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La laïcité déchire les macronistes

Par
Jean-Baptiste Daoulas, L’Express, 22/05/2018

La guerre
était larvée, elle éclate au grand jour. Les députés REM se divisent
radicalement sur la laïcité. 
Maryam
Pougetoux était apparu voilée à la télévision alors qu’elle parlait au nom du
syndicat étudiant l’Unef. STR / AFP

“Il
faut prendre du recul et réaffirmer des principes. Sinon, on risque de devoir
sans cesse prendre position sur des cas particuliers.” L’avertissement,
signé de la députée REM Aurore Bergé, date de
janvier 2018 et concerne la laïcité
. A l’époque, les tiraillements
sur la loi de 1905 ne s’expriment encore qu’à voix basse au sein du groupe La
République en marche. Quatre mois plus tard, le mouvement d’Emmanuel Macron n’a
toujours pas de doctrine claire et la virulence de la polémique sur Maryam
Pougetoux, la
responsable voilée de l’Unef
à l’université Paris-IV, semble valider
le diagnostic de l’élue des Yvelines.  

  

Par
tweets interposés
Les
députés macronistes n’hésitent plus à s’écharper en public. Ce mardi 22 mai, le
député REM François Cormier-Bouligeon interpelle son collègue Aurélien Taché
sur Twitter. “Le débat est toujours important, cher Aurélien Taché. Mais,
dis-moi, jusqu’où peut-on justifier de soutenir l’obscurantisme au nom du
libéralisme culturel ?” C’est la réponse au tweet de Taché, la veille :
“Il est insupportable en France que ceux qui défendent un libéralisme
culturel soient systématiquement taxés de complaisance islamiste !” L’élu
du Val d’Oise, lui-même ancien de l’Unef, n’est pas hostile au port du voile
par une responsable syndicale. “Je ne suis pas là pour polémiquer avec mes
collègues députés par tweets interposés, soupire Aurore Bergé aujourd’hui. Mais
il y a des sujets sur lesquels je ne compte pas fléchir.” 

Les deux
pôles, antagonistes, s’affrontent à fleurets de moins en moins mouchetés depuis
leur entrée au Palais-Bourbon. Le 6 février, c’est une première dans un groupe
REM dont la communication est habituellement bien verrouillée, les journalistes
sont conviés à assister à la troisième “soirée Colbert’. Organisées par le
député Guillaume Vuilletet certains mardis soirs à l’Assemblée, elles
permettent aux élus du groupe de dialoguer avec des intellectuels ou des
représentants de la société civile. Ce soir-là, l’invité d’honneur est le
président de l’Observatoire de la laïcité, l’ancien ministre socialiste
Jean-Louis Bianco. Dans la salle, une trentaine de députés REM. Aurélien Taché,
Fiona Lazaar, François Cormier-Bouligeon et Anne-Christine Lang, une ancienne
socialiste proche de Manuel Valls, ne sont pas venus faire de la figuration. 
“Nous
ne sommes pas soumis à la neutralité”
“Il
ne s’agit pas d’un débat entre nous, les prévient en préambule Guillaume
Vuilletet. Non pas que le débat ne soit pas intéressant, mais ce n’est pas le
lieu.” Pourtant, sans jamais lever la voix, les différentes lignes
s’expriment. Pas franchement conciliables. Fiona Lazaar s’en prend à la
décision de François de Rugy, président de l’Assemblée nationale, d’interdire
les signes religieux dans l’enceinte de l’Hémicycle. “Je m’interroge sur
une telle disposition, explique l’élue d’Argenteuil et Bezons (Val-d’Oise).
Représentant le peuple, et non l’Etat, nous ne sommes pas soumis à la
neutralité.”  
Anne-Christine
Lang riposte : “S’il y avait des femmes qui arrivaient voilées dans
l’Hémicycle, je ne vois pas bien comment je pourrais accepter d’y siéger.”
En son absence, l’ombre de Manuel Valls semble planer sur la salle. “C’est
parce qu’il n’a pas voulu venir lui-même qu’Anne-Christine Lang s’est
pointée”, ronchonne à voix basse un député appartenant à la sensibilité concurrente.
Étrangement, la presse n’a pas été conviée aux “Soirées Colbert”
ultérieures. 
Aurélien
Taché, député REM du Val-d’Oise, est chargé d’animer une réflexion sur la
laïcité au sein de la République en Marche. V. ISORE/I3 PRESS/MAXPPP

