Maroc : quand le peuple veut « perdre sa nationalité »
Reda Zaireg 25/09/2018 |
Donc, comme ça:
1- La marine marocaine tire sur une embarcation, tue une femme et blesse 3 autres personnes innocentes.
2- Essaie de « dissimuler le cadavre» en demandant aux médias de retirer l’info du décès.
Je crois que là, on a quand même atteint un certain seuil.
Je crois aussi que I’m almost done with Morocco. Je commence à comprendre pourquoi des gens de mon entourage envisagent de se barrer. Il n’y a plus rien à faire ici.
Mohammed VI ne branle rien. Il a raté toutes les occasions de se rattraper. Le pays prend de l’eau de tous les côtés, et il n’a d’yeux que pour […].
Il déléguait déjà aux sécuritaires. Là, un peu plus. Et à l’armée aussi dans l’avenir ? Enfin, « l’avenir », qu’est-ce que je dis… c’est déjà le cas aujourd’hui.
En face, les gens n’ont plus peur. S’ils jugent que tout ça ne va nulle part et qu’il n’y a qu’un seul moyen de changer les choses, ils vont le faire. D’ailleurs, il me semble que les gens sont en train de s’y résoudre, peu à peu…
Le Maroc traverse une crise profonde dont les énoncés, tels qu’ils sont formulés par la rue marocaine, empruntent aux registres politique et moral, civique et religieux, laissant entendre que la crise est totale et diffuse.
Le « cahier de doléances » de la rue marocaine questionne autant le processus démocratique que le peu de réalisations sociales, le fossé des inégalités, l’inefficience des institutions politiques, le rejet de l’approche répressive qui prévaut, l’inutilité du monarque, etc.
De plus en plus, « les choses sont nommées par leur nom ». En d’autres termes, les causes sont publicisées, les problèmes publics et politiques liés les uns aux autres, le binôme autoritarisme-faible développement est pointé du doigt.
Et la rhétorique officielle qui surprotège le roi du blâme et écarte sa part de responsabilité est éventée depuis assez longtemps déjà. Les gens le pointent directement du doigt : ils considèrent que sa responsabilité est directe.
Des changements assez inquiétants se sont déroulés récemment. A la répression du Hirak, l’absentéisme excessif, s’est ajouté […]. Mais comment peut-on s’afficher de la sorte, au moment où on est déjà décrédibilisé ?
Il était déjà décrédibilisé en tant que chef de l’État (pour sa gestion du pays), en tant que symbole de la nation (la monarchie ayant fait main basse sur les emblèmes et les symboles, cette appropriation a conduit à un désaveu en tandem de la monarchie et de « ses » symboles).
Et là, il l’est de plus en plus en tant que Commandeur des croyants pour la raison que l’on connait tous. Et là réside un danger : la critique (extrêmement virulente) du roi adopte désormais les registres moral, religieux : le roi est dépeint en entité morale négative.
Il y a un sentiment d’extériorité par rapport à l’Etat qui est de plus en plus fort. Dit rapidement, le projet Maroc ne suscite plus d’identification. Les injustices, elles, sont très largement relayées, créant une identification horizontale, très forte, entre les gens.
Il ne faut pas croire que l’ancrage historique ou l’ancienne…
Peut-être que cela n’a rien de fondé ni de rationnel, peut-être que c’est quelque chose d’irraisonné, ou d’instinctif, mais : J’ai l’impression qu’il y a quelque chose qui se passe là, en ce moment, au Maroc. Quelque chose qui est en train de naître.
Les retenues sont en train de céder les unes après les autres. Les murs, les peurs et les tabous sont déjà tombés. Il y a un mécontentement populaire, généralisé, jusqu’à peu souterrain (sauf épisodes protestataires) qui se dévoile au grand jour.
Il devient de plus en plus évident car de plus en plus publicisé. Il semble très partagé, traverses beaucoup de classes sociales, donc il prend. Les recettes classiques de Mohammed VI, elles, n’opèrent plus : limogeages, réformettes doublés de répression: c’est passé de mode.
La récente vague d’immigration clandestine vers l’Europe a été désavantageuse pour l’Etat. Quelque part, elle a réactualisé et libéré un désir de fuite, lié à un espoir d’une vie meilleure – que le Maroc est incapable de proposer en l’état.
A l’immobilité d’un pays, les migrants opposent et font jouer leur propre mobilité. Ils lui opposent aussi, tant qu’ils sont ici, cette image de pays meilleurs, quasi-idéalisés, baignant dans la félicité. Ces pays où ils veulent accoster.
Ce faisant, cette récente vague d’immigration clandestine a rappelé au bon souvenir des Marocain.e.s beaucoup de questions connexes: vous savez, qu’est-ce qu’on est ? Des Marocain.e.s, oui, mais qu’est-ce que cela veut dire ? Quels droits ? Quels devoirs doit assumer l’Etat ?
La question de la nationalité, de l’appartenance à un pays, etc. « Chaâb yourid isqat al-jinsiya » (« Le peuple veut perdre la nationalité »), scandaient des gens virés de leur logement à Casablanca, entre deux remontrances à Mohammed VI.
Donc en ouvrant un horizon de fuite, et en réactivant un rêve ou un idéal, cette vague a peut-être contribué à régénérer quelque chose…
Un gros mécontentement et des questionnements, maybe. Des comparaisons entre « nous » (Marocain.e.s) et « eux » (Européen. ne.s). Entre notre situation et la leur. Entre la vitalité (réelle ou supposée) prêtée à leurs pays, et la stagnation du nôtre, etc.
Les répertoires de la migration, de la nationalité, de l’appartenance à un pays, etc., semblent de plus en plus usités, même pour des manifestations très locales (celle de Casablanca par exemple).
Ces répertoires ont des champs connexes, qui s’imposent d’eux-mêmes comme des évidences : citoyenneté, allégeance à un pays, désir de fuite, de liberté, recherche d’un horizon meilleur, de perspectives, etc.
Leur usage dit un mal très profond : le problème n’est plus seulement perçu comme social, ou économique, ou politique. Le problème, c’est le pays, et surtout l’Etat. C’est une grosse montée en généralité que dit l’usage de ce répertoire de la migration et de la fuite.
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