Dialogue et annonce avec les musulmans: faut-il choisir ?
Anne-Bénédicte
Hoffner, La Croiz, 20/05/2018
certains courants catholiques, le dialogue – en particulier avec les
musulmans – est de plus en plus contesté, taxé de « naïveté » et
accusé d’être une forme de renoncement face à la mission. Pour les théologiens,
opposer les deux n’a aucun sens, pas plus que de défendre l’un sans l’autre.
Rassemblement
islamo-chrétien “Ensemble avec Marie”, le 24 mars./ Corinne Simon/Ciric |
Des
forums, des tables rondes et des formations… l’« évangélisation des
musulmans » est à la mode, chez une partie des catholiques au moins.
Initié dans la foulée du concile Vatican II, le dialogue subit, lui, un
désintérêt, voire un discrédit à peu près symétrique. « Les rapprochements
entre les religions ne se paient-ils pas souvent de mots ? » « Comment peut-on
mettre sur un pied d’égalité un livre comme le Coran avec la Bible ? », lit-on sur les réseaux
sociaux lorsqu’une initiative interreligieuse rassemble des chrétiens et des
musulmans. Immanquablement, certains y suspectent de la « naïveté », du
« syncrétisme », ou l’accusent même de détourner les chrétiens de la
véritable urgence, « l’annonce du Christ aux musulmans ».
tendance actuelle à opposer dialogue et annonce ? Ce que ne fait pourtant aucun
des textes du Magistère… La déclaration Nostra Aetate du concile
Vatican II, tout comme le document signé en 1991 à la fois par le Conseil
pontifical pour le dialogue interreligieux et la Congrégation pour
l’évangélisation des peuples, articulent respect pour les autres croyants et
pour « ce qui est vrai et saint dans (leurs) religions » et fidélité
à la mission d’annonce de l’Évangile.
qui dialogue n’a pas peur de l’identité »
raisons en sont sans doute conjoncturelles, liées en partie à la montée des
courants extrémistes au sein de l’islam et des violences commises en son nom.
Pour le frère Emmanuel Pisani, directeur de l’Institut de sciences et de
théologie des religions à l’Institut catholique de Paris,
l’« omniprésence » de l’islam dans le débat public nourrit aussi « la
critique, voire le rejet chez les chrétiens ». Sans doute, une
certaine forme de dialogue très centrée sur « la recherche de ce que nous
avons en commun » a-t-elle vécu, avance également le dominicain.
« crise » que traverse le christianisme dans le monde
occidental joue aussi, poussant certains de ses adeptes à « rechercher
un bon ennemi qu’ils pourraient accabler de tous leurs malheurs », en
l’occurrence les musulmans. « Comme si l’islam était la cause principale
de la crise contemporaine de l’Église ! », analyse le père Henri-Jérôme Gagey,
vicaire général du diocèse de Créteil et ancien doyen du Theologicum de
l’Institut catholique de Paris.
retour, ici ou là, d’un vocabulaire médiéval valorisant la « croisade ».
D’où aussi le développement d’un rapport identitaire à la foi, qui peut
conduire les catholiques à la fermeture. « Celui qui dialogue n’a pas peur
de l’identité : au contraire, il faut être extrêmement clair sur qui l’on est pour
se confronter, rappelle Emmanuel Pisani. Mais à la différence de l’identitaire,
celui qui dialogue est ouvert sur l’identité de l’autre, à la manière de Dieu
s’ouvrant à l’humanité. »
la rencontre, je peux devenir davantage chrétien »
que ces tensions risquent fort de durer, voire de s’aggraver, elles appellent
une réponse théologique et pastorale de l’Église. « La question à
approfondir n’est pas “faut-il évangéliser ou non ?” mais plutôt “en quoi consiste
l’évangélisation ?”, estime le père Henri-Jérôme Gagey. De ce point de vue, nous n’en
avons pas fini de méditer l’exhortation Evangelii gaudium où le pape François,
tirant les leçons du Synode sur la nouvelle évangélisation, insistait sur le
fait que Jésus-Christ, le premier évangélisateur, commence toujours par établir
une relation d’accueil et de bienveillance avec ceux qu’il rencontre. »
de nombreux étudiants, clercs ou laïcs, au dialogue islamo-chrétien, Emmanuel
Pisani en est bien conscient et s’y emploie au quotidien. S’il est une
« conversion » que doit rechercher le chrétien, pour lui ou pour
l’autre, c’est d’abord celle du cœur, argumente-t-il. « Par le dialogue,
un musulman peut connaître une conversion, si son cœur est plus pacifié,
plus juste, plus capable de se donner… même si elle n’est pas explicite. Et moi
aussi, par la rencontre, je peux devenir davantage chrétien. Le reste
appartient à Dieu. »