nombre d’employés de l’Autorité palestinienne à Gaza – civils et de sécurité – est estimé à environ 50 000. Malgré la prise de contrôle du Hamas à Gaza, leurs salaires continuent d’être versés – même si c’est à un taux inférieur – pour assurer leur fidélité à l’Autorité palestinienne. Dans le même temps, Abbas utilise les ressources du gouvernement pour pratiquer l’exclusion politique et les punitions collectives. Un exemple particulièrement abominable de cela est la réduction des paiements de l’Autorité palestinienne à Israël pour l’électricité à Gaza, ce qui a réduit à quatre heures par jour l’approvisionnement en électricité des deux millions d’habitants de la bande sous blocus.
Opérations secrètes
Les dysfonctionnements du CLP et du CNP, deux organes législatifs sans pouvoir, ont conduit l’exécutif à monopoliser des négociations et à signer des accords secrets. Les Accords d’Oslo sont un excellent exemple de la manière dont l’exécutif de l’OLP a monopolisé les négociations avec Israël et pris des décisions au nom du peuple palestinien qui se sont révélées désastreuses. De la même façon, l’exécutif de l’AP a ignoré à de nombreuses reprises les décisions du CLP qui exigeaient que les dirigeants mettent immédiatement fin aux négociations avec Israël en réponse à l’oppression continue du peuple palestinien et à l’expansion des colonies illégales en Cisjordanie.
La signature clandestine par l’Autorité palestinienne d’accords avec Israël sur des questions liées à l’énergie, à l’électricité, à l’eau et aux communications montre jusqu’à quel point la direction est prête à faire fi des processus officiels et de la consultation de la population. Ces accords ont des implications politiques, économiques, sociales et environnementales catastrophiques. Un accord relatif à l’électricité signé entre Israël et le secteur privé palestinien en septembre 2016 a réglé la dette impayée de 550 millions de dollars de l’Autorité palestinienne envers l’Israel Electric Corporation dans le but de transférer la responsabilité de la fourniture d’électricité en Cisjordanie à l’AP.
L’AP, qui a célébré l’accord comme étant une victoire nationale et un pas vers la libération, a maintenu la confidentialité de l’accord malgré les exigences de la population de rendre ses conditions publiques. La société civile palestinienne, les médias et les compagnies d’électricité voulaient savoir : Comment le pouvoir de distribution de l’électricité sera-t-il transféré à l’Autorité palestinienne ? Comment sera-t-elle réglementée ? Quelles sont les implications ? Tout citoyen palestinien, en tant que bénéficiaire de services, devrait avoir le droit d’être informé d’un tel accord. En l’absence d’une transparence élémentaire, les Palestiniens se voient refuser le droit d’accéder à des informations qui ont une incidence sur leur vie quotidienne et sur les services de base qui leur sont fournis par leur gouvernement. Cela entrave également leur droit de demander des comptes à l’AP.
L’accord Mer Rouge-Mer Morte, signé par l’AP, la Jordanie et Israël, a également été conclu en secret. Des experts palestiniens de l’eau et de l’environnement ont protesté, avertissant que l’accord causerait des dommages environnementaux irréversibles s’il était appliqué, car il détruira le peu qui reste de l’écosystème de la Mer Morte. Les Palestiniens ont également contesté le pacte parce qu’il renforcera le déni par Israël du droit des Palestiniens à l’eau, car l’accord mine la souveraineté palestinienne sur la Cisjordanie et une partie du bassin du Jourdain. L’Autorité palestinienne, représentée par la Palestinian Water Authority (Régie palestinienne de l’eau), a exclu les experts palestiniens des consultations et les a ignorés lorsqu’ils ont mis en doute les raisons qui ont motivé la signature d’un tel accord qui n’apporte rien aux Palestiniens – et leur cause même des dommages.
