Corées : réunification politique, intégration économique… et réticences à tous les étages
Michel
Fouquin, The Conversation, 11 juin 2018
La
réunification de la péninsule coréenne n’est pas un objectif envisageable à
court-moyen terme, et peu probable à long terme, car elle supposerait un
effondrement du régime nord-coréen qui, dans une telle perspective, réagirait
violemment.
Un groupe
d'étudiants à Pyongyang, le 10 juin 2018. Ed Jones / AFP
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Un échec
du sommet Kim-Trump de ce 12 juin, à Singapour, serait cependant
dommageable pour les deux protagonistes. Ils perdraient tous les deux la face.
Mais le plus grand perdant serait Trump qui se veut un maître du
« deal ». Tandis que Kim, grâce à cette rencontre, obtenue sans
aucune condition ou concession de sa part (du jamais vu en matière
diplomatique), est parvenu à changer de statut : de chef d’un « pays
voyou », il est devenu un adversaire presque fréquentable.
De cet
échec résulterait aussi une longue période d’affrontements à l’issue
imprévisible. C’est pourquoi il est plus probable que l’on parviendra à un
accord flou de promesses de dénucléarisation de la péninsule à long terme et
par étapes, en échange de la promesse d’un retrait progressif de la présence
militaire américaine.
Cela
ouvrirait la voie à la levée progressive des sanctions internationales et à
l’intégration progressive de l’économie nord-coréenne, par l’intermédiaire de
la Chine et de la Corée du Sud, dans l’économie mondiale. Ce qui sauverait la
face de Trump et conviendrait à tous les autres protagonistes.
Après le
nucléaire, cap sur le développement économique
Du côté
de la Corée du Sud, l’actuel chef de l’État, Moon Jae-in, contrairement à la
Présidente qui l’a précédé, représentante d’une ligne dure vis-à-vis du Nord,
est favorable à un rapprochement. Le sommet qu’il a tenu en avril
2018 avec Kim Jong‑un a été une réussite, mais celle-ci reste soumise aux
résultats du sommet Kim-Trump. Les objectifs attendus des deux sommets sont
fortement imbriqués : dénucléarisation de la péninsule, conclusion d’un
accord de paix, relance des
relations intercoréennes pour déboucher sur la levée des sanctions
et la normalisation des relations entre Pyongyang et Washington. Vaste
programme !
À son
arrivée au pouvoir en 2011, le programme de Kim Jong‑un se résumait en deux
points qui assureraient sa légitimité : la création d’une force de
dissuasion nucléaire opérationnelle et le développement économique de son pays.
Le premier point est acquis, reste le second qui repose sur la levée des
sanctions et une réforme économique profonde du pays.
Pratiquement
tous les dirigeants des pays en développement pensent que le développement de
leur pays passe par une intégration forte à l’économie mondiale. La réussite
des pays d’Asie orientale n’est pas pour rien dans cette conviction. On peut
donc penser que la religion de Kim sur ce point est faite.
Mais quel
serait le modèle pour l’intégration économique de la Corée du Nord ?
Un modèle
allemand… qui n’en est pas un
Le modèle
allemand de réunification ne convient absolument pas au cas coréen. D’une part,
il correspond à la disparition de la RDA ; d’autre part, il suppose la
mise aux normes mondiales de l’économie nord-coréenne, comme la RDA a dû le
faire pour s’adapter à ce qu’il est convenu d’appeler les acquis
communautaires.
Kim Jong‑un,
le leader nord-coréen,
accueilli par le premier ministre
de Singapour le
10 juin 2018.
Roslan Rahman/AFP
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Autre
facteur qui disqualifie ce modèle : l’écart immense
qui sépare les niveaux de vie entre les deux Corées. Grossièrement
(car on ne dispose d’aucune donnée fiable pour la Corée du Nord), l’écart des
PIB par habitant serait d’un à trente-neuf. Il n’était que d’un à dix entre les
deux Allemagnes.
La grande
pauvreté de la Corée du Nord est confirmée par les données des Nations unies
sur l’aide alimentaire mondiale : elle est destinataire d’au moins
13 % du volume total des aides allouées à ce titre par le programme des
Nations unies. La prévalence
de la malnutrition reste un enjeu important : selon une étude
menée en 2012, plus de 28 % des enfants souffrent d’un retard de
croissance faute de micronutriments pendant les deux premières années de leur
vie.
