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« Alimenter la survie » : des femmes revendiquent les soupes populaires sous la dictature chilienne

Dans le cadre du mois des “Mémoires des révoltes féministes”, diverses organisations ont décidé de ne pas concentrer les commémorations de septembre sur la douleur, la défaite et la mort, mais sur la célébration des résistances menées par des femmes pendant la dictature civilo-militaire.


Dans un geste fort, le Collectif des Femmes Survivantes, Toujours Résistantes et la Coordination Féministe 8 Mars ont décidé de nommer ce mois de septembre 2018 “Mémoires des révoltes féministes”. À cette fin, elles sont en train de développer une série d’activités qui valorisent la qualité de combattantes et de survivantes de toutes les femmes qui ont fait face à la dictature, et de rendre visible la violence sexuelle passée sous silence à laquelle celles-ci ont dû faire face.


“L’objectif est de sortir de cette mémoire de douleur, de défaite et de mort, de se concentrer sur la récupération des résistances à la dictature civilo-militaire chilienne”, explique Paola Arroyo Fernández, membre de la Coordinadora Feminista 8M.

Dans ce contexte, par exemple, avec les collectifs La Jauría, Cueca Sola, La Comuna et la Brigada de Propaganda Feminista, elles ont effectué une intervention devant le centre de détention et de torture Venda Sexy de la DINA* qui a fonctionné entre 1974 et 1975 dans la commune de Macul. « On nous a refusé de qualifier ces actes de crimes sexospécifiques », ont-elles dénoncé à cette occasion, réfléchissant profondément sur le “sens” de ces pratiques répressives à l’égard des femmes. « C’était un exercice de discipline qui cherchait à nous enfermer dans nos maisons, dans des espaces privés », ont-elles dit.

C’est une réalité à laquelle les organisations féministes d’aujourd’hui préfèrent faire face par la résistance et la survie, plutôt que par la victimisation. « Nous devons restaurer le courage de nos camarades qui, du fait de leurs désirs de liberté et de justice, ont subi la violence la plus bestiale de l’État patriarcal. Nous ne sommes pas des victimes, nous sommes des survivantes de cette violence “, ont-elles déclaré.

« Pas de double exploitation des femmes »

Et c’est précisément ce même esprit qui a autre une autre action revendicative puissante menée ce lundi 10 septembre sur la Place de la Constitution : une soupe populaire pour « honorer et remercier la lutte de tant de femmes qui ont résisté en alimentant la survie et le désir de se libérer, avec le peuple, de la dictature civilo-militaire ».

Dans un dialogue avec Polítika, Paola Arroyo, responsable de l’organisation de cette activité, explique que cette intervention vise à récupérer la soupe populaire comme un jalon historique. « Ce phénomène surgit non seulement dans la crise économique à partir de 1983, mais c’est un recours fréquent, c’est un fait pratique de résistance dans des contextes de précarité, de crise économique, de manque de travail, de mauvais salaires”, souligne-t-elle. Tout cela, ajoute-t-elle, dans une perspective féministe, qui met en avant le rôle de protagonistes des femmes dans les luttes de cette période et comprend ce travail comme un travail de résistance.


En ce sens, Arroyo soutient que la visibilité de l’importance des soupes populaires souligne également la nécessité d’un changement culturel, dans une perspective d’avenir féministe. « Les tâches de soins, les tâches domestiques, de reproduction de la vie, doivent être partagées par toutes les personnes qui composent la société : hommes, femmes, diversités, d’âges différents, etc. » En d’autres termes, « qu’il n’y ait plus de double exploitation des femmes », ajoute-t-elle.

Le but de l’intervention était aussi de rendre visible ce qui se passe à Quintero et à Puchuncaví** et de montrer la solidarité avec les femmes qui, dans cette zone de sacrifice, se sont organisées pour résister à la contamination qui affecte la population.


Photos : Londres 38

NdT

*DINA : Dirección de inteligencia nacional, Direction nationale du renseignement), police politique pendant la dictature d’Augusto Pinochet. Renommée en 1977 Central Nacional de Información (CNI).

** Quintero et Puchuncaví : communes de la province de Valparaiso qui ont été le théâtre d’une manifestation violemment réprimée par les carabiniers, le samedi 8 septembre, pour protester contre la pollution provoquée par les entreprises chimiques de la zone industrielle, qui ne respectent pas la législation sur le respect de l’environnement et de la santé des travailleurs, des habitants et des vacanciers qui fréquentent les plages de la baie de Valparaiso.