Faire une thèse en Afrique : « Pas d’autres moyens que la volonté d’y arriver »
Larissa
Kojoué, The Conversation, 8 juin 2018
L’économie
mondiale du savoir auquel l’Afrique devrait contribuer passe nécessairement par
le renforcement de la formation doctorale et le soutien à la recherche.
Le continent africain ne produirait qu’ 1 % de la recherche dans le monde. La cause : un environnement particulièrement difficile pour les jeunes chercheurs. Author provided |
Les
motivations varient d’un candidat à l’autre, d’un contexte à un autre.
Cependant,
une question demeure : concrètement, pourquoi et comment rédige-t-on une
thèse de doctorat en Afrique aujourd’hui ? Comment devient-on docteur·e en
sciences sociales à Yaoundé, à Ouagadougou, à Dakar, à Tunis ou à Maputo ?
[…]
Invisible
recherche
L’idée a
germé en 2012, au cours d’un séminaire consacré à la publication d’articles scientifiques
dans le cadre de l’Université
d’été organisée tous les deux ans par le Laboratoire d’études et de
recherche sur les dynamiques sociales et le développement local (LASDEL) à
Niamey.
Nous
avons été une poignée à être choquée par la remarquable absence d’outils de
publications scientifiques proches géographiquement de notre vécu quotidien, de
notre environnement institutionnel et de la complexité de nos réalités
sociales. Non pas qu’elles n’existent pas, mais elles sont invisibles.
Ainsi,
quel intérêt de publier dans la revue Politique africaine située entre Paris et
Bordeaux pour le chercheur africain étant donné que même si elle s’adresse à
des pairs, elle est d’abord et avant tout portée par la volonté d’éclairer des
réalités sociales liées à son environnement immédiat ?
L’étudiant
de première année à la faculté des arts de Niamey a-t-il accès à cette
revue ? Mais où sont les instruments de valorisation des savoirs produits
en Afrique par les Africains ? Cette question innocente a suscité une
tension relativement palpable dans les échanges qui ont suivi avec les
intervenants.
En effet,
pourquoi n’avaient-ils pas répertorié aussi des revues produites dans nos
différentes universités (cahiers de recherches, annales, etc.) ? Elles
n’étaient peut-être pas dignes d’intérêt ? Parce qu’inconstantes (c’est
vrai), pauvres éditorialement (c’est faux), faibles au plan de la rigueur
méthodologique (à discuter) et souvent taillés aux mesures d’un seul homme
recteur, doyen ou chef de département (à discuter aussi).
À
l’évidence, peu, sinon aucune revue (la preuve, il n’y en avait pas dans le top
10 de la liste des revues sur les études africaines présentée par
l’intervenant) n’avait les qualifications requises pour s’élever jusqu’aux
standards de qualité des revues éditées en terrains extra africains. […]
Combien
de jeunes chercheurs réussissent-ils à se faire publier à l’étranger ?
D’abord pourquoi attendre que la valorisation des connaissances produites
localement vienne d’ailleurs ?
Événément
Forum X–Afrique à l’École polytechnique, à Paris où de nombreux jeunes
chercheurs et entrepreneurs africains avaient rendez-vous. L’avenir est-il
toujours, forcément, ailleurs ? École
polytechnique -- J.Barande/Flickr, CC BY-SA
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Faire une
thèse en tant qu’Africain
Ce livre
n’est pas un gémissement, ni une complainte. Le but n’est pas non plus de faire
le procès de l’enseignement supérieur en Afrique. Les raisons de la crise sont
connues et des tentatives de réforme sont en cours – comme en témoignent les
différents plans de réforme, financés en majorité par des bailleurs étrangers
comme la Banque mondiale, des corporations américaines ou européennes.
De
nombreux plans de réforme ont été mis en œuvre depuis le début des
années 1990 pour s’arrimer au LMD, rentrer dans le cercle de
l’Assurance Qualité ou appuyer la mise en réseau des universités,
des organismes de recherche avec des institutions équivalentes dans les pays
plus développés.
Le but
est de parler de la thèse en train de se faire en Afrique et en tant
qu’Africain. Parce qu’il y a une spécificité, au-delà de ce que les doctorants
de tous horizons partagent.
Cette
spécificité est autant dans le regard que les autres portent sur nous
(chapitres 3 et 8) que le contexte même dans lequel prend forme le projet
doctoral (chapitres 10, 11 et 12). Dans un contexte scientifique international
marqué par la concurrence, la recherche (dont le doctorat est la porte d’entrée)
joue un rôle majeur dans la construction d’une expertise interne aux
problématiques contemporaines.
L’Afrique
produit moins de 1 % de la recherche au monde
Selon un
rapport récent publié par l’Union africaine sur les Perspectives de
l’éducation, l’Afrique
produit moins de 1 % de la quantité de recherches au monde.
C’est en
effet au niveau des programmes de doctorat que la plupart des universités
africaines sont les plus faibles.
Sous la
pression d’une forte demande de formation supérieure en sciences humaines et
sociales notamment, les personnels universitaires, en particulier dans les pays
francophones sont souvent mal qualifiés pour dispenser une formation de grande
qualité. Ces insuffisances sont renforcées par l’absence de moyens minimum pour
mener des recherches et participer ainsi à l’économie mondiale du savoir.
