À qui le tour ? Des milliers de Palestiniens risquent l’expulsion après la démolition de Khan al-Ahmar
Zena al-Tahhan 13/Décembre/2018 |
Selon l’ONU, plus de 8 000 habitants palestiniens de la Cisjordanie pourraient voir leur foyer être rasé par les autorités israéliennes.
RAMALLAH, Cisjordanie occupée – Le village bédouin de Khan al-Ahmar ne ressemble guère plus qu’à un amas de cabanes de fortune en tôle et de tentes, niché sur une colline de Cisjordanie à l’est de Jérusalem.
Mais depuis un an, ses habitants palestiniens luttent contre les autorités israéliennes à la fois devant les tribunaux et sur le terrain pour empêcher sa démolition.
Au moment de la rédaction du présent article, le cabinet de sécurité a décidé de reporter la démolition de tout le village – et l’expulsion forcée de ses quelque 200 habitants – jusqu’à nouvel ordre, bien que le Premier ministre Benyamin Netanyahou ait promis qu’elle aurait lieu.
Le 19 novembre, Netanyahou, qui fait face à des pressions politiques en Israël, a déclaré lors d’un meeting du Likoud : « Khan al-Ahmar sera évacué très bientôt, je ne vous dirai pas quand. Nous nous y préparons. »
Si le village est menacé depuis 2009, cela fait seulement un peu plus d’un an que le gouvernement a renouvelé son souhait de le démolir.
Les plans pour Khan al-Ahmar ne sont toutefois pas arbitraires : au moins 46 autres communautés palestiniennes d’agriculteurs et de bergers, qui abritent plus de 8 000 personnes, sont sérieusement menacées d’une démolition et d’un transfert forcé, selon les Nations Unies.
Une campagne de confiscation
Ces communautés se situent toutes dans la zone C, un territoire qui comprend près de 64 % de la Cisjordanie occupée sous le contrôle de l’armée israélienne, chargée de la planification et du zonage.
Définie dans le cadre de l’accord Oslo II conclu en 1995 entre Israël et l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), la région comprend la majorité des terres fertiles, des ressources en eau et des minéraux de la Cisjordanie.
Elle abrite également toutes les colonies exclusivement juives, illégales au regard du droit international, que le gouvernement israélien construit et finance depuis le début de l’occupation militaire de la Cisjordanie et de Jérusalem-Est en 1967.
Mais la zone C a également été le théâtre d’une campagne de confiscation de terres, de harcèlement et de transfert forcé lancée par les autorités israéliennes contre les communautés palestiniennes.
Selon Suhail Khalilieh, chef du département de surveillance des colonies de l’ARIJ, une ONG palestinienne basée à Bethléem, les communautés n’ont pas reçu d’ordonnance d’expulsion préalable à une démolition. Néanmoins, l’armée israélienne démolit régulièrement des structures essentielles à la subsistance des habitants des villages, tout en limitant drastiquement leur circulation.
« De temps en temps, dans la vallée du Jourdain, l’armée effectue des entraînements militaires et déplace temporairement les habitants pendant deux jours. C’est devenu une habitude », a-t-il indiqué à Middle East Eye.
Israël était censé transférer le contrôle de la région à l’Autorité palestinienne dans un intervalle de deux ans à partir de la signature des accords d’Oslo, avant 1997. Au lieu de cela, il a intensifié son occupation et, selon les détracteurs, compliqué tout processus de cession.
En effet, depuis la signature du premier des accords en 1993, la population israélienne en Cisjordanie occupée et à Jérusalem-Est a plus que doublé : elle se situe actuellement entre 600 000 et 750 000 habitants, selon l’ONU.
Quelles sont les zones ciblées ?
Les efforts de l’armée israélienne sont actuellement concentrés sur trois régions de la zone C : la région du gouvernorat de Jérusalem entourant la colonie de Maale Adumim en Cisjordanie et proche de Khan al-Ahmar, la partie du gouvernorat de Jéricho qui comprend la vallée du Jourdain et des sections du gouvernorat de Ramallah.
Bien que l’ONU n’ait pas classé les communautés des collines du sud d’Hébron dans une situation de danger imminent, les forces israéliennes ont également concentré leurs efforts sur cette région au cours des dernières années.
La majorité des habitants de ces villages sont des réfugiés qui ont été expulsés de leurs terres d’origine situées dans le désert du Néguev suite au nettoyage ethnique de la Palestine effectué par les milices sionistes en 1948.
Beaucoup sont des Bédouins, un peuple semi-nomade dont le retour n’a pas été autorisé. Au lieu de cela, ils sont aujourd’hui des réfugiés internes, concentrés dans des communautés autour de Jérusalem, Jéricho, Hébron et Bethléem.
Mais ils demeurent sous la menace constante d’un nouveau déplacement en raison de l’occupation israélienne de Jérusalem-Est et de la Cisjordanie depuis 1967, du lancement de l’entreprise de colonisation et de la prise de contrôle par l’armée israélienne de vastes étendues de territoire transformées en zones militaires.
De même, l’armée israélienne restreint sévèrement l’expansion des communautés palestiniennes, refusant de les connecter aux réseaux d’alimentation en eau et en électricité ou de paver les routes menant aux villages. Lorsque les habitants construisent leurs propres panneaux solaires, installent leurs propres réservoirs d’eau et pavent leurs propres routes, l’armée israélienne les démolit.