Ce manque de transparence et de responsabilisation s’est traduit par le détournement, l’utilisation abusive et le gaspillage de fonds publics. Par exemple, M. Abbas a fait construire un palais présidentiel sur une parcelle de terrain de 4700 mètres carrés (et a utilisé 4000 mètres carrés supplémentaires pour des bâtiments auxiliaires, y compris un héliport) pour accueillir des invités et des délégations étrangères. L’an dernier, il a décidé de convertir l’édifice en bibliothèque nationale, pour un coût de 17,5 millions de dollars. Bien qu’une bibliothèque nationale soit une idée noble, l’investissement dans une infrastructure onéreuse par un gouvernement fortement endetté et dépendant de l’aide étrangère témoigne de priorités mal placées.
Pressions et partenariats internationaux
La dépendance de l’AP à l’égard de l’aide internationale a également déstabilisé le système politique palestinien car c’est aux donateurs internationaux qu’elle doit rendre des comptes plutôt qu’au peuple palestinien. Le programme de réformes de l’AP et ses efforts pour combattre la corruption résultent principalement des pressions des États-Unis et de l’Union Européenne depuis le début de la Deuxième Intifada, lorsque la situation sécuritaire sur le terrain s’est détériorée. La raison qui a motivé ce programme est claire : favoriser la sécurité au détriment des réformes administratives et ainsi garantir la sécurité d’Israël aux dépends de la sécurité et des libertés politiques et civiles élémentaires des Palestiniens. 
Cela s’est traduit par la priorité donnée à la sécurité dans la part du budget de l’AP qui lui a été attribuée, à savoir 28% du budget annuel, aux dépends d’autres secteurs plus vitaux comme la santé, l’éducation, et l’agriculture.
Dans sa critique du modèle d’aide d’Oslo – modèle qui s’inspire de la politique néolibérale d’investissement dans la paix – Alaa Tartir soutient que le programme de développement tributaire des donateurs a détérioré la situation politique et économique des Palestiniens. L’agriculture, par exemple, – pilier clé et perdu de l’économie palestinienne – n’a reçu que 1% du budget annuel de l’AP entre 2001 et 2005, alors que 85% sont allés aux salaires du personnel. Par conséquent, la contribution du secteur agricole au PIB est passée de 13,3% en 1994 à 5,9% en 2011.
Les Palestiniens ont lancé des campagnes populaires et des grèves syndicales, pour de meilleurs services de santé et d’éducation, dont une grève massive d’enseignants, une campagne contre la pénurie de médicaments menée par une coalition d’organisations de la société civile palestinienne, une campagne contre les coupures d’électricité à Gaza, et une campagne incitant l’AP à régler la question du manque de soins. L’AP répond rarement à ces revendications de la population et ces dernières sont rarement prises en compte dans ses planifications budgétaires et ses politiques publiques. Comme l’a dit un membre du mouvement pour la Sécurité Sociale Nationale, « Le gouvernement n’est pas à l’écoute de nos préoccupations. » La loi qui oblige les employés du secteur privé à payer 7% de leur salaire mensuel et les employeurs 9% des salaires pour financer la couverture de la sécurité sociale, a provoqué une vague de colère chez les Palestiniens qui ont protesté principalement contre les retenues mensuelles élevées ainsi que contre l’absence de garantie de protection de leur argent dans un contexte d’instabilité politique et économique.
En février 2017, l’AP a adopté un nouveau programme, le National Policy Agenda : Citizen First 2017-2022 (Programme de politique nationale : Le citoyen d’abord 2017-2022) qui vise à donner la priorité au citoyen palestinien dans les politiques du gouvernement et à promouvoir la responsabilisation et la transparence dans la gestion des fonds et des affaires publiques. Il s’agit d’une réforme financière et administrative soutenue par les EU et l’UE, qui a débuté sous le mandat de l’ancien Premier ministre Salam Fayyad ; le programme indique qu’il s’agit d’une deuxième phase, après la précédente, qui consistait à bâtir les institutions publiques et à renforcer leurs capacités. Il proclame qu’il est maintenant temps « d’améliorer la qualité de vie de nos citoyens en fournissant des services publics de qualité, en favorisant la création d’emplois dans le secteur privé et en protégeant les personnes vulnérables ». 
Le nouveau programme de l’AP ne reconnaît pas que la période de construction de l’état de M. Fayyad n‘a pas abouti au statut d’état, et encore moins à la démocratie. La communauté donatrice internationale a salué M. Fayyad comme le messie de la bonne gouvernance palestinienne car son cabinet s’est efforcé de créer un état palestinien de fait sous l’occupation israélienne et dans un contexte de division politique majeur entre les deux plus importantes factions politiques palestiniennes. Les réformes entreprises par M. Fayyad se sont limitées à des paramètres techniques et administratifs pour garantir que quel soit le remaniement entrepris par le cabinet, il ne fasse pas chavirer le navire.
La reconfiguration en 2003 de la position du premier ministre lui-même sous la pression des EU et de l’UE pour desserrer l’emprise de l’exécutif aux mains de Yasser Arafat est un autre exemple de la futilité de ces réformes structurelles dans un tel contexte. Le rôle, les décisions et politiques du premier ministre doivent être en phase avec le Fatah et le président, vu que le premier ministre applique les décisions du président et n’a pas de statut politique propre. Lorsque M. Fayyad est entré en fonction en 2007 et a entamé son plan de réformes, il est devenu la cible de hauts responsables du Fatah qui ont continuellement attribué les maux de l’AP et les effets de la crise économique à ses politiques. Le fort soutien financier et politique de la communauté internationale à M. Fayyad a également constitué une menace pour M. Abbas, qui n’a pas défendu son premier ministre contre les attaques de son parti et a remis en cause son autorité en invalidant certaines de ses décisions.
C’est aussi la communauté internationale qui dicte, par le biais du soutien politique et financier, quelles personnalités politiques palestiniennes exerceront le pouvoir. Ce fut le cas lorsque les EU ont tenté de casser la décision de démissionner de M. Fayyad, et lorsqu’ils annulent des subsides pour étouffer une autorité indésirable, même issue d’élections justes et légitimes, comme ce fut le cas quand le Hamas a remporté la majorité des sièges aux législatives de 2006.
Toute réforme supplémentaire subordonnée à l’approbation internationale ne réglera pas la crise de légitimité de la direction, pas plus qu’elle ne mènera à la renaissance indispensable d’un mouvement national palestinien uni qui puisse satisfaire les aspirations du peuple palestinien. Ce type de réformes ne fait que renforcer la même dynamique néo-patrimoniale, qui sous-tend la corruption systémique au sein de l’Autorité Palestinienne en faisant office de sparadrap en lieu et place d’une solution qui s’attaque aux racines de la corruption.
Fondamentalement, tout effort de l’AP pour mettre fin à l’occupation et parvenir à l’indépendance – objectif souvent déclaré dans bon nombre de ces programmes de réforme – se traduit souvent par le fait que l’AP continue d’outrepasser le rôle de l’OLP. Ce faisant, il continue de marginaliser, voire d’ignorer totalement la voix des millions de Palestiniens de la diaspora qui ont un enjeu direct dans la ligne de conduite de l’exécutif de l’AP vis-à-vis de l’occupation israélienne et du « processus de paix. »
Sortir du bourbier
Si les Palestiniens veulent vraiment une direction démocratique, représentative et transparente, ils doivent mettre fin à cette farce de réformes et reconstruire un système démocratique et représentatif à partir de la base. Les Palestiniens, en particulier les jeunes qui vivent dans les territoires occupés, en Israël, et dans la diaspora, ont un rôle important à jouer dans la mobilisation et l’amorce d’un dialogue national pour débattre et bâtir une nouvelle vision commune en vue d’une future direction palestinienne démocratique. C’est une tâche qui nécessite des efforts considérables vu les défis existants. Toutefois, la poursuite du statu quo n’offre qu’un avenir sombre.
Pour s’assurer qu’un nouveau modèle, quelle que soit la forme qu’il prenne, ne recycle pas la même dynamique néo-patrimoniale, trois éléments fondamentaux doivent être pris en compte :
1. Décentralisation et séparation des pouvoirs
Pour briser le monopole d’un groupe ou d’un parti, il faut un écosystème politique sain de contre-pouvoirs. Les limites de l’OLP comme organisation faîtière représentant tous les Palestiniens soulève la question de savoir si une telle infrastructure d’autorité centrale est capable de représenter les Palestiniens partout. Tout modèle de gouvernance palestinienne doit être suffisamment souple pour mener des entités politiques palestiniennes vivant dans des juridictions administratives, juridiques et géographiques différentes, en Cisjordanie, à Gaza, Jérusalem-Est, en Israël, ou dans la diaspora, et y être réceptif. L’expérience de l’AP jusqu’à présent laisse à penser qu’une autorité centrale, telle qu’elle existe ne peut remplir un tel rôle.
La décentralisation du pouvoir, en émancipant les représentants de la base et des communautés locales, est essentielle pour briser le monopole du pouvoir existant. Le type de direction et d’organisation existant pendant la première Intifada, bien qu’appartenant à un contexte politique et social différent, offre un exemple de ce à quoi peut ressembler une direction collective.
2. Responsabilisation horizontale et verticale
La corruption et l’abus de pouvoir prospèrent quand on ne peut demander de comptes à ceux qui sont au pouvoir. Tout nouveau modèle de gouvernance sera vulnérable à la confiscation du pouvoir si les mécanismes parallèles de contrôle suivants ne sont pas mis en place :
Premièrement : Une ligne verticale de responsabilisation qui permette au peuple palestinien d’interroger leurs dirigeants et de participer au processus de prise de décision. Ceci ne se limite pas aux élections nationales ou locales mais peut s’appliquer aux comités et audiences publics populaires, aux conseils parallèles, à la protection rigoureuse de la liberté d’expression et des médias, et à la participation active de la société civile palestinienne au contrôle non seulement des institutions gouvernementales palestiniennes mais également du secteur privé et des prestataires de services.
Deuxièmement : Une responsabilisation horizontale – grâce par exemple à un parlement indépendant, des organismes d’audit indépendants, et ainsi de suite – est importante pour enquêter sur les actes répréhensibles de fonctionnaires et y mettre fin. 
Bien que le système actuel dispose officiellement dans une certaine mesure de ces institutions, le néo-patrimonialisme du système politique palestinien rend ces mécanismes internes de responsabilisation inutiles. C’est pourquoi le partage du pouvoir, la décentralisation et l’inspection du public sont des premières étapes importantes pour faire en sorte qu’aucune autorité palestinienne ne puisse abuser de son pouvoir.
3. Fin de l’impunité
Pour rétablir la confiance de l’opinion publique palestinienne en sa direction, il faut mettre un terme à l’impunité des personnes corrompues. Malgré les déclarations et diverses tentatives de la commission anti-corruption d’enquêter sur les fonctionnaires corrompus et de les poursuivre en justice, les fonctionnaires et personnages politiques palestiniens ne risquent guère d’avoir à subir de graves conséquences pour leurs actes. L’impunité des éléments corrompus fait hésiter les personnes témoins ou victimes de corruption à la signaler parce qu’elles ne voient aucun intérêt à le faire ou de changement susceptible de résulter d’une telle démarche.
Il existe des permanences téléphoniques et des centres juridiques en Cisjordanie et à Gaza où les Palestiniens peuvent signaler des cas de corruption d’une manière sure et confidentielle, comme celui qui est géré par l’organisation anti-corruption palestinienne, AMAN. Cependant, encourager les Palestiniens à signaler des cas de corruption suppose qu’il y ait de solides lois anti-corruption et un système judiciaire indépendant capable de demander des comptes aux personnes corrompues quel que soit leur statut social, politique ou financier.
Pour en finir avec la corruption et garantir la responsabilisation dans le contexte palestinien, un remaniement politique et institutionnel complet, plutôt que des réformes légales et politiques limitées et fragmentées est nécessaire. Les schémas récurrents de la monopolisation du pouvoir par le Fatah, de la corruption systémique, et de la politique informelle, en plus de la stagnation politique actuelle montrent qu’il est plus que temps pour les Palestiniens de bâtir de nouvelles institutions qui soient plus démocratiques et plus représentatives de leurs droits et besoins.
* Marwa Fatafta est écrivain, chercheur et analyste politique palestinienne basée à Berlin. Elle est actuellement conseillère régionale MENA pour le secrétariat de Transparency International. Ses travaux portent sur les questions de gouvernance, de corruption, de responsabilité et d’espace de la société civile dans le monde arabe. 
20 décembre 2018 – Al-Shabaka – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah & MJB