Difficile,
face à des opinions aussi tranchées, de déterminer la ligne majoritaire au sein
du groupe. “Il peut y avoir d’autres sensibilités ici ou là, notamment
autour d’une conception néo-républicaine de la laïcité, minimisait en janvier
Aurélien Taché. Mais j’ai le sentiment que tout le monde a bien en tête la
philosophie générale du président de la République, qui est une laïcité de
liberté. C’est le barycentre du groupe.”  

“Laïcard,
laïciste, c’est un vocabulaire maurrassien !”
Dans une interview
accordée au Monde
, le 20 novembre 2017, Aurélien Taché, investi par
Christophe Castaner d’une mission sur la laïcité au sein de la République en
Marche, s’en prend aux “tenants d’un laïcisme intégral”. François
Cormier-Bouligeon se sent visé. “Laïcard, laïciste, c’est un vocabulaire
maurrassien ! Je demande aux gens qui s’expriment au nom du mouvement de ne pas
emprunter à ce registre”, s’irrite-t-il.  
Le député
du Cher, qui a tenu à occuper dans l’Hémicycle le siège numéro 300, celui de
Jean Zay, a publié le 16 mai une tribune
sur le site de L’Express
. “Je compte continuer à défendre et à
faire vivre la liberté absolue de conscience et la laïcité qui la protège, avec
calme, sérénité et fermeté”, écrit-il. Depuis, François Cormier-Bouligeon
affirme engranger les réactions de soutien de ses collègues. “Cela
commence vraiment à s’étoffer”, confie-t-il, ravi de noter les prises de
position analogues de Sylvain Maillard ou Jean-Michel Mis.  
“Aurélien
Taché ne peut plus se targuer d’être le seul à s’exprimer sur la laïcité au nom
de la République en Marche, se félicite une députée REM. D’ailleurs, plusieurs
membres du bureau exécutif du mouvement m’ont dit que la publication d’un
rapport d’Aurélien sur la laïcité n’est plus à l’ordre du jour.” “Je
n’étais pas censé faire un rapport, mais animer une réflexion sur le sujet,
rétorque le député du Val-d’Oise. Je ne vois pas pourquoi cela changerait
maintenant”. Aurélien Taché s’apprête à intensifier les travaux de ce groupe
de travail. Il espère fournir dans quelques mois “une doctrine, peut-être
formulée par un texte, et un ensemble de notes plus concrètes, que pourraient
rédiger des experts sous notre coordination.”  
“Il
y a des positions trop irréconciliables”
Cela suffira-t-il
à apaiser le débat entre députés macronistes ? “Il y a des positions trop
irréconciliables”, tranche une députée. “Il faut que l’on crée à
l’Assemblée un séminaire, au sens universitaire du terme, qui nous permette
d’auditionner toutes les personnes qui réfléchissent sur la laïcité, et ainsi
dépasser les positions univoques”, propose François Cormier-Bouligeon.
Fiona Lazaar objecte qu’il existe déjà un groupe
d’études sur la République et les religions
à l’Assemblée nationale.
La députée du Val-d’Oise renvoie au discours
prononcé ce 22 mai
par Emmanuel Macron sur les quartiers
défavorisés. “Personne ne doit être forcé de mettre un foulard, mais on a
le droit de mettre un foulard, a lancé le président de la République. On ne va
pas changer la règle parce qu’elle ne plaît pas aux uns et aux autres”.
“Dès lors que le président de la République a rappelé le cadre, je pense
que l’on est nombreux à se retrouver derrière lui”, espère Fiona Lazaar.
En attendant la prochaine polémique.