Le modèle
pertinent de Deng Xiaoping
Compte tenu
de son succès spectaculaire et de la proximité initiale des régimes politiques,
le modèle le plus pertinent serait celui des réformes à la Deng Xiaoping
entamées en 1978, suivies (autre exemple) dix ans plus tard par les réformes
mises en œuvre au Vietnam. Dans un premier temps, on libère l’agriculture, base
à l’époque de l’économie chinoise, et par ailleurs on ouvre des zones
économiques spéciales pour faciliter l’implantation de multinationales et
opérer des transferts de technologie.
Des
réformes sont, semble-t-il, en cours. Ainsi les observateurs estiment que la
croissance économique a été forte en Corée du Nord depuis 2014, grâce
notamment à une loi de révision du statut des entreprises qui permet
notamment aux paysans de vendre sur le marché intérieur jusqu’à 30 % de
leur production. Celle-ci
réduit aussi le rôle du Parti dans la gestion des entreprises en
donnant à celle-ci la possibilité de travailler directement avec d’autres
entreprises sur la base de prix négociés et non plus imposés. De même, il
semble que des formes de propriété privée, ainsi que la création de pseudo
firmes d’État, sont apparues.
Pour ce
qui est des Zones économiques spéciales, cela reviendrait, de fait, à réactiver
des zones qui existent déjà, mais sont asphyxiées par les sanctions
internationales : la ZES de Rajin-Songbong (Rason) sur la côte de la mer
du Japon (mer de l’Ouest pour les Coréens) créée en 1991 et, plus récemment,
les zones de Whiwa et Hwanggumpyong, situées à la frontière chinoise. Pour
l’instant, les investisseurs présents dans ces zones sont essentiellement des
Chinois, quelques Russes et des Coréens pro-Pyongyang habitants au Japon.
Le
précédent entre la Chine et Taïwan
Pour
l’ouverture du commerce entre les deux frères ennemis, l’autre source
d’inspiration, pourrait être trouvée dans l’évolution des
rapports entre la Chine et Taiwan. Ces deux pays s’affrontent en
permanence, depuis 1949, tant sur le plan politique que militaire. La Chine
tente par tous les moyens d’isoler diplomatiquement Taiwan. Elle considérerait
toute tentative de déclaration d’indépendance de l’île comme un casus belli.
« Tous les actes et tous les stratagèmes visant à séparer la Chine sont
voués à l’échec et s’exposeront à la condamnation populaire et à la punition de
l’Histoire », a ainsi déclaré Xi Jinping lors de l’Assemblée nationale
populaire de Chine du 20 mars 2018. Et personne ne peut croire qu’il
s’agisse là d’une vaine menace.
En
attendant, les relations économiques entre les deux côtés du détroit de Formose
n’ont cessé de se développer au bénéfice des deux partenaires. De moins de
4 % avant les réformes à Pékin, les exportations de Taiwan vers la Chine
sont passées à 11 % au moment de l’entrée de cette dernière (2001) et de
Taiwan (2002) à l’OMC, et à 37 % aujourd’hui !
De la
même façon, les entreprises taiwanaises ont fait le forcing pour investir en
Chine où elles sont devenues des acteurs majeurs dans l’économie chinoise comme
Foxconn qui, en 2018, emploie sur le continent un million trois cent mille
employés. Les relations ont atteint un niveau de formalisation élevé avec le
Economic Cooperation Framework Agreement (EFCA), qui prévoit en particulier
l’entrée libre des produits chinois à Taiwan (ce qui était le cas dans l’autre
sens dès 1980).
Un
prometteur projet de gazoduc depuis la Russie
Du côté
de la Corée du Sud, les grandes entreprises manifestent un intérêt vif, mais
prudent compte tenu des expériences décevantes du passé, à leur implantation en
Corée du Nord. En plus de leur intérêt économique intrinsèque, cela leur
donnerait droit à un brevet de patriotisme. Pour les deux Corées, cela leur
permettrait aussi de réduire leur dépendance à l’égard de la Chine qui peut
s’avérer pesante.
Autre
intérêt pour elles, l’accueil du gazoduc acheminant le gaz naturel de la région
russe de la Kovykta (près d’Irkoutsk) par le Nord en direction de la Corée du
Sud, en cas de succès dans les négociations entre la Chine, la Russie et la
compagnie BP. Un autre projet de gazoduc pourrait relier les exploitations
situées dans la partie russe des îles Sakhaline à la Corée du Sud.
Les
projets ne manquent pas, donc, mais tout ceci repose – in fine – sur
l’évolution des relations entre deux personnalités pour le moins imprévisibles.