Khalilieh pense que les autorités ciblent ces communautés car elles se trouvent dans des « zones à faible densité de population » et n’ont aucun pouvoir politique. « Israël les considère comme de vastes étendues de territoire dédiées non seulement à l’élargissement des colonies, mais aussi à une utilisation en tant que bases militaires et zones d’entraînement. »
De nombreuses communautés n’ont pas d’acte prouvant leur propriété de la terre, alors même qu’elles y vivent depuis des décennies, explique-t-il.
« Il est facile pour Israël de les cibler. Ils n’ont pratiquement aucune chance de gagner une quelconque bataille juridique. »
« La plupart de ces communautés dont Israël veut s’emparer se trouvent sur des terres publiques palestiniennes. Israël s’est vu comme l’héritier légitime de ces terres. »
Pas de papiers ? Pas de village
Selon les autorités israéliennes, tous les villages menacés de démolition ont été construits sans les permis nécessaires.
Le Coordinateur des activités gouvernementales dans les territoires (COGAT) a déclaré à MEE dans un communiqué qu’il agissait « conformément à son pouvoir de répression des activités illégales dans la zone C, sans distinction entre les populations ».
« Par conséquent, dans la mesure où la construction est réalisée sans permis ni réglementation en matière de planification, l’Administration civile exerce ses activités conformément à son pouvoir d’appliquer la primauté du droit en ce qui concerne toute construction illégale. »
Il est toutefois quasiment impossible pour les Palestiniens d’obtenir les papiers requis s’ils n’y sont pas autorisés : entre 2010 et 2014, l’armée israélienne, qui administre les affaires civiles dans la zone C, n’a approuvé qu’1,5 % des demandes présentées par des Palestiniens, rendant « illégale » et menaçant de démolition toute autre construction.
La démolition de ces communautés et le transfert forcé de leurs occupants sont nécessaires si l’État israélien entend maximiser ses colonies de peuplement, dont la plupart ont été entièrement ou partiellement construites sur des terres palestiniennes privées.
Dans le cadre de ce plan, les autorités espèrent également annexer le bloc de colonies cisjordanien majeur de Maale Adumim ainsi que les colonies environnantes à la ville de Jérusalem en vertu du projet de loi du « Grand Jérusalem ».
Cela ajouterait environ 150 000 colons israéliens à la population de Jérusalem et assurerait ainsi une majorité juive dans la ville, objectif déclaré publiquement par le gouvernement israélien.
Selon Khalilieh, l’évacuation des communautés palestiniennes qui entourent Jérusalem vise avant tout à « vider la région de sa population palestinienne avant d’annexer les blocs de colonies à la ville ».
« Cela fait partie de la guerre géographique et démographique. Il faut inclure autant de terres et d’Israéliens que possible à la ville de Jérusalem avec le moins de Palestiniens possible », a-t-il ajouté.
Néanmoins, en vertu du droit international, le déplacement forcé d’une population civile occupée, qu’il soit direct ou indirect, constitue un crime de guerre.
Selon Elizabeth Throssell, porte-parole du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, les conditions dans lesquelles ces communautés vivent risquent de ne leur laisser « d’autre choix que de partir ».
« Cet environnement […] comprend des violations des droits de l’homme telles que des expulsions forcées résultant principalement de démolitions dans le cadre d’un régime de planification illégal et discriminatoire, des pratiques d’intimidation et de harcèlement de la part des responsables gouvernementaux, des forces de sécurité et des colons, l’exposition à des entraînements militaires, la restriction de l’accès à des services essentiels et des obstacles opposés à l’aide humanitaire », a déclaré Throssell à MEE.
Les Palestiniens confrontés à un manque d’espace
L’Union des comités de travail agricole (UAWC) est une organisation à but non lucratif qui vient en aide aux éleveurs et aux agriculteurs palestiniens. Elle soutient également les communautés menacées d’expulsion en aidant les habitants à enregistrer leurs terres, en réhabilitant les terres, en construisant des infrastructures et en fournissant des services vétérinaires.
D’après Aghsan Barghouthi, attachée de presse de l’UAWC, les terres situées dans la zone C sont essentielles aux Palestiniens. « Il n’y a plus de place pour se développer dans les zones A et B », a déclaré Barghouti à MEE.
Un Palestinien se dispute avec des soldats israéliens au sujet du projet de démolition de Khan al-Ahmar (Reuters)
L’organisation a lancé une campagne visant à encourager les Palestiniens à « semer virtuellement » en ligne la graine de leur choix dans la zone C. L’UAWC fournira ensuite les graines aux agriculteurs et les plantera dans le monde réel avec l’aide de bénévoles.
Barghouthi a précisé que cette campagne était une réponse aux provocations de l’armée israélienne et des colons contre les habitants.
« Nous avons le droit de travailler ces terres, car ce sont des terres palestiniennes. Le temps a pardonné les accords d’Oslo – ils ne sont plus légaux –, mais Israël continue de contrôler nos terres. »
Elle a ajouté que les colons continuaient d’attaquer quotidiennement des agriculteurs et leurs terres, avec plus de 5 000 arbres détruits jusqu’à présent cette année.
« Notre devoir est de retourner sur cette terre. Si nous ne travaillons pas la terre de nos propres mains, les bulldozers de l’occupation nous écraseront avec nos champs. »
* Zena al-Tahhan est journaliste à Al Jazeera. Elle couvre principalement le monde arabe, avec une spécialisation sur les pays du Levant. Avant de rejoindre Al Jazeera, Zena était journaliste indépendante basée à Jérusalem. Suivez Zena Tahhan sur Twitter : @Zenatahhan
21 novembre 2018 – MEE – Traduction : Chronique de Palestine