[…]
S’approprier
l’université
Legs de
la colonisation dans la majorité de nos pays, l’université souffre d’un
handicap majeur dans son rapport au monde : la difficile adéquation entre
concepts, théories et outils élaborés ailleurs (en Europe principalement, mais
aussi en Amérique du Nord) à la critique des réalités sociales de notre
environnement.
La
réflexion n’est pas nouvelle, elle est
présente depuis les luttes pour l’indépendance et touche autant les plans épistémologiques,
méthodologiques, empiriques et théoriques.
[…] Ce
livre participe ainsi d’une volonté de s’approprier l’université, de repenser
la pérennité et la pertinence de la recherche universitaire en Afrique à
travers l’acte créatif, itératif et réflexif que constitue l’écriture d’une
thèse.
Si cette
réflexion semble relativement marginale pour les chercheurs aujourd’hui, les
lignes de tension demeurent et sont multiples. « Coincés » entre
plusieurs systèmes, plusieurs logiques organisationnelles (chapitres 4, 5 et
13), une extraversion à la fois subie et entretenue (chapitre 1), entre deux
âges (mi-adulte, mi étudiant), entre deux mondes (mi enseignant mi étudiant,
chapitres 7 et 9) et entre plusieurs attentes (les nôtres et celles des autres,
chapitre 2), nous voulons dire ici nos doutes, nous voulons exprimer nos
incertitudes, nos tâtonnements, notre solitude, nos échecs, nos victoires, nos
rechutes, nos espoirs et nos victoires.
[…]
Quelques étudiants devant un bâtiment de l’université Marien Ngouabi à Brazzaville, Congo, 19 janvier 2017, durant un mouvement syndical « université morte ». VOA/Ngouela Ngoussou)/Wikimedia |
Très peu
de docteurs chez les enseignants
Jusqu’à
présent, les pourcentages de personnel enseignant titulaire d’un doctorat sont
très largement en deçà de 40 % surtout dans les pays francophones. À
Madagascar et en République Démocratique du Congo, seuls 17 % des personnels
enseignants à l’Université sont titulaires d’un doctorat. Au Rwanda, c’est
moins de 25 % (d’après un rapport de
2006 de l’Unesco).
La
situation est assez différente dans les pays d’Afrique australe où les
effectifs de docteurs ont triplé en une quinzaine d’années.
En
Afrique francophone, arabophone ou lusophone, ce sont les assistants et
maîtres-assistants qui constituent le plus gros effectif des enseignants
(chapitre 7).
Dans la
majorité des cas, il s’agit des candidats au doctorat. Concilier mission
d’enseignement à temps plein (parfois plus de 300 heures par année) et
recherche doctorale devient dès lors un enjeu considérable à gérer. Quand c’est
pratiquement le seul moyen de pouvoir financer sa thèse avec ses propres
moyens, on comprend que l’effectif de docteur·e·s demeure considérablement bas
par rapport aux autres contextes.
[…]
Un
encadrement difficile
Les maux
de la thèse, s’ils sont propres à tous les candidats au doctorat, sont ici
spécifiques aux contextes africains : difficile appropriation de
l’université, insuffisance de personnel qualifié et compétent, inexistence
d’écoles doctorales, manque d’infrastructures, etc.. Être un Sénégalais ou
Gabonais de 25 ans et décider de devenir un docteur en sciences sociales
demeure un véritable parcours du combattant.
[…]
Trouver un directeur de thèse était (ça l’est toujours) une source d’inquiétude
pour de nombreux candidats au doctorat (chapitre 4). Vu l’insuffisance de
professeurs de rang magistral il y a une vingtaine d’années, ceux qui voulaient
continuer en thèse ont été contraints de s’inscrire à l’étranger.
Ceux qui
sont restés doivent composer avec plusieurs aléas : « Je rencontrais
mon directeur parfois sur le parking, pour cinq minutes… » déclare Samia,
doctorante en science politique de l’Université de Jijel (Algérie).
« Il
n’avait pas le temps. Il était débordé. Trop de doctorants et aussi trop de
mépris. Il a fallu que je lui prouve de quoi j’étais capable […] C’est quand il
a vu que j’avais des connexions avec l’Université de Bordeaux par exemple qu’il
a commencé à me prendre au sérieux. On a eu une vraie discussion dans son
bureau trois ans après mon inscription en thèse. »
Le cas de
Samia n’est pas isolé. De nombreux candidats, surtout en Afrique francophone,
devaient attendre parfois plus d’une année après le dépôt de leur thèse (que
leur directeur n’avait jamais lu) avant que soit autorisée la soutenance (si
elle était bonne) :
« Quand
on m’a donné l’autorisation de soutenance, j’étais même déjà fatigué et j’avais
oublié une bonne partie de mes travaux. Je me consacrais uniquement aux cours
vu que j’étais assistant. Chez moi, il y a des gens qui sont restés assistants
toute leur vie. Je ne sais pas si c’est parce qu’ils n’avaient pu finir leur
thèse ou bien si c’était délibéré. De toutes les manières, il y avait beaucoup
d’abandon et j’avais même déjà abandonné. »
Ces
propos d’Emmanuel de la Faculté de sociologie de l’Université de Cotonou au
Bénin reflètent bien la situation qui a prévalu pendant longtemps dans la
majorité des universités d’Afrique francophone.
En dépit
de toutes ces conditions éprouvantes connues et vécues, certains continuent de
faire le choix de se consacrer à leur thèse, de devenir docteur·e, même à plus
de 60 ans (chapitre 13). Contre vents